Kae Tempest, génie connecté.e
A la fois poète, étoile des scènes du spoken word et théâtrales anglophones et écrivain.e, Kae Tempest est « la voix unique de notre époque » selon The New York Times. Une voix qui vient notamment de s’exprimer à travers son dernier livre Connexion, un essai remarquable autobiographique sur la créativité écrit pendant la période du début de la pandémie. Sa sortie récente coïncide aussi avec la révélation de la non-binéarité de l’artiste. A l’occasion de la sortie le 8 avril de son dernier album The Line Is A Curve, portrait d’un.e OVNI des mots et de la musique qui n’a pas fini de nous faire vibrer, réfléchir, voyager et nous connecter… mais pas seulement à la wifi ou au bluetooth.
C’est l’histoire de Kate Esther Calvert, née en 1985 à Brockley dans un quartier alors populaire du sud de Londres – aujourd’hui largement gagné par la gentrification -. Obsédée par les mots et visiblement douée, Kate est encouragée par monsieur Bradshaw, son professeur de littérature anglaise au lycée. A seize ans, elle se lance dans le slam et le spoken word en participant à des scènes ouvertes hip-hop dans des bars et des pubs sous le nom de scène de Kate Tempest. Elle met aussi sa créativité débordante au service de la poésie, de pièces de théâtre et d’essais.
Une étoile est née et une tempête aussi
Kate tombe amoureuse de la scène. Elle se produit partout : dans des bibliothèques, des cirques, des refuges pour sans-abris, des galeries d’art, des festivals de science-fiction, des pubs, des scènes de théâtre et des salles de concert bien sûr, et même « face au PDG d’une banque internationale sur une montagne privée et à un gang de motards marginaux dans une gargote de fruits de mer sur la côte pacifique en Californie », raconte-t-elle dans Connexion, son dernier livre, avant d’ajouter qu’à chaque performance, ses mains tremblent à cause de son désir irrépressible de se connecter à l’autre. Cette connexion aux autres qu’elle cherche tant et dont elle décrit si bien le besoin et le désir dans son ouvrage, il a fallu qu’elle la trouve aussi avec elle-même, le plus profond d’elle-même.
Kate devient Kae
La tempête Kate devient Kae – d’ailleurs, pourquoi les noms de tempêtes sont-ils presque toujours féminins ? – en août 2020. Elle annonce sa non-binarité sur son compte Instagram : « Cela fait longtemps que je lutte pour m’accepter telle que je suis. J’ai essayé d’être ce que je pensais que les autres voulaient que je sois, pour ne pas être rejetée ». Elle poursuit en disant qu’elle a beaucoup aimé Kate mais qu’il est temps de devenir Kae, prénom asexué qui se prononce comme la lettre « K » en anglais et veut dire dans la vieille langue de Shakespeare le « geais », un oiseau curieux, communicatif, courageux, sachant s’adapter à toutes sortes de situations. Elle ou plutôt iel précise aussi que Kae signifie aussi « choucas », oiseau symbole de mort et de renaissance. « C’est un moment de remise en question à la fois personnelle mais aussi globale. Il ne s’agit pas de savoir quand je vais changer mais de savoir jusqu’où je suis prêt.e à aller pour faire face aux changements et les provoquer en moi-même. Je veux vivre avec intégrité. Et c’est un premier pas« , poursuit Kae dans son post Instagram. Bref, depuis 2020, Kate n’est plus et Kae n’en parle plus qu’au passé.
Connexion, connexion, connexion
Connexion, le cinquième livre de l’auteur.e sort dans la foulée et sous la forme d’un essai autobiographique. Ecrit pendant la première période de confinement de la pandémie, alors que Kae souffre d’isolement et du manque de la scène, l’artiste fait l’éloge de la connexion créative, de la connexion avec les autres, avec le moment présent et avec soi. Mais c’est elle qui en parle le mieux : « Je nourris avec ma propre créativité une relation bizarre et passionnée depuis mes 12 ou 13 ans, une époque où je souffrais de troubles psychologiques, où je me débattais avec un cerveau qui me menait la vie dure, des soucis familiaux et une dysphorie de genre, en m’assommant à coups de drogue et d’alcool ». De ses années sombres, de ses tempêtes et de ses moments d’exaltation sont nées ses réflexions auxquelles on a toutes et tous peut-être souvent pensées sans vraiment les formaliser. C’est fait. C’est un soulagement et même peut-être une porte qui s’ouvre vers plus de réflexion.
Consumérisme et apathie
Dans Connexion, Kae sait aussi mettre les mots sur la société de consumérisme et sur notre apathie : « L’ordre établi compte sur ton apathie. Tu es là pour consommer. Tu n’as aucune autre utilité aux yeux de ceux qui gouvernent. Tu graisses les rouages d’une machine qui s’appuie sur ta complicité et ta malléabilité fervente. On t’a martelé que tu étais une graine qui portait un avenir radieux, absolument splendide, que pour vivre ta vie à fond il te suffisait de prendre part à la compétition. D’être un winner, de consommer« , écrit Kae. Que dire de plus ? Que selon iel, l’industrialisation des inégalités n’a jamais cessé, mais que « réciter des poèmes remet tout le monde au même niveau », que peut-être l’art peut nous (re)-mettre à égalité ?
Lire Connexion c’est comme assister à une performance dont on sort à la fois requinqué, énergisé et enivré, plus lucide, plus ouvert sur le monde. Avec Kae et dans l’ordre des chapitres de son essai, on a installé le matos, on a fait la balance, ouvert les portes, suivi la première partie, on s’est échauffé, on s’est lancé, on a senti que ça prenait et on s’est connecté. Les premiers morceaux de l’album The Line is a Curve qui sortira le 8 avril ne font que renforcer cette nécessité de connexion pour vivre ou survivre dans ce monde « nouveau » post-pandémique si bien décrit aussi dans le tube éponyme de l’excellent groupe Feu Chatterton !
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Par Elisabeth Blanchet
Ancienne prof de maths, je me suis reconvertie dans le photo journalisme en 2003 à Londres où je vivais. J’ai travaillé pour différents magazines dont Time Out London et j’ai développé des projets à longs termes dont un sujet les préfabriqués d’après-guerre, une véritable obsession qui perdure, les Irish Travellers -nomades Irlandais- dans le monde, les orphelins de Ceausescu - je suis des jeunes qui ont grandi dans les orphelinats du dictateur depuis 25 ans -. Je voyage beaucoup et j’adore raconter des histoires en photo, avec des mots, en filmant, en enregistrant… Des histoires de lieux, de découvertes mais surtout de gens. Destinations de cœur : Royaume-Uni, Irlande, Laponie, Russie, Etats-Unis, Balkans, Irlande, Lewis & Harris Coup de cœur tourisme responsable : Caravan, le Tiny House Hotel de Portland, Oregon – Mon livre de voyage : L’Usage du Monde de Nicolas Bouvier – Le livre que je ne prends jamais en voyage : L’oeuvre complète de Proust à cause du poids – Une petite phrase qui parle à mon cœur de voyageur : « Home is where you park it »
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