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Courage et paradoxes lors de la 8e édition des Universités du Tourisme Durable qui s’est tenue en Occitanie

Après avoir exploré le tourisme comme accélérateur de la transition écologique et sociale, flirté avec des envies de radicalité plus affirmées, la huitième édition des Universités du Tourisme Durable s’est ouverte au Corum de Montpellier sur une thématique oh combien inhérente à ce monde du voyage : « Le courage d’affronter les paradoxes du tourisme ! » A l’heure où l’industrie se remet peu à peu d’une crise sanitaire difficile où il a été partout question de se réinventer, il en faudra du courage pour faire les bons choix et éviter de repartir comme avant. C’était aussi tout l’objectif de cette première matinée de plénière, qui a permis de mettre en lumière des pas de côté en donnant la parole aux jeunes, mais aussi d’explorer d’autres modèles, de nouvelles voies, jusqu’à ces outils cognitifs qui peuvent nous aider au changement. Alors, courage ou paradoxes ?

© Giulia David

Ce mur qui se rapproche

Le temps a filé, les discours aussi, mais une chose est sûre, le mur se rapproche. Vincent Garel, président du Comité Régional du Tourisme et des Loisirs d’Occitanie : « Le mur est là, il va falloir le gravir. Cette urgence doit nous amener à être plus coopératif. » Avec un nouveau schéma touristique axé sur les habitants et le tourisme social, l’Occitanie a bien l’intention de montrer la voie. A noter que le seul département de l’Hérault accueille près de 55 millions de nuitées par an (1,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires !), soit 80 % des flux touristiques qui filent vers le littoral, héritage de la mission Racine qui visait alors à capter ces clientèles du nord en route vers l’Espagne. Jean-Louis Gély, vice-président du Département de l’Hérault : «Il nous faut une transition écologique avec une meilleure entre-mission entre la communauté scientifique, les collectivités, les administrations de l’Etat et les socio-professionnels, une approche fine, souple, et transitoire des établissements touristiques. Je pense par exemple aux campings ou  à  l’évolution du trait de côte. »

Fond tourisme durable et collaborations diverses avec l’ADEME, affichage environnemental des campings (expérimenté dans l’Hérault justement), maison du littoral, pacte locale à Montpellier pour la transition écologique, autant d’actions d’ores et déjà mis en place qui en appellent d’autres dans une région devenue un véritable laboratoire du tourisme durable, une impulsion et un appel de plus en plus entendu comme en témoigne Caroline Mignon – Présidente d’Acteurs du Tourisme Durable, organisateur de l’évènement : « Nous sommes près de 500 personnes aujourd’hui et n’avons jamais été aussi nombreux à des Universités. En onze ans, nous sommes passés à 250 membres. Et pour cause, nous n’en sommes plus à planter trois arbres mais à reconstituer des écosystèmes de biodiversité ».

D’une crise de foi à une crise de sens ?

Alors, face à l’urgence. Que faire ? Résister ? Contrer ? Œuvrer ensemble ? Agir ? Dé-agir ? Ré-agir ? Jour après jour, c’est toutes les briques de nos étais qui tombent dans la marmite d’une crise de sens et contaminent peu à peu tous les pans de la société, tous les secteurs, toutes les générations. Car force est de constater que le système s’enroue et s’enraye à force de vider de sens la finalité même de nos métiers. Tourisme durable, finance durable, culture durable, sport durable, média durable, ingénieurs durables, tout le monde y vient, chacun succombe à ces questions existentielles qui obligent à regarder le monde autrement. Lors de cette 8e édition des UTD, parole fut donnée à une jeunesse que l’on entend trop peu et qui, elle aussi, s’interroge, doute, et prend son destin en main. Arthur Gosset et Hélène Cloître auraient pu faire carrière, comme on aime à dire (et à croire)…. Jeunes, brillants,  sortis des plus grandes écoles d’ingénieurs et de commerce, leur voie semblait tracée…. mais c’était sans compter la dissonance cognitive et un malaise grandissant ressenti par de plus en plus d’étudiants. En  novembre 2018, lors la remise de diplôme à Centrale Nantes, Clément Choisne, jeune ingénieur fraichement diplômé, livre un discours peu classique devant ses camarades : « Comme bon nombre de mes camarades, alors que la situation climatique et les inégalités ne cessent de s’aggraver, que le GIEC pleure et que les êtres se meurent : je suis perdu, incapable de me reconnaître dans la promesse d’une vie de cadre supérieur, en rouage essentiel d’un système capitaliste de surconsommation. »

Ce même jour de novembre 2018, Arthur Gosset est dans la salle et écoute le discours de son camarade Clément. Ce dernier met des mots sur ce qu’il ressent depuis quelques temps, beaucoup de dissonances, un sentiment de perte de sens. Arthur Gosset : « Depuis 2019, on sent une lame de fond dans les Ecoles, une quête de sens des étudiants. Certains sont poussés à prendre des choix de rupture et ne sont pas compris par leur entourage, par les écoles, par l’entreprise. » Arthur décide alors de prendre une année de césure pendant laquelle il suit six jeunes en rupture. Un documentaire s’esquisse alors :  « Ruptures : les jeunes face à l’urgence écologique ». Parmi ces jeunes, Hélène Cloître, diplômée d’une grande Ecole de Commerce, a également fait le choix de la rupture. Elle refuse un premier CDI d’une agence de tourisme en ligne proposant des voyages à prix cassés…. puis démissionne d’un nouveau poste dans la grande distribution pour lancer une conserverie anti-gaspillage au Mans. Aujourd’hui, Hélène est aux côtés d’Arthur pour présenter Rupture dans toute la France. Elle témoigne : « Aujourd’hui, le greenwashing ne fonctionne plus. Beaucoup de jeunes se détournent des grands groupes et vont vers de petites structures. »

Oser le changement

A l’image d’Arthur et d’Hélène, ils sont nombreux ce jour là dans l’amphithéâtre du Corum de Montpellier à s’être dit que s’ils étaient présents aux UTD, à tenter de mettre toujours et encore plus de durable dans la marmite du tourisme, c’est aussi parce qu’à un moment de leur vie, de leur carrière, de leur parcours, ils s’étaient posé ces mêmes questions, avaient connu les doutes, les pas de côté, les envies d’autres choses, la quête de sens…  Mais nous ne sommes pas toujours égaux face aux possibilités de changement. Les freins, les contraintes peuvent aussi être nombreux. D’autres jeunes, présents aux UTD et réalisant un MASTER Tourisme à Bordeaux ne se sont pas toujours reconnus dans ces discours parfois trop huilés, et qui pêchent peut-être également par une mise en scène presque un trop parfaite. Sophie : « Nous ne nous sommes pas sentis représentés par ce discours. Tout le monde n’a pas toujours la possibilité ou le luxe de changer de voies. Pour beaucoup de jeunes, c’est beaucoup plus compliqué que cela. »

Alors, pour aller plus loin, déjouer quelques-uns de ces freins ou de ces résistances qui nous empêchent parfois d’aller vers le changement, Thibaud Griessinger, chercheur indépendant en sciences cognitives et sociales appliquées en enjeux de transition, a donné quelques clés pour «Aborder les enjeux de transformation écologique des modèles de tourisme par le biais de l’humain et du changement ». Une conférence dont on a retenu quelques étincelles saillantes : intégrer l’humain dans les stratégies de changement mais aussi, prendre conscience que l’urgence à changer n’empêchera pas que tout changement prends du temps (là on retrouve à la fois le paradoxe et le courage qui se meut même en persévérance !), nous ne sommes pas tous égaux pour changer (tiens, tiens…), l’importance de sensibiliser, d’outiller, puis de motiver, d’engager, puis de faciliter et permettre pour enfin accompagner et soutenir. Et finalement cette question : qui doit activer le changement, l’offre ou la demande ? L’offre ajustée à la demande ou la demande influencée par l’offre ? Et de l’importance de proposer des contre-modèles au-delà des représentations figées (ou le syndrome d’ARTE)… Bon, depuis, on a appris que les Jeux Asiatiques d’Hiver allaient se tenir en Arabie Saoudites, à près de 40° le m2, le second degré a ses limites….

The Yellow Train (Train Jaune) on Sejourne bridge – France, Pyrenees-Orientales

L’Occitanie terre d’expérimentation et d’inspiration

Afin de conclure cette matinée de plénière et de matérialiser le courage et les paradoxes d’une profession toujours protéiforme, une table ronde animée par Sandrine Mercier (A/R) réunissait Jean Pinard, Directeur du Comité Régional du Tourisme et des Loisirs d’Occitanie, Johanna Wagner, Senior Advisor ESG auprès d’Extendam, Jean-Christophe Guérin, Co-fondateur d’Ahimsa Voyages et Franck Leroux, Co-fondateur de Evi Hob. On retiendra que Jean Pinard poursuit sa croisade contre Disney Chanel et Netflix quand 66% du temps libre devient du temps d’écran et empêche les Occitans de partir à la découverte d’offres pourtant taillés pour eux : la carte Occ’Ygène (Pass Loisirs), des tarifs préférentiels dans les transports (TER à 1 € !), le rail à prix cassé pour les jeunes, la mise en avant du train avec des modules de voyage clés en main (les Fabuleux Voyages), l’Occitanie Rail Tour, etc. On retiendra également l’initiative de Johanna Wagner, qui pousse les hôteliers à changer de l’intérieur avec son référentiel Label Educ mais aussi, moins commun, qui a lancé Extendam, un fond de pension engagé.

Autre exemple inspirant, celui d’Evi Hob, qui permet de réutiliser des bâtiments touristiques, le plus souvent de petits hôtels en zone rurale susceptibles d’être  être vendus, pour en faire des lieux multi-usages venant s’inscrire dans la dynamique du tissu économique local. Enfin, Jean-Christophe Guérin a expliqué la naissance d’Ahimsa, une véritable réflexion sur l’aérien avec pour idée de prendre l’avion pour les bonnes raisons, une réflexion sur le sens de l’utilité du voyage, les bonnes durées, etc. Des enjeux et là aussi toujours des paradoxes quand comme l’a souligné Jean Pinard, le tourisme ne peut s’inventer sans voyage et le voyage sans transport or 77% des GES sont issus du transport. Avec tous les équilibres à trouver que cela implique. Des équilibres, mais aussi des exemples inspirants, autour de la table, mais aussi au cœur du département (avec des éductours formidables !), et dans toute la région, à l’image enfin de la Feuille de chou spéciale Occitanie sortie pour l’occasion et qui a permis de valoriser des acteurs et destinations engagées tels Puigmal 2900, la démarche RSE menée par l’ADT et les OT du Lot, la gestion exemplaire du Grand Site Canigo, l’engagement du gîte écologique du Mas Rouveyrac, etc.

Comment conclure ? Si ce n’est en rappelant que le tourisme reste envers et contre tout un formidable outil de rencontres et de partages. Certes, il y a une prise de conscience claire et assumée de l’urgence écologique mais les lunettes sociales, le tourisme pour tous, le voyage pour et vers les autres, le formidable levier économique et culturel que représente ce secteur doit aussi être souligné. Et chaque année, lors de la tenue des Universités du Tourisme Durable, chaque région a aussi beaucoup de plaisir à faire découvrir ses atouts, d’autant que la France a cela de formidable que l’on fait un tour du monde à chaque tour de table. Sachons voyager différemment mais poursuivons la découverte, aiguisons les curiosités, les envies, les partages, et bien d’autres chemins buissonniers encore. Alors, l’an prochain, rendez-vous à Aix-les-Bains !?


Courage et paradoxes lors de la 8e édition des Universités du Tourisme Durable qui s’est tenue en Occitanie | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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