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Le tourisme humanitaire : le décor et son envers

| Publié le 16 juin 2022
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Quelques mois après le début de la guerre en Ukraine,  l’engouement humanitaire « amateur » du début des conflits s’essouffle tout en suscitant un certain questionnement sur le tourisme humanitaire. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet et des problématiques liées à ce conflit en particulier, tentons de planter le décor en définissant ce qu’on entend par tourisme humanitaire ou volontourisme. 

Dossier tourisme humanitaire / volontourisme
Démineur professionnel embauché par Handicap International, Kosovo, 2005 © Elisabeth Blanchet

Définition, exemples et tendances

Un petit tour des définitions proposées pour tourisme humanitaire ou volontourisme converge vers la même idée : Il s’agit d’une forme de tourisme alternatif consistant à proposer ses services à des populations défavorisées au cours d’un séjour à l’étranger via les services d’une association ou d’une ONG. L’idée promue est de voyager au service de l’autre : le voyageur contribue à améliorer les conditions de vie des populations locales pendant une période relativement courte. Mais attention, le tourisme humanitaire se différencie de l’aide humanitaire, qui, elle, constitue un travail professionnel ardu. 

Le touriste humanitaire ou le volontouriste est de passage. Qu’il participe à la construction d’une clinique médicale au fin fond de l’Amazonie, qu’il consacre une année de sa retraite à partager ses connaissances techniques avec des homologues de pays « du sud », qu’il s’engage dans une mission environnementale lors d’une escale de quelques mois pendant son voyage autour du monde, qu’il intervienne sur une mission d’urgence de catastrophe naturelle ou encore qu’il participe à un convoi humanitaire pour apporter des médicaments et du matériel de première nécessité en Ukraine. D’ailleurs dans la surenchère des possibles, on note une dernière nouveauté : le honeyteering – mélange de Honeymoon et Volunteering, qui mêle lune de miel et bénévolat et permet au jeune couple de faire une lune de miel humanitaire… Bref, le champ des possibilités est vaste tant dans la manière d’agir et avec qui, que dans le choix des destinations : Il y a toujours un conflit, une catastrophe et de la misère quelque part. Et il y a toujours aussi, ce besoin tenace de se sentir utile. 

Dossier tourisme humanitaire / volontourisme
Enfants des rues de Lomé, Togo © Elisabeth Blanchet

« Voyage » et « humanitaire » font-ils bon ménage ?

C’est ancré dans nos gènes, cela fait partie de nos cultures judéo-chrétiennes : aider son prochain est inscrit dans son ADN. Et selon Rony Brauman le célèbre médecin co-fondateur de MSF dans les années 1970, l’envie d’engagement ne fléchit pas : « Faire de l’humanitaire, c’est faire quelque chose de bien pour l’autre, c’est une attitude sociale légitime qui coexiste en parallèle d’un processus continu de professionnalisation« , déclarait-il dans une interview à Libération en 2016. Mais dans sa définition figure le mot « professionnalisation ». Pour lui, en effet, l’association des mots « voyage » et « humanitaire » ne colle pas. « Pourquoi vouloir fixer au voyage un autre but que la découverte de personnes, de paysages, de saveurs ? Faire du tourisme en se sentant investi d’une mission, pour être gentil, pour jouer au père Noël avec des livres, des stylos et des médicaments disqualifie le voyage en lui-même. La dissymétrie du rapport rend d’emblée la rencontre impossible. Ce n’est pas de l’ouverture, mais de la condescendance« , clamait-il dans la même interview. 

L’équilibre entre bonne volonté et réel impact local

Pourtant, l’intention est louable et il s’agit de ne casser ni l’élan, ni le désir de s’engager mais de savoir à quoi, à qui et comment on peut être vraiment utile. Il s’agit aussi de réfléchir sur l’impact de ses actions. Bref, cela ne suffit pas d’avoir de bons sentiments. « Après la chute de Ceausescu, nous avions monté avec des amis une association humanitaire pour aider les orphelinats de Roumanie. Nous avons vite compris que la meilleure façon d’aider était d’écouter les réels besoins sur place et de faire ce que nous pouvions pour y répondre : aménagements de dortoirs, installation de l’eau chaude, de douches etc », raconte le docteur Karl Blanchet, alors étudiant et aujourd’hui directeur du Centre des Etudes Humanitaires de l’Université de Genève. « Lors de nos passages réguliers sur le terrain, nous en avons vu défiler des convois avec toutes sortes de marchandises inadéquates comme des céréales périmées par exemple », poursuit-il. Le mot « orphelin » avait et a toujours – on le voit dans des pays d’Asie du sud-est – parle particulièrement au touriste humanitaire qui, en plus d’aider, veut donner tout plein d’amour et, aussi, aime se faire prendre en photos au milieu d’une grappe d’enfants ou aux côtés d’un petit garçon ou d’une petite fille si mignon(ne).

Dossier tourisme humanitaire / volontourisme
Dans un orphelinat de Roumanie © Elisabeth Blanchet

Sans trop dériver vers le cynisme, il faut toutefois se méfier des dangers de ce type d’humanitaire dont l’effet peut se révéler dévastateur sur la santé mentale de ces orphelins. Et les exemples néfastes sont aussi nombreux dans d’autres domaines comme celui des soins. « Je me souviens d’un des pires exemples que j’ai rencontrés en Haïti où des médecins américains et canadiens ont débarqué, ont mis de côté tout le personnel hospitalier local pour faire leurs propres opérations, sans aucun souci de formation, de travail d’équipe. Et puis ils sont partis au bout de 6 mois, laissant tout en plan, sans information sur les traitements aux patients, une vraie catastrophe« , poursuit Karl Blanchet, à propos de ceux qu’on surnomme aussi des « sauveurs blancs ». Il enchaîne sur l’Ukraine : « Au moins, là-bas, les petites associations ne rentrent pas. Elles s’arrêtent à la frontière, à cause de la guerre. Ce sont les professionnels de l’humanitaire qui bossent à l’intérieur ».

Dossier tourisme humanitaire / volontourisme
Réfugiés ukrainiens à la frontière entre la Pologne et l’Ukraine © Elisabeth Blanchet

Monétisation de la pauvreté et campagnes de dissuasion

Du coup, devant le développement récent du tourisme humanitaire – dans les années 1990 dans les pays anglo-saxons et 2000 en France -, des agences de voyage proposant des séjours de volontourisme ou de tourisme solidaire se sont créées. Parmi elles, on trouve malheureusement « à boire et à manger ». Sous couvert d’emploi de mots du registre associatif, d’une communication jouant sur la corde sensible et sur le fait que tout le monde peut-être utile, certaines sont accusées de monétiser la pauvreté, voire de l’entretenir… D’autant plus que les séjours coûtent en moyenne au touriste humanitaire 2 000 euros par personne pour deux semaines, sans compter les vols ! Surtout, faire croire que tout le monde peut aider sur le terrain peut avoir des conséquences néfastes sur le plan local comme pour le touriste humanitaire. On se souvient de la réplique de Patrick Timsit, alias Michou, dans le film La Crise de Colinne Serreau quand Zabou, déprimée, assise à la terrasse d’un bar, dit qu’elle veut « partir en Afrique ou en Inde ». « Pourquoi ? » , balance Michou. « Je sais pas, pour me rendre utile avec Médecins sans Frontières ou un truc comme ça, c’est trop déprimant ici ». Michou lui demande alors si elle est docteur. « Non, je dirige une agence de pub », réponde-elle. « Et ça peut être utile pour les Africains vous croyez ? », rétorque Michou. Toujours aussi déprimée, elle lui répond : « Non, mais ça me ferait du bien, ça me changerait d’air »… Une tranche de dialogue à la fois exquise et avant-gardiste puisque des ONG comme Solidarités Internationales ont fini par lancer des campagnes de dissuasion à coup de vidéos mettant en scène de faux entretiens d’embauche de bénévoles qui « kiffent l’Afrique« , pour lesquels, « ça ne va pas être pire qu’aller à un festival, qui ont plein d’amour à donner, etc ». De faux entretiens qui s’inspirent fortement de vraies interviews ! Enfin, côté volontouristes, le séjour humanitaire peut bien se passer comme tourner au vinaigre et dans ce cas, la bonne volonté entravée du touriste humanitaire a des chances de se transformer en rejet du secteur associatif, une bonne volonté dangereuse qui a besoin d’être cadrée sans être cassée. 

Dossier tourisme humanitaire / volontourisme
Welcome mat – Paillasson brodé à la main avec du tissu de gilet de sauvetage de récupération – oeuvre de l’artiste Banksy sur l’immigration en GB

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Par Elisabeth Blanchet
Ancienne prof de maths, je me suis reconvertie dans le photo journalisme en 2003 à Londres où je vivais. J’ai travaillé pour différents magazines dont Time Out London et j’ai développé des projets à longs termes dont un sujet les préfabriqués d’après-guerre, une véritable obsession qui perdure, les Irish Travellers -nomades Irlandais- dans le monde, les orphelins de Ceausescu - je suis des jeunes qui ont grandi dans les orphelinats du dictateur depuis 25 ans -. Je voyage beaucoup et j’adore raconter des histoires en photo, avec des mots, en filmant, en enregistrant… Des histoires de lieux, de découvertes mais surtout de gens. Destinations de cœur : Royaume-Uni, Irlande, Laponie, Russie, Etats-Unis, Balkans, Irlande, Lewis & Harris Coup de cœur tourisme responsable : Caravan, le Tiny House Hotel de Portland, Oregon – Mon livre de voyage : L’Usage du Monde de Nicolas Bouvier – Le livre que je ne prends jamais en voyage : L’oeuvre complète de Proust à cause du poids – Une petite phrase qui parle à mon cœur de voyageur : « Home is where you park it »
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