Le Guide Vert Michelin a cent ans !
Le 20 novembre dernier, à l’Automobile Club de France, place de la Concorde, Michelin célébrait les cent ans de son Guide Vert, désormais rebaptisé Guide Michelin Voyages & Cultures. À l’occasion de cet anniversaire, ouvert par le directeur des Guides Verts Philippe Orain, quatre tables rondes ont permis de dresser un état des lieux des grands enjeux actuels liant tourisme et patrimoine. Professionnels, élus, directeurs de sites et experts ont rappelé à quel point la question du label, de l’expérience visiteurs, de la création de communautés engagées et du surtourisme sont devenus centraux pour les destinations. L’événement s’inscrit aussi dans l’histoire longue de l’entreprise Michelin, dont les guides et services d’itinéraires ont contribué dès les années 1920 à la démocratisation du voyage et à la découverte du patrimoine français.

Un océan de labels
Consacrée au rôle des labels, à leur utilité et à la façon dont ils orientent les visiteurs, la première table ronde a permis d’analyser comment les directeurs de site s’approprient ces nombreux labels. Pour Olivier de Lorgeril, propriétaire du Domaine de la Bourbansais, un label dépasse la simple réglementation : il structure une démarche RSE, donne du sens au travail des équipes et permet de mesurer les progrès accomplis. À la Bourbansais, l’obtention du label LPO a demandé cinq ans et un travail de fond sur la protection des espaces, des espèces et l’inclusion de tous les pubics (boucles auditives, panneaux en braille). André Barbé, directeur général de la Semitour, voit aussi dans la labellisation un moteur interne : « qu’il s’agisse de Lascaux ou des autres monuments gérés par la structure, la reconnaissance motive les équipes et sert surtout d’outil de progrès ». Quant à Marc Angenault, maire de Loches, il a précisé combien les audits réalisés au sein du réseau des Plus Beaux Détours de France ont permis de fluidifier les flux, d’attirer les visiteurs vers des sites moins connus et de fédérer les équipes autour d’objectifs précis. Enfin, Olivier Amblard, président de France Vélo Tourisme, a rappelé qu’un label, lorsqu’il s’inscrit dans une stratégie claire, ne crée pas l’attractivité mais offre un cadre, une lisibilité et une cohérence.

Quid de l’expérience visiteur ?
Au sein de la deuxième table ronde centrée sur l’expérience visiteurs, l’ensemble des participants ont souligné la nécessité d’équilibrer exigences économiques, gestion des flux et émotion. À Chantilly, Mathieu Deldicque a évoqué le défi d’un domaine de 7 800 hectares, devenu une véritable destination culturelle. La diversité des offres – concerts, nocturnes, événements familiaux – attire plus de 600 000 visiteurs, mais oblige à repenser en permanence les modalités d’accueil. François Nicolas, fondateur d’Amaclio, a rappelé que la technologie ne doit rester qu’un moyen parmi d’autres : l’immersion numérique, comme pour Éternelle Notre-Dame, peut prolonger la visite mais ne remplace pas l’émotion réelle. Au château de Digoine, Jean-Louis Remilleux s’appuie au contraire sur l’événementiel : visites immersives autour de Sarah Bernhardt, spectacles de danse avec Hugo Marchand, ou animations portées par des centaines de bénévoles. Des initiatives qui transforment un site enclavé en véritable lieu de vie culturelle.
Le rôle des communautés
Quid du rôle des communautés et de leur capacité à faire vivre le patrimoine ? C’était le thème de la troisième table ronde. Simon Vasseur, fondateur de la communauté « Garde du Patrimoine » (300 000 followers), a signalé l’importance de l’image pour toucher les moins de 35 ans. Marguerite de Mézerac a décrit comment, au château de Canon, les « fous du château» – des bénévoles investis dans les événements et les costumes – créent un lien fort et authentique avec le lieu. Alexandre Giuglaris, directeur général de la Fondation du Patrimoine, a mis en avant l’engagement des bénévoles et l’impact considérable du Loto du Patrimoine, qui permet de redistribuer chaque année entre 25 et 30 millions d’euros aux sites en difficulté. Pour tous, l’événementiel, la mise en récit et la communication sont des leviers essentiels pour renforcer le sentiment d’appartenance et attirer de nouveaux visiteurs.

Surtourisme ou surfréquentation passagère ?
Enfin, la quatrième table ronde abordait la question sensible du surtourisme. Josy Carrel-Torlet (Centre des Monuments Nationaux) a rappelé que le terme est souvent impropre : la plupart des sites souffrent davantage de sous-fréquentation, même si certains moments – notamment au Mont-Saint-Michel – deviennent difficiles. Le CNM travaille désormais sur des horaires adaptés, des tarifications différenciées et une gestion plus agile des saisons. Jean Pinard a pointé l’évolution des usages du temps libre et l’importance de ne pas pointer du doigt un tourisme populaire quand quatre personne sur dix n’ont toujours pas accès aux départs. Enfin, Didier Arino a insisté sur la nécessité de remettre l’humain au centre : la visite commentée, la transmission, la formation sont des clés pour renouer un lien apaisé avec les sites. Le digital, pour tous, doit rester un outil de préparation et de médiation, non un substitut à la visite réelle.
Seul petit regret sur cette table ronde, aucun intervenant n’a cité le rôle primordial joué par les Réseau des Grands Sites de France dont la mission première est justement la préservation de grands sites touristiques très prisés et la recherche d’un équilibre durable entre la fréquentation touristique et un développement durable. Forts de leur expérience riche et variée qui s’incarne concrètement dans les territoires, ils ont édité courant 2024 le guide « Gestion durable de la fréquentation dans les Grands Sites de France – Méthode et pratiques » à mettre entre les mains de tous gestionnaires de site ! Une petite mention de leur action aurait enrichi les débats et permis de porter à la connaissance des nombreux participants concernés cette précieuse ressource.

Et donc 100 ans pour le Guide Vert Michelin !
Cet anniversaire fut aussi l’occasion de rappeler l’histoire singulière du Guide Vert. Dès 1900, le premier Guide Rouge donnait déjà aux automobilistes les clés pour voyager : carburant, garagistes, hôtels. En 1923, le Bureau d’Itinéraires fournissait gratuitement des descriptions détaillées de trajets : 155 000 en 1925. Les « Guides des Champs de Bataille », publiés dès 1917, ont posé les bases d’une collection touristique qui se structure en 1926 avec les premiers guides régionaux. La couverture devient verte en 1938, marquant la naissance visuelle du Guide Vert tel qu’on le connaît aujourd’hui. Après la Seconde Guerre mondiale, il accompagne l’essor du tourisme culturel et contribue à faire découvrir le patrimoine français à un large public.

Aujourd’hui, le Guide Michelin Voyages & Cultures recense plus de 30 000 points d’intérêt dans le monde et revendique un positionnement clair : accompagner les voyageurs curieux qui souhaitent comprendre, ressentir et s’immerger dans une destination. Et pour marquer les cent ans, Michelin publie une édition consacrée à la France – « France, un voyage curieux et amoureux » sous forme de beau livre, un véritable « Grand Tour » contemporain. Une manière de rappeler que l’entreprise, tout en restant un acteur majeur de la mobilité mondiale, joue depuis un siècle un rôle dans la démocratisation du voyage, dans la diffusion du patrimoine et dans la création de repères fiables.
En guise de conclusion
À l’heure où l’intelligence artificielle, les réseaux sociaux et les influenceurs transforment les pratiques touristiques, ce centenaire a mis en lumière la permanence d’une conviction : voyager reste un progrès. De l’Ariane déroulé par Bibendum au Bureau d’Itinéraires, des Champs de Bataille au Guide Vert numérique, Michelin accompagne l’évolution de notre rapport au monde. Et alors que les crises climatiques, sociales ou économiques questionnent notre manière de nous déplacer, l’événement a rappelé qu’il reste encore tant de destinations à découvrir, mais surtout tant de façons d’inventer le voyage.
——– En savoir plus ———
France, un voyage curieux et amoureux. 100 ans du Guide Vert. Michelin Editions. 2025.

Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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