Construire son offre touristique avec les habitants – UTD 2020
Thèmatique : Acteur associatif Projet solidaire Territoire
Organisées par l’association Acteurs du Tourisme Durable (ATD), les Universités du Tourisme Durable sont un temps privilégié d’échanges et de réflexion autour des enjeux de développement durable dans le monde du tourisme.
Retrouvez ci-dessous la restitution de l’atelier « Construire son offre touristique avec les habitants » qui a eu lieu lors des dernières Universités du Tourisme Durable à Troyes le 08 octobre 2020.
Intervenants :
- Michaël Dodds (CRT Normandie)
- Caroline Mignon (ATES)
- Clément Simonneau (Les Oiseaux de passage)
Animateur:
- Nicolas Tranchant (ATD / Widetrip)
« A titre personnel lors de vos voyages, avez-vous connu des expériences d’implication des habitants dans la création de l’offre touristique ? »
Clément Simonneau
En Roumanie, il y a un petit village qui est devenu très touristique rapidement. Des personnes extérieures au village sont venus s’y installer pour en profiter en ouvrant des chambres d’hôtes. Cela a créé des tensions avec les habitants. Mais après avoir dialogué ensemble, ils ont mis au point des règles communes de bonne entente. L’une de ces règles prévoit notamment de ne recevoir aucun touriste pendant 3 mois chaque année. Cela permet aux habitants de retrouver le calme de leur village et d’assurer les travaux d’agriculture en toute sérénité. De leur côté, les gestionnaires de chambres d’hôtes n’ont plus le soucis de faire subir à leurs clients les désagréments de certains travaux agricoles.
Caroline Mignon
J’ai deux exemples qui me viennent en tête. Dans le Périgord, il est fréquent en été de pouvoir assister à des marchés gourmands. Des grandes tables sont installées dans un village et tout autour des producteurs et restaurateurs font découvrir leur savoir-faire et leurs produits. Touristes et habitants partagent alors les mêmes tables et se retrouvent ensemble sans distinction. La barrière entre touriste et habitant disparaît alors au moins le temps d’un dîner.
Dans le même ordre d’idée, des jeunes avaient rénové une caravane en Val-de-Loire et se déplaçaient de village en village pour installer leur guinguette ambulante. Cette animation, initialement prévue pour les touristes, faisait également le plaisir des habitants des villages qui bénéficiaient ainsi d’une animation estivale au plus près de chez eux. Là-encore, touristes et habitants se retrouvaient ensemble.
Michaël Dodds
Ma mère me disait toujours « People make places », ceux sont les gens qui font le territoire. Il paraît donc évident de travailler avec les habitants, qui sont les plus à même de parler de leur territoire, pour créer des offres touristiques qui s’appuient sur les atouts réels de la destination. Les habitants eux-mêmes font partie de l’offre touristique.
C’est ce que nous avons voulu faire avec l’opération Secrets Normands avec laquelle nous avons donné la parole aux Normands pour qu’ils dévoilent leurs petits secrets et permettent alors aux touristes de découvrir le vrai visage de la Normandie. Ce fut un processus très lourd en matière d’animation sur une échelle aussi grande qu’une Région et les résultats sont satisfaisants sans pour autant être spectaculaires.
Mais au-delà des chiffres, l’un des aspects positifs (bien qu’intangibles) de cette opération a été de participer au sentiment de fierté des habitants pour leur territoire. Le tourisme dépasse alors sa fonction pour faire œuvre d’utilité sociale.
Et nous n’avons pas eu pour l’instant de problème lié au fait que ces petits secrets aient été révélés. Aucun site préservé n’a subi de sur-tourisme suite à l’opération. Parfois, le secret proposé était simplement un moyen de mieux découvrir un site touristique (comme un horaire où il y a moins de monde).
« Quel est l’intérêt des offres créées par les habitants sur leur territoire ? »
Caroline Mignon
A l’ATES, nous avions initialement une vision du tourisme tournée vers l’international. Notre slogan était alors « découvrir le monde à travers les yeux des habitants ». Pour nous, travailler avec les habitants permet une émulation qui est forcément favorable aux contenus des offres proposées, et surtout permet de créer des offres qui seront mieux comprises et acceptées par les locaux.
Il ne faut pas oublier que les habitants seront forcément impactés par la présence des touristes. Il faut donc veiller à ce que ces impacts soient les plus positifs possibles et répondent à leurs besoins (amélioration des conditions de vie et développement des infrastructures sur place par exemple).
Enfin, si des touristes vont à l’étranger pour faire des rencontres, il faut s’assurer que les locaux soient d’accord avec la manière dont cette rencontre se fera, car pour eux-aussi, il s’agit d’une rencontre avec l’autre.
Clément Simonneau
Avec Les Oiseaux de passage, nous souhaitons créer des guides de voyage d’une destination à la fois par des acteurs touristiques locaux, mais également grâce à des habitants, des artistes, des créateurs… Ceux sont les seuls qui pourront créer des récits originaux, qui pourront définir ce qui « fait Culture » sur leur territoire (et non le marketing territorial d’une destination).
Michaël Dodds
Les prestations touristiques devraient toujours être pensées pour les touristes, mais également pour les locaux. C’est peut-être une idée simple, mais c’est la base qu’il ne faut pas perdre de vue.
Intégrer les habitants dans la création de proposition touristique permet également d’apaiser les relations parfois tendues entre touristes et locaux.
« Comment s’assurer que les habitants soient toujours associés à l’offre touristique ? »
Clément Simonneau
Lorsque l’on développe une offre d’hospitalité, il ne faut pas penser uniquement aux touristes. Il faut se dire que les personnes qui pourront venir dormir dans sa chambre d’hôte, son hôtel, ne viendront pas forcément pour leurs vacances. Ils pourront venir parce qu’ils travaillent dans le coin ou qu’ils veulent être proches de personnes hospitalisées.
En ne ciblant pas uniquement des touristes et en ouvrant son offre aux habitants, un acteur touristique deviendra plus résilient et répondra en plus aux besoins du territoire et de ses habitants.
« Comment éviter que le touriste soit mal perçu par les habitants d’un territoire ? »
Caroline Mignon
Les habitants doivent trouver un bénéfice au tourisme. Ce bénéfice ne doit toutefois pas être que financier, c’est aussi un échange, une rencontre. Et la structure touristique peut proposer des tarifs privilégiés pour les habitants du territoire, ce qui lui permettra d’être mieux acceptée.
Michaël Dodds
Il faut offrir des animations pour les touristes, mais qui profiteront aussi aux habitants. Les événements sont ainsi un bon moyen de faire accepter le tourisme aux locaux.
« Quel a été l’impact de la crise sur les offres touristiques construites avec les habitants ? »
Clément Simonneau
Il est évident que les acteurs touristiques avec un modèle hybride, ouvert aux habitants de leur territoire, ont mieux résisté que des sites comme Giverny, principalement tournés vers une clientèle étrangère.
Caroline Mignon
Beaucoup d’acteurs de notre réseau ont souffert de la crise en France et à l’étranger. Cette crise m’a amené à deux réflexions.
La première est qu’il faut continuer et intensifier nos efforts de sensibilisation de nos partenaires locaux au risque de la mono-activité touristique. Il est indispensable d’avoir des activités complémentaires pour être plus résilient.
La deuxième réflexion concerne les raisons qui ne poussent à voyager. Il faut imaginer le voyage pour les bonnes raisons, c’est-à-dire la rencontre avec l’autre.
Michaël Dodds
La crise a montré une réelle fragilité des acteurs touristiques qui ne dépendent que de la clientèle étrangère. Mais elle a aussi rappelé que le tourisme est lié à de nombreux autres secteurs d’activité : quand le tourisme va bien, il a des bienfaits sur d’autres secteurs.
Caroline Mignon
Les membres du réseau ont tous vu leur CA amputé de 80 à 90 %. C’est une période extrêmement difficile, mais nous avons tous souhaité faire de cette crise une opportunité pour nous montrer plus inventifs. Des apéros-visio ont par exemple été organisés avec des partenaires locaux à l’étranger pour garder le lien. Un autre membre a décidé d’ouvrir son siège social et de le transformer en boutique de produits solidaires (ce qui a très bien fonctionné et lui a permis de payer le loyer de son siège social). Enfin, des rencontres avec des communautés étrangères en France ont été organisées, afin de continuer à favoriser les rencontres et la découverte d’autres cultures.
« Y a-t’il une manière différente de communiquer aux habitants par rapport à celle à destination des touristes ? »
Clément Simonneau
La communication peut être identique, car le plaisir de la rencontre va dans les deux sens, à la fois pour les touristes et pour les locaux.
Caroline Mignon
Le touriste ne veut pas être considéré comme un touriste, et l’habitant ne veut pas être un objet touristique. Les touristes cherchent de la rencontre, de l’hospitalité. Les habitants ne sont pas différents. Car, en définitive, que retenons-nous d’un voyage ? Les rencontres avec les autres et pas forcément les lieux visités.
Et si la question de l’utilité sociale d’un déplacement touristique évoquée par François Gemenne en ouverture des UTD est une notion très intéressante et qui mérite d’être creusée, je pense que le tourisme, s’il est bien fait, est utile parce qu’il peut être un levier de développement pour les habitants et parce qu’il permet de mieux connaître l’autre en réduisant la peur que peut procurer l’inconnu.
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Par Alexandre Tisné-Versailles
Créateur d'activités touristiques innovantes (cabanes dans les arbres, escape game, jeux de piste dans des châteaux…), citoyen engagé dans le Développement Durable et voyageur responsable avec 2 tours du monde au compteur. Rédaction d'articles sur le tourisme durable et la littérature de voyages.
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