Les Universités du Tourisme Durable en escale à Bordeaux
Thèmatique : Éducation Initiative nationale Innovation Territoire Tourisme de masse
Dix ans ! Le cap est franchi, l’escale devient incontournable, les Universités du Tourisme Durable accueillaient cette année à Bordeaux plus de 500 professionnels du tourisme venus s’interroger sur la thématique des « Nouveaux récits : pour qui, pour quoi ? ». De nouveaux récits mais aussi une multitude de points de vue et d’angles d’approche. Il faut dire que pour cette dixième bougie, les UTD se sont offerts une ministre du tourisme (Marina Ferrari), un orateur qui prend la lumière (Cyril Dion) mais aussi des personnalités plus tranchantes qui permettent de s’interroger plus avant, à l’image de Caroline Mignon (ATD) ou de Saskia Cousin (anthropologue et sociologue).

Un nouveau récit pour… le tourisme ?
À quand un nouveau récit pour le tourisme, c’est peut-être ainsi que l’on pourrait résumer la joute verbale qui s’est jouée en ouverture des UTD quand Caroline Mignon (présidente d’ATD), interpellant la ministre Marina Ferrari, s’est interrogée sur un ministère « dédié à l’économie du tourisme » quand depuis des années, l’ensemble des acteurs engagés pour un tourisme plus durable appellent de leur vœux d’autres indicateurs (utilité sociale, valorisation des savoir-faire, transmission, identité, etc.) que la seule boussole économique. Caroline Mignon : « Un ministère dédié à l’économie du tourisme laisse à penser que le tourisme n’est qu’un activité marchande (…), est-ce cohérent avec l’ambition de devenir la première destination de tourisme durable au monde ? » Un nouveau récit pour le tourisme qui sera toutefois difficile à écrire tant la feuille de route a été rognée par un budget contraint.
Gel du plan vélo, baisse des dotations du fonds vert, investissements réduits sur le train, regroupement des agences d’État, augmentation tous azimuts des taxes sans fléchages précis, autant de nouvelles contraintes que la ministre a balayé d’un discours institutionnel, martelant des chiffres connus (et contestés) : « L’économie du tourisme en France, c’est 8% du PIB, 2 millions d’emplois directs et indirects, 200 milliards d’euros de recettes…. » et rappelant qu’effectivement, la France a pour ambition d’être la première destination durable d’ici 2030. Alors, pour « Gérer l’inévitable et éviter l’ingérable », il a surtout été question de décarbonation et de slow tourism (séjours bas carbone, vélotourisme, aménagement de sites naturels, etc.) avec un bilan des actions passées menées avec l’ADEME et quelques exemples de bonnes pratiques comme on en observe depuis des années. Mais pour aller plus loin ? Plus vite ? « Nous devons faire l’évaluation et industrialiser ces actions, faire mieux avec moins. » Un nouveau récit qui demandera forcément de faire des choix alors que s’annonce un plan national d’adaptation au changement climatique.

Un nouveau récit… pour une sobriété assumée ?
« On ne peut pas continuer à se raconter qu’on peut tout faire en même temps, faire mieux avec moins. La dotation sur les questions écologiques baisse de façon abrupte. » Prenant le relais des discours d’ouverture qui se sont enchaînés par le déroulé des nombreuses actions menées en Aquitaine pour un tourisme plus durable, Cyril Dion a entamé son récit en s’inquiétant de ces baisses drastiques qui auront forcément un impact sur la mise en œuvre de la transition. Toutefois, pour cet orateur brillant, le nerf de la guerre et du récit peut se résumer à une décroissance active, soit à tenter d’aller moins vite, moins loin, à l’image du mini-documentaire qu’il a réalisé sur La Poste, où la décarbonisation des colis ne viendra pas à bout du problème tant que le volume total des colis livrés continuera d’augmenter.
Le fameux nœud gordien de la croissance verte qu’a également théorisé l’économiste Timothée Parrique, qui rappelle que dissocier croissance économique et dégradation environnementale (découplage) est irréaliste, car les gains d’efficacité (par exemple, l’utilisation plus rationnelle des ressources) sont souvent compensés par une augmentation de la production et de la consommation (effet rebond). Pour ce dernier, la solution n’est pas tant dans la croissance que dans une meilleure répartition des ressources. Un découplage qu’a également évoqué Cyril Dion mentionnant le 6e rapport du GIEC et l’urgence de se plier aux Accords de Paris ; mais un récit décroissant qui se heurte classiquement (et bien tristement) au cynisme de la vie politique. Cyril Dion : « L’immense majorité des décisions sont orientées par les 10% des plus riches, les citoyens moyens n’ont pas le poids pour orienter les décisions publiques, comme le montre la Convention Citoyenne pour le Climat qui a été méthodiquement détricotée par le gouvernement sous l’influence des lobbys économiques. »
Or, il faut le reconnaître, une bonne partie de l’industrie du tourisme vit aussi de ce dixième de la population qui a accès au voyage, à l’avion, et qui envoie 50% des GES dans l’atmosphère. « Les 50% les plus pauvres de la population en France sont déjà sobres par obligation (5 T de CO2 par an). Les 1% les plus riches émettent 25 T de CO2 par personne et par an. » Pour Cyril Dion, le tourisme durable doit donc aussi passer par plus de justice sociale, c’est-à-dire taxer ceux qui émettent le plus et réinvestir cet argent dans des actions qui font sens : isolation des passoires thermiques, financement des transports en commun, plans d’urbanisme. Il appelle également à des imaginaires différents, l’aventure à côté de chez soi, la reconnexion au monde vivant, prônant un ralentissement de nos modes de vie, des pratiques plus collaboratives à l’image d’un Monopoly inversé où l’objectif serait de gagner le moins d’hôtels possible. Pour lui, le tourisme doit embrasser de façon plus large le vivant, se mettre plus en lien avec les territoires, les milieux, les biotopes, les écosystèmes. On pense à Baptiste Morizot mais aussi à toutes ces initiatives des territoires qui tentent de rééquilibrer un tant soit peu un bateau qui persiste à pencher dangereusement vers l’avant…

Un nouveau récit pour…. relever les enjeux sociétaux et écologiques ?
Dix ans, un cap franchi, un bateau qui penche, et une matinée qui s’est achevée par une table ronde s’interrogeant sur « Quels nouveaux récits pour un tourisme qui relève les enjeux sociétaux et écologiques ? » Première à s’exprimer, Saskia Cousin (anthropologue et sociologue) s’est interrogée avec justesse et malice sur ce besoin des territoires et destinations de vouloir toujours être les premiers, allusion au discours d’ouverture de la ministre mais aussi à celui de Christelle Chassagne, directrice générale du Comité régional du tourisme de Nouvelle-Aquitaine (CRTNA), qui a indiqué que sa région avait pour ambition d’être la première destination durable de France. Saskia Cousin : « La question du Plus, toujours plus gros, toujours le premier, un oxymore souvent basé sur des données fausses, un imaginaire contradictoire avec les enjeux. » Pour la sociologue, le tourisme domestique reste encore trop dévalorisé face à un tourisme international dont la valeur semble liée au nombre de kilomètres parcourus. Et de noter avec finesse que l’on a un ministre de l’économie du tourisme, et non des vacances, façon de rappeler que le tourisme est avant tout une industrie qui se doit d’être marchande, quand on sait toute l’importance du non marchand dans ce secteur. Les mots ont un sens. Et les récits semblent bien ancrés. « L’idée n’est pas d’inventer de nouvelles pratiques mais de regarder les pratiques populaires qui existent. Le droit aux vacances, c’est ce qui construit notre rapport au monde. » Une mise en récit qu’elle propose de commencer dès la porte (franchie) des offices de tourisme, qui pourraient être conçus comme « La maison de tout le monde », avec des espaces pour les habitants, qu’ils puissent s’y poser, échanger, et peut-être proposer de nouveaux récits…
De nouveaux récits également à l’image de la micro-aventure telle que l’a imaginé Chilowé. D’abord un média, puis une agence de voyage, et aujourd’hui la newsletter Geronimo. Thibaut Labey : « Avec Geronimo je décrypte le pouvoir des histoires ; quelles histoires vont changer les comportements pour créer un futur ambitieux et réalisable ; comment on utilise les ingrédients qui fonctionnaient hier pour mener aux enjeux de demain ». L’opérateur pour qui tout part du local pour un impact minimal sur l’environnement, propose une réflexion sur la force des messages, l’impact des slogans, pour mieux entraîner le chaland et rendre désirable un territoire. Enfin, Sophie Marnier (CRT Nouvelle-Aquitaine) a expliqué comment Terra Aventura, une forme de chasse au trésor mêlant parcours thématiques, géocaching, énigmes permet de raconter le territoire différemment et d’aller à la découverte d’espaces moins fréquentés. Avec plus de 600 parcours répartis sur toute l’Aquitaine, la région hôte démontre qu’un nouveau récit peut aussi s’écrire de façon ludique, mêlant le jeu à l’enquête, voire même à la quête, puisqu’il est aussi question d’utiliser ces parcours pour sensibiliser à la biodiversité ou inciter à ramasser des déchets, par exemple.

Des récits et des hommes
Au final, il y aura toujours autant de récits qu’il y a d’hommes, d’envies, d’objectifs, d’intérêts, de visions. D’autant que le tourisme est un sujet complexe qui jongle en permanence avec des objectifs contradictoires : voyager sans polluer, décarboner sans décroître, découvrir sans voyager, aller plus loin, plus près, ne pas oublier les locaux de l’autre bout du monde, les professionnels du territoire, les habitants, les entreprises, prendre le train (trop cher), l’avion (trop polluant), taxer (trop excluant), flécher (pas assez consensuel). On pourrait continuer encore, mais au final, toujours, on constatera qu’à l’image de cette riche matinée des UTD, derrière les récits se cachent autant de discours, de communications, de promotions, de plaidoyers qu’il y a d’hommes. Tout simplement parce que chacun parle de là où il se trouve et qu’il manque souvent un trait d’union pour que les récits des politiques, des professionnels, des chercheurs et de la société civile se rejoignent. Enfin, un jour, il faudra peut-être penser à écouter aussi la planète…

Les Universités du Tourisme Durable sont organisés par l’Association Acteurs du Tourisme Durable (ATD)
Programmes et informations complémentaires sur ce lien.
Co-organisateurs :
Bordeaux & Tourisme et Congrès : Voir ce lien.
La région Nouvelle-Aquitaine : Voir ce lien.
Gironde Tourisme : Voir ce lien.
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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