Retour sur la sixième édition des Universités du Tourisme Durable à Troyes
Ouf, malgré la menace planante du Covid qui aurait pu faire basculer l’évènement dans le monde virtuel jusqu’à la dernière minute, la sixième édition des Universités du Tourisme durable a pu se tenir comme prévue à Troyes les 8 et 9 octobre dernier. Et quel plaisir pour l’ensemble des acteurs présents, territoires, hébergeurs, agents de voyage, universitaires, consultants…, de se retrouver en chair et en os sur les terres d’Aube en Champagne pour échanger, phosphorer, s’inspirer et trouver un nouvel élan pour digérer cette année difficile dont l’issue est encore bien incertaine pour beaucoup. Et le durable me direz-vous ? Il était bien évidemment le sujet central de ce nouveau rendez-vous, avec plus que jamais l’urgence de changer de paradigme. Retour sur une matinale passionnante avec pour temps fort l’intervention de François Gemenne sur le voyage en temps de crise.
Une année noire et des horizons brumeux
Après une année marquée par la crise du Covid alignant son lot de tristes records actant toujours plus l’inéluctabilité du réchauffement climatique et l’augmentation des inégalités dans le monde, il était difficile d’entamer les UTD autrement que par un discours musclé. En ce sens, Guillaume Cromer – Président d’Acteur du Tourisme Durable – n’a pas mâché ses mots pour marteler quelques chiffres alarmants et tenter une nouvelle fois de faire bouger les lignes : « La Covid nous a montré la voie. On connait la trajectoire. Mais où place-t-on le tourisme ? Serons-nous les pilotes du changement ou regardera-t-on le train passer sans rien faire ? Nous n’avons plus le choix, il nous faut être les leaders sur cette question de la transition écologique et sociale. » En écho à ses paroles, une allocution filmée de Jean-Baptiste Lemoyne – Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé du Tourisme– est revenue sur les dernières mesures prises ces derniers mois, avec notamment un fond de 50 millions d’euros dédié au tourisme durable qui sera géré par l’Ademe au niveau de chaque région. L’Agence de la transition écologique dévoilera également en cours d’année prochaine un bilan des GES de l’ensemble du secteur touristique en cours d’élaboration.
La mobilité remise en question
Mais quel voyage pour quels voyageurs ? Tel aurait pu être le sous-titre de l’allocution donnée par le chercheur François Gemenne sur le « Voyage en temps de crise », une prise de parole forte qui a rappelé que la mobilité des uns cache souvent l’immobilité des autres voir leur impossibilité à s’extraire de leur environnement. Quand un Français estime tout à fait normal d’avoir accès à plus d’une centaine de pays, un Syrien n’aura quant à lui que quinze à vingt états prêts à lui ouvrir ses frontières. Bouger, migrer, voyager, autant de mobilités qui n’ont pas les mêmes acceptions ni les mêmes limites. Certes, la crise sanitaire que nous vivons engendre bien des traumatismes et des frustrations ? Mais ne peut-elle pas non plus nous aider à reconsidérer ce que l’on attend du voyage. « Ce qui compte c’est le voyage, pas la destination » scandait Stevenson. Jusqu’à en arriver à des « Fly to nowhere » comme l’a orchestré la compagnie aérienne Quantas avec des vols Sydney-Sydney facturés entre 500 et 2000 € ? A l’heure où tout le monde s’accorde sur l’urgence de réduire les GES… !!! ???
Nous vivons une époque formidable. D’un côté des vols pour nulle part ; de l’autre un avion à la retraite qui propose à des Ghanéens qui ne voyageront jamais d’expérimenter un vol avec hôtesses et plateaux repas mais… au sol ! Et autre temps autres mœurs. En occident, il fut aussi un temps pas si lointain où il était de bon ton de faire un tour du Monde, quitte à passer quelques heures dans une destination juste pour le symbolique tampon « preuve » de l’égo voyageur. Or aujourd’hui, en période de Covid, près de deux tiers des Français souhaitent que les frontières restent fermées, ce qui ne va pas faire les affaires des compagnies aériennes, exsangues, quand on annonçait hier le doublement du trafic en quinze ans. Drôle de monde vraiment, où près de 40 000 kilomètres de murs et clôtures enserrent déjà nombre de frontières, façon de rassurer « ceux qui sont du bon côté » ; où après avoir arpentés le ciel dans tous les sens, on parle d’un retour au local. Mais comment combiner les aspirations de ce retour au local tout en maintenant une ouverture à l’autre ?
La question du sens du voyage se pose plus que jamais et François Gemenne nous interpelle. Certes, nous sommes dans un monde de plus en plus globalisé, mais qu’allons-nous chercher en nous transportant vers l’ailleurs ? A l’heure de la durabilité, le voyage doit-il être réservé à une élite, à une classe privilégiée ? A des activités ciblées, utiles ? On parle de l’empreinte carbone des voyages, mais chaque empreinte est-elle égale ? Ne peut-on pas y adjoindre une forme d’utilité sociale du voyage, certaines mobilités étant plus « utiles » que d’autres. Un étudiant qui passe une année à l’étranger n’est-il pas plus « légitime » qu’un touriste de passage. Et quid de notre sacro-sainte hospitalité à l’heure où des milliers de migrants sont à nos portes ?
En écoutant François Gemenne et en écrivant ces quelques lignes, me vient une image qui a circulé sur les réseaux sociaux et qui m’avait alors marqué par sa justesse. On y voit une embarcation de migrants secouru par un garde-côte méfiants. « – Where are you from ? » demande le premier. « – From Earth ! » répondent les migrants épuisés. Tout est dit.
Pandémie et crise climatique : quelles conséquences sur l’offre touristique ?
La matinée s’est ensuite poursuivie par une table ronde animée par Sandrine Mercier (rédactrice en chef du magazine A/R) rassemblant Christelle Taillardat (Aube en Champagne Tourisme & Congrès), Christian Delom (A World For Travel), Nicolas Dayot (Fédération Nationale de l’Hôtellerie de Plein Air), Michelle Demessine (UNAT) et en visio Olivier Midière (ART Grand Est). Première à s’exprimer pour témoigner de la façon dont l’Aube en Champagne a géré la crise du Covid, Christelle Taillardat donne de nombreux exemples montrant une réelle créativité du comité départemental du tourisme pour ne pas perdre le lien avec ses adhérents. Parmi les initiatives notables, le Corona-espoir porté par le Slow Tourism Lab qui a permis aux Aubois et visiteurs de géolocaliser les producteurs locaux en mettant à disposition une quinzaine de camions et bureaux de tabac presse pour servir de relais colis à ces professionnels dans l’ensemble du département. Un concours d’idée a également permis d’identifier 35 nouvelles offres et prestations pensées différemment pour s’adapter aux contraintes du Covid (visites théâtralisées, guinguettes de produits locaux, sorties nocturnes, etc.).
Olivier Midière (ART Grand Est) prend la suite en visio pour expliciter la stratégie régionale du Grand Est axée sur le digital et le durable avec un bilan positif de la crise sur les zones naturelles et notamment des fréquentations records dans les Vosges et les Parcs naturels régionaux qui ont posé la question de la pollution environnementale due à cet excédent de touristes. L’apparition de ce nouveau tourisme de nature a posé la question de l’accompagnement des acteurs de l’offre dans leur durabilité mais aussi celle de l’éducation de ces néo voyageurs. Bilan également satisfaisant pour Nicolas Dayot (FNHPA) avec un été quasi normal. « Les campings qui ont tiré leur épingle du jeu ont été ceux qui se sont bien organisés sur le plan numérique car il fallait à la fois faire preuve de souplesse et savoir aller chercher les clients. » Président de la Commission Tourisme durable au sein du Comité de Filière orchestré par Jean-Baptiste Lemoyne, Nicolas Dayot a rappelé que les professionnels du tourisme allaient s’engager sur plusieurs axes forts de durabilité dont la préservation de leurs ressources naturelles, une meilleure répartition des flux et la maitrise de leur empreinte carbone.
Présidente de l’UNAT qui fête cette année son 100e printemps avec une Feuille de Chou dédiée, Michelle Demessine a rappelé que les grands piliers du tourisme durable avait toujours été dans l’ADN du tourisme social prôné par l’UNAT. Depuis 2008, deux tiers de ses opérateurs se sont engagés dans une stratégie de développement durable mais l’impact du Covid a été sévère et freine les projets, posant la question du financement de cette transition en ces temps d’incertitudes et de fragilité.En ce sens, Christian Delom (A World For Travel) estime que l’on revit une économie de la demande alors que l’on s’était habitué à une économie de l’offre. Il pointe également le fait que pendant la crise, on a continué à envoyer les touristes aux mêmes endroits alors qu’il aurait fallu diversifier, créer du neuf et cite en ce sens l’initiative du pass visit 4 good, une idée du CDT de L’Aube qui vise à proposer de nouveaux business model basés sur la technologie des blockChains. Christian Delom : « On s’appuie sur ce qui existe, on ne crée rien de neuf ! »
Le Livre Blanc ATD Tourisme et Changement climatique
La matinale s’est finalement conclue avec Julien Buot (ATR) et Laurianne Ernest (Ecoact) qui ont tous deux présenté le Livre Blanc ATD Tourisme et changement climatique visant à accompagner l’ensemble des adhérents ATD dans leur transition vers le bas carbone tout en renforçant leurs connaissances sur le sujet. Organisé en trois parties autour des enjeux du changement du climatique, de l’accompagnement des acteurs dans leur engagement bas carbone et de la question de l’adaptation au changement climatique, cet ouvrage issu du TD Lab « Tourisme & Climat » truffé d’informations ambitionne autant de fournir des clés de compréhension que d’aider les acteurs et territoires à passer à l’action. Julien Buot a notamment pris pour exemple le réseau ATR (Acteurs du Tourisme Responsable) qu’il représente, composé principalement de gros T.O d’aventure qui jusqu’à 2015, n’abordaient pas la question du climat n’assumant pas la contradiction entre le voyage en avion et l’urgence climatique. Aujourd’hui, la compensation carbone (à l’horizon 2025) est devenue l’une des premières exigences de l’évaluation ATR, certains membres ayant également commencé à réduire leurs vols. A noter que ce Livre Blanc sera bientôt disponible en version numérique sur le site d’ATD. Quand aux heureux présents, ils ont pu repartir avec leurs exemplaires, des questions plein la tête et des réponses bien en main.
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– Les UTD remercie Philippe Pichery, président du Conseil départemental de l’Aube et l’ensemble du Comité Départemental de l’Aube pour leur accueil à Troyes en terre d’Aube en Champagne et mise à disposition du magnifique Centre des Congrès tout au long de l’évènement.
– Adhérez à ATD : www.tourisme-durable.org
– A suivre : les articles sur les ateliers (encore quelques jours de patience)
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- UTDs 2020 - Matinale d'ouverture
- Atelier "Construire son offre touristique avec les habitants"
- Atelier « Lever la résistance au changement : comment massifier une démarche de tourisme durable ? »
- Atelier « Des séjours en transport bas-carbone »
- Semer le Voyage pour récolter la Paix...
- Eductour « Slowtourisme au cœur de l’Aube en Champagne »
- Atelier « Communiquer en temps de crise »
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- Innover pour un tourisme rural et responsable
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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