Vers un réenchantement cartographique avec « La France des Mille lieux »

Jardins, haies, forêts, mer, marais, volcans, glaciers, autant d’ensemble qui composent « La France des mille lieux » sublimés ici par l’écrit, le dessin, la poésie et les cartes dans un ouvrage magistral né d’un collectif visant à « voyager en France en épaisseur, en dévoilant dans chaque territoire ce qui nous relie ».  Un véritable « réenchantement géographique » auquel nous invitent Damien Deville, Cassandre Lepicard, Perrin Remonté et Julianne Sedan pour partir à la découverte de territoires-paysages sensibles.

C’est une très belle introduction qui ouvre cet ouvrage, une véritable ode à la géographie et aux géographes où l’on aurait envie de s’imprégner de chaque mot tant ils sonnent juste et désignent l’impressionnant champs que couvre ce domaine. « Il est une ancienne définition de la géographie que j’affectionne particulièrement, les géographes seraient ces savants érudits qui connaissent la situation des choses. Ils savent où naissent les montagnes et où meurent les rivières, où s’élèvent les capitales du monde et où s’entrelacent les routes, les sentiers, les pistes qui traversent les continents. La géographie, dans cette lumière, n’est pas seulement une science de l’espace, elle devient une science de la rencontre. Une manière de dire les lieux, de les écouter, de les raconter. » Quelque part, à travers ces mots, on réalise aussi tout ce lie la géographie et le tourisme, où invariablement, tout part toujours du territoire pour aller vers l’humain.

Et dans ce voyage en « mille lieux », on découvre autant de jardins : familiaux à Ales ou Bourges, potagers et créatifs au cœur des hortillonnages d’Amiens, créoles aux Antilles, gentrifiés à Marseille, ouvriers à Saint-Etienne où « tout est vert, des maillots de l’équipe de foot aux parcelles de culture qui s’étendent d’une rue à l’autre ». Dans cette cité stéphanoise aux mille jardins, ces espaces familiaux s’étendent sur une superficie égale à 134 terrains de football ! Et connaissez-vous la vie secrète du cimetière du Père Lachaise où la nature a repris ses droits pour le plus grand plaisir des oiseaux et de quelques renards… !? L’un d’eux, au milieux des tombes, nous contemple sur une pleine page, renard malin renard gardien tel kitsune au Japon. Les frontières s’estompent, la magie opère, illustrations, cartes, nous voici au milieu des haies, celles qui ont survécu à l’ouest de la France, pays de la Loire, bocage, où l’apologie d’une feuille devient un poème sensible, « du trèfle, de la ciboulette sauvage, une chouette revêche » et ces fantômes couchés dans l’herbe qui évoquent les chevaux aujourd’hui « disparus des régions françaises » mais dont l’esprit n’est pas mort.

Plus loin une autre page résonne, qui nous souffle qu’un paysage est toujours une œuvre partagée, « L’être se crée en créant son milieu » (Augustin Berque). Alors, en s’installant sur les territoires, les humains le transforment. « Sur l’ile d’Hokkaido, les paysans se sont adaptés au climat froid en sélectionnant génération après génération des variétés de riz. Si bien qu’aujourd’hui, l’île offre ce spectacle surprenant : des pousses de riz, une plante à  l’origine tropicale, sous la neige. » Cette géographe sensible, c’est aussi celle des correspondances et des réciprocités, telle « la forêt amante de la mer », trouvaille de l’ostréiculteur, philosophe et géographe Japonais Hatakeyama Shigeatsu. La géographie est aussi la voie du lien. « La mer se nourrit des forêts ». Malheureusement, le monde est bousculé. Barrages, épisodes climatiques violents, conflits. En novembre 2023, le hêtre de Pontus, symbole de la foret de Brocéliande, n’a pas résisté à la tempête Ciaran. Dans le Beaujolais, c’est l’immense châtaignier de Marchampt, multicentenaire, qui a fini par mourir. Un autre symbole miraculeusement sauvé de l’abattage grâce à la présence de chauve-souris qui en ont fait leur refuge. Un arbre fantôme lui aussi, puisque l’ouvrage n’en parle pas, pas encore…

Course de haie, ces marais« tels des veilleurs têtus », rouges volcans, forêts amantes, les milieux s’enchainent et les illustrations nous emportent. La poésie aussi, l’histoire d’une flaque d’eau, la folle course d’une goutte d’eau, un conte du marais. Course de mille mieux. Et de territoires. Un territoire, avant tout un corps en mouvement, avec son histoire, ses racines, mais aussi son futur en devenir. Une question aussi : Comment aménager les lieux pour influencer les pensées et nourrir l’empathie des communautés ? On retrouve notre touriste et ses interrogations qui font lien. Comprendre le territoire pour mieux le respecter.

Et cette note pleine d’allégresse pour penser ou repenser l’homme comme un allié, tel le chant des marais, dont la petite musique  nous confie que : « contrairement à une idée, la présence humaine n’est pas nécessairement délétère à l’environnement. Elle peut aussi être un moteur pour créer des territoires accueillants pour la biodiversité et ainsi déplacer des perspectives : au fond, la vrai question n’est pas de savoir où les humains peuvent ou non habiter, mais bien de comprendre comment ils peuvent le faire dans chaque territoire afin d’en respecter les équilibres écosystémiques, voire améliorer cet espace au fil du temps. » A l’heure où le tourisme régénératif fait de plus en plus parler de lui, se dire enfin que dans cette France des mille lieux, il y a de place pour tous, avec empathie, sensibilité, et un petit brin de folie.

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La France des mille lieux. Vers un réenchantement cartographique. Damien Deville & Cassandre Lepicard & Perrin Remonté & Julianne Sedan, Ulmer éditions. 192 p. 38 €.