Un tourisme institutionnel toujours trop genré. Regard de Véronique Brizon, directrice d’ADN tourisme
Malgré un nombre croissant de femmes dirigeantes dans le secteur institutionnel, le constat demeure : des femmes directrices d’offices de tourisme, il y en a, oui, mais (trop) souvent dans des petites structures. Véronique Brizon, j’ai eu l’occasion de parler avec elle de sa vision comme femme et directrice générale de la fédération des organismes institutionnels du tourisme, ADN tourisme. Elle a un parcours incroyable et elle nous livre son regard sur la place des femmes dans ce secteur institutionnel toujours trop genré selon elle.
SOUVENT LA SEULE FEMME AUTOUR DE LA TABLE
Moi c’est Madame et pas mademoiselle (et surtout pas Véro) !!
Après des études en aménagement et en gestion, Véronique prend très vite du galon en devenant directrice adjointe de la Fédération Nationale des Comités Départementaux du tourisme et des Loisirs Accueil. Lorsque le directeur s’en va, la question de la succession se pose et Véronique, une femme, ne fait pas forcément l’unanimité face à toute cette testostérone. Grâce au soutien d’un élu « qui lui a donné sa chance », elle accède au poste de direction de Tourisme et Territoires (fédé des ADT et CDT), poste qu’elle occupera pendant 20 ans.
Vous allez dire qu’on est plutôt sur une « success story » qui reste assez exceptionnelle quand on voit le nombre de directrices femmes d’ADT/CDT ou CRT, peu nombreuses. Mais les réflexions misogynes sont loin d’être rares et il faut surtout voir que ça prend plus de temps pour une femme d’accéder à des postes à responsabilités. Véronique m’a livré quelques anecdotes, plus ou moins drôles, qui montrent bien la mentalité sexiste de certains hommes dans le tourisme. Elle a souvent été la seule femme autour de la table où l’on s’adressait moins voire pas à elle directement ou en l’enfermant dans le rôle de l’accueil café et du compte-rendu.
(In)Égalité, précarité… Mais aussi solidarité féminine
Selon Véronique, ce rôle et cette place de la femme en second rang est ancré culturellement dans nos esprits : charge mentale, conciliation avec la vie de famille, …
D’ailleurs les chiffres le montrent : même si le secteur institutionnel se « féminise », seulement 20% d’entre elles accèdent à des postes de cadres et sans oublier les inégalités salariales, certes en baisse mais toujours présentes.
De plus, la crise COVID a clairement ramené de la précarité dans le travail des femmes, le tourisme institutionnel n’est pas épargné. Les missions en sein des organismes institutionnels du tourisme restent très genrées : la promo et l’accueil aux femmes et le développement et l’observation aux hommes. C’est vrai que si vous regardez la gouvernance des organismes institutionnels du tourisme, ce n’est pas où est Charlie mais où sont les femmes !
Restons tout de même positif.ve.s, les choses avancent (trop lentement mais sûrement) et on voit de plus en plus de mixité dans les profils de poste et davantage de femmes élues ou directrices.
L’ASSOCIATION FEMMES DU TOURISME : ENGAGEES DEPUIS 20 ANS !
Cette association Femmes du tourisme, née en 2005 à l’initiative de 8 femmes dirigeantes (dont Véronique) et travaillant dans le secteur touristique (organismes institutionnels du tourisme, grands groupes hôteliers comme Accor, …), c’est créé suite à la volonté du ministère de l’époque de créer un « club de femmes du tourisme » afin que leur laisser la parole pour s’exprimer librement sur leurs attentes et observations sur les évolutions du tourisme et de la place de la femme.
Le but de l’asso est de faire du networking féminin et de favoriser le recrutement des femmes à des postes à responsabilités. Toutes ces femmes d’influence ont clairement leur rôle à jouer pour faire bouger les lignes. Elles dénoncent notamment, les tribunes 100% masculines des dirigeants du tourisme.
De 8 femmes, l’association compte aujourd’hui plus de 150 membres adhérentes, professionnelles à des postes à responsabilité, représentant les divers métiers du tourisme.
Éduquer pour faire évoluer notre « ancrage culturel » : we can do it !
J’ai demandé à Véronique comment nous pouvions faire évoluer les choses en faveur d’une meilleure place des femmes dirigeantes du tourisme (et merci à elle pour sa franchise).
Pour elle, il faut éduquer, dans l’ensemble des institutions, en commençant par la famille. Des dinettes roses pour les filles et du bricolage bleu pour les garçons, ça n’aide pas à faire prendre conscience que la femme est l’égale de l’homme.
Idem pour l’école, mise à part quelques heures d’éducation civique « obligatoires », « il faut éduquer vos garçons plutôt que d’apprendre aux filles à être dociles », pour reprendre un slogan souvent repris dans les rassemblements féministes.
« La femme, c’est la moitié du ciel, la moitié de la Terre, la moitié du pouvoir »
Il reste encore du boulot, surtout dans des pays latins comme la France où l’image de la femme ménagère est encore très présente, même en 2022. Nous pourrions prendre exemple sur les pays nordiques (toujours en avance sur les questions sociétales).
Et gardons les quotas ! Certes il y a une limite à la discrimination positive (perso, je préfère être invitée dans les grandes messes B2B pour mes compétences et non pas pour féminiser les interventions, ce que l’on m’a déjà dit plusieurs fois). Il faut tout de même voir que grâce à ces quotas, la représentativité des femmes est bien meilleure et s’il faut passer par ce type de démarches pour démontrer que les femmes ont leur place à des postes de décisions (tant politiques que techniques) et bien maintenons-les.
Autre point souligné par Véronique, sur les prétentions salariales des femmes. Les écarts salariaux entre les femmes et les hommes persistent, ce qui m’a fait penser à une discussion que j’ai eu avec une amie (clin d’œil à ST). Elle m’expliquait que les femmes demandent généralement 15% de moins de ce qu’elles valent lors de la négociation des prétentions salariales alors que les hommes négocient 15% de plus. Cette projection mentale pour reprendre les termes de Véronique, que nous avons, nous femmes, de se dévaloriser et de demander moins. Cette amie m’expliquait qu’historiquement les femmes ne travaillaient pas (le travail domestique n’étant toujours pas reconnu même aujourd’hui). A l’époque des premières civilisations, seul le travail des prostituées était rémunéré, projection donc que si nous gagnons bien notre vie, c’est que nous sommes des p*****. (ce ne sont pas les propos de Véronique, il s’agit de ma propre interprétation).
Le mot de la fin selon Véronique
« Ayons confiance en nos compétences et assumons-les même si nous devons accepter que ça prendra plus de temps que pour les hommes ».
Aller plus loin
- ADN tourisme : https://www.adn-tourisme.fr/
- Femmes du tourisme : https://femmesdutourisme.org/
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Femmes et tourisme (autrement)
Par Caroline Le Roy
Bretonne et fière de l'être, j'ai toujours été sensible aux enjeux du développement durable tant dans mon bénévolat associatif que sur mon rapport à la nature. J'ai pu évoluer dans le réseau des parcs naturels régionaux où j'ai eu la chance d'accompagner des acteurs touristiques du changement. Ma sensibilité a rapidement évolué en engagement puis en militantisme. Mon défi professionnel est de développer un tourisme respectueux de la planète et des hommes grâce à l'accompagnement et le conseil aux professionnels sur les nouvelles tendances touristiques et sur les attentes des clientèles toujours plus exigeantes. Enfin je souhaite faire prendre conscience d'une conciliation possible entre transition environnementale et besoin client appliquée au tourisme et au quotidien. Je suis actuellement en préparation d'une thèse doctorale sur le vaste (mais non moins passionnant) sujet de la performance environnementale du tourisme.
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