Alice Benisty-Triay de Perma Social Club : des talons aux bottes
Alice, je l’ai rencontré il y a un peu plus d’un an, elle souhaitait me présenter son agence réceptive « Perma Social Club ». J’ai trouvé super d’intégrer le concept de permaculture à son activité professionnelle et surtout, c’est une meuf qui envoie !! Pleine d’énergie et d’enthousiasme, j’adore !! J’ai profité d’un déplacement à Montpellier pour discuter avec elle du sens qu’elle donne à son travail et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il est courageux de lancer un opérateur de voyage de nos temps !
Success story à la City et perte de sens
Alice est née en Israël et a passé son enfance dans l’Hérault. Après une formation en « tec de co » bilingue (technico-commercial) elle part à Londres où on lui donnera sa chance. Bosseuse et déterminée, la « ville-monde » lui offre une « success story » ! Elle commence dans le secteur du recrutement en informatique et rapidement elle se fait débaucher par une grosse multinationale du BTP où elle occupera un poste d’économiste de la construction. Elle travaillera entre-autres sur l’aménagement des JO de 2012 et devra gérer des budgets colossaux (0.5 milliards £ pour la transformation du parc olympique !!). A l’époque, Alice n’a pas forcément pris conscience de l’urgence et de la gravité de la crise environnementale. En même temps le système s’arrange pour qu’on néglige le problème. Une vie trépidante et décadente qu’elle va aimer pendant 13 ans ! Mais elle devient vite une vache à lait pour son entreprise, enchaîne le surmenage et là : bim, le burn-out ! Ça tombe en plein Brexit et elle ressent une haine grandissante des Anglais face aux européens. Déclic, elle rentre en France et se barre aussitôt en road-trip avec sac-à-dos pour se recentrer sur elle-même.
L’amour du voyage pour « Jo la débrouille »
Pour sortir de sa bulle de confort, elle part à Cuba en mode baroudeuse où elle se confronte à un arrêt dans le temps, retour dans les 1960s ! Elle enchaîne le couchsurfing pour être en contact avec les gens et pas uniquement pour « consommer le territoire ». Elle constate que les gens ont peu, mais lui donnent beaucoup : le contact avec les autres et l’humain d’abord !
À 35 ans, peu de temps après son retour de Londres, la vie ne la gâte pas pour autant car elle se fait agresser. Difficile de se remettre sur une bonne pente, elle se fait aider par le CIDFF (Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles). Et en quête de sens, Alice part alors solo pour un long séjour en sac-à-dos à travers l’Amérique Latine. Et c’est lors d’une période de bénévolat en Bolivie qu’elle se challenge à tester ses compétences dans l’hôtellerie. Véritable prise de conscience, le tourisme crée ce lien qui lui manquait.
De retour dans le sud de la France, cette chauvine montpelliéraine veut, avec un axe écoresponsable, mettre en valeur la beauté des paysages qu’elle connaît et aime tant. Et c’est là que le CIDFF l’aide à monter un dossier de financement pour la reprise de ses études.
Tourisme et permaculture, duo gagnant pour un plein de sens
Elle démarre une licence professionnelle du CNAM sur la création de projet touristique avec comme profs, des gens qu’on apprécie dans le secteur : Brice Duthion, Jérôme Forget ou encore Guillaume Cromer. Bosser dans l’industrie du voyage devient une évidence pour elle. Le tourisme, il est humain et permet de casser le quotidien, notamment par la découverte de l’autre. Initialement son projet portait sur la création d’un lieu d’accueil type écolieu. Elle s’est impliquée dans des initiatives locales, dont une forêt comestible basée sur le respect de la terre. Elle découvre le concept de permaculture qui fait écho à ses valeurs. La perma c’est presque une philosophie de vie ! En complément de sa licence, elle se forme sur les méthodes d’agencement de l’environnement durable et passe un cours certifié de design en permaculture. 2018, l’année du changement pour Alice. Sa sensibilité au développement durable ne fait que grandir. Malheureusement, elle n’aura pas d’apport financier suffisant pour mener à terme ce projet. Pas encore découragée notre Alice, elle décide de créer une agence réceptive tournée sur la permaculture : Perma Social Club.
L’écotourisme local pour semer des graines dans le sol et dans les esprits
À la veille du 1e confinement, elle immatricule son agence réceptive – Perma Social Club. Son crédo : créer des expériences et séjours éthiques, locaux et écoresponsables. Elle met à l’honneur dans ses séjours, des acteurs engagés et implique au maximum les producteurs locaux. Sa philosophie ? Prendre soin de la nature et de l’humain et partager avec les gens par la rencontre. Les séjours qu’elle propose misent sur la proximité, environ 200km de Montpellier, en package et en sur-mesure. Elle accueille principalement des clientèles européennes, profils groupes d’amis et familles déjà engagées et sensibles. Elle souhaite aussi avoir une clientèle de proximité en s’adressant aux français qui souhaitent voyager autrement. Consciente des effets pervers du tourisme sur son territoire, elle propose des séjours décarbonés tournés vers les savoir-locaux. Elle propose plusieurs types de séjours originaux : perma’venture, perma’surprise, perma’bien-être, perma’gourmand ! J’ai personnellement flashé sur 2 suggestions de séjours trop stylés : le Magic-Bus de Toulouse à Nice et l’excursion dégustation de vins proches de la mer (celui-là c’est sûr, je vais le tester !!).
Pour développer son activité elle se fait accompagner par La Ruche, un incubateur d’innovation pour les femmes. Syndrome de l’imposteur quand tu nous tiens, certes elle a beaucoup d’interlocutrices femmes dans son nouveau métier, mais ce n’est pas plus facile pour autant. Mais notre Alice est une winneuse ! Elle a récemment remporté le Challenge open innovation « tourisme : souvenirs et territoires durables » lancé par l’ADEME Occitanie.
Les gens peuvent être cons et le tourisme n’est pas épargné
Sur la question qu’elle se posait : Pourquoi se lever le matin ? Alice a su se (re)construire et apporter de la cohérence entre sa vie perso et pro. Fresqueuse du climat et très impliquée dans le tissu associatif local, elle se dit que le changement de modèle est possible. Elle voit néanmoins qu’il y a pas mal d’entre-soi dans ces réseaux (entre « élite intellectuelle »).
Elle réalise que ce n’est pas facile de vivre de son travail malgré son implication, et, bureaucratie oblige, elle prend conscience de certaines incohérences du secteur du voyage qui n’aident pas les petites structures à se développer. Récemment, on lui a demandé l’accréditation IATA (Association du Transport Aérien International) ou avoir un GDS (Global Distribution Systems), un système de réservation du type Amadeus), pour pouvoir revendre des billets de train ou proposer de la location de voiture, documents qu’elle ne peut obtenir avec son actuel statut, sauf en s’assayant sur ses valeurs et déboursant un joli chèque. C’est le serpent qui se mord la queue : pour développer ton entreprise, il te faut des certifications, documents que tu n’obtiens que si tu dois être suffisant gros et avec des moyens derrière. Même si elle s’agace de certaines paperasses administratives, la philosophie de la permaculture l’aide à gérer d’éventuels conflits grâce à la complémentarité, l’entraide, la communication non violente, les enjeux de nouvelle gouvernance plus horizontale et le nouveau rapport au temps (merci Toltèques !).
La permaculture pour éviter l’effondrement ?
Vu les conséquences de la crise environnementale sur les territoires et les gens, il s’agit aujourd’hui d’apprendre à vivre autrement, de survivre dans cette jungle individualiste et consumériste. Et la permaculture est un bon remède (mais pas LA solution) pour éviter un éventuel chaos (inspiration Pablo Servigne bonjour !).
Le concept de permaculture est théorisé dans les 1970s pour 2 australiens (Bill Mollison et David Holmgren) qui parlent à l’époque d’agriculture permanente. La permaculture « est un mode de culture (ou système agricole) qui utilise des principes d’écologie et des savoirs traditionnels pour reproduire un écosystème naturel dans sa durabilité, sa stabilité, sa résilience (c’est-à-dire sa capacité à revenir à son état initial après avoir subi une modification) et sa diversité ». En d’autres termes c’est observer la nature et respecter le vivant pour trouver un équilibre et l’harmonie entre les éléments naturels. Mais le principe de l’agroécologie ne s’arrête pas aux portes du jardin. Il nous invite, comme Alice le promeut dans ses séjours, à prendre soin des autres (dont la terre) et de partager les ressources équitablement. D’ailleurs on voit des entreprises et organisations appliquer les principes de la perma à la gestion de leur activité. On parle même de « permaculture humaine ». Du système agricole repensé et tourné sur l’existant, la permaculture nous fait prendre de la hauteur, orientée vers un nouveau projet de société humaine plus durable, solidaire et heureuse !
On devrait tous intégrer les principes de la permaculture au tourisme ! D’ailleurs, si nous devenions des « permaculteurs d’expériences touristiques ?
On devrait tous intégrer les principes de la permaculture au tourisme ! D’ailleurs, si nous devenions des « permaculteurs d’expériences touristiques » ?
Pour aller plus loin
- Séjours de Perma Social Club https://www.permasocial.club/
- Le blog d’Alice https://www.permasocial.club/post/au-fond-c-est-quoi-la-permaculture-1
- L’interview d’Alice pour le podcast « plein de sens » https://shows.acast.com/le-plein-de-sens/episodes/lpds-de-la-perte-a-la-quete-de-sens
- Le MOOC du réseau Colibris sur l’agroécologie : https://www.colibris-lemouvement.org/magazine/permaculture-agroecologie-agriculture-bio-quelles-differences
- L’asso Brin de Paille qui œuvre pour développer la permaculture en France https://asso.permaculture.fr/
- Concept de permaentreprise : https://www.permaentreprise.fr/le-modele/
- Dossier permaculture ID info durable https://www.linfodurable.fr/environnement/la-permaculture-une-philosophie-du-soin-et-du-partage-37051
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Bretonne et fière de l'être, j'ai toujours été sensible aux enjeux du développement durable tant dans mon bénévolat associatif que sur mon rapport à la nature. J'ai pu évoluer dans le réseau des parcs naturels régionaux où j'ai eu la chance d'accompagner des acteurs touristiques du changement. Ma sensibilité a rapidement évolué en engagement puis en militantisme. Mon défi professionnel est de développer un tourisme respectueux de la planète et des hommes grâce à l'accompagnement et le conseil aux professionnels sur les nouvelles tendances touristiques et sur les attentes des clientèles toujours plus exigeantes. Enfin je souhaite faire prendre conscience d'une conciliation possible entre transition environnementale et besoin client appliquée au tourisme et au quotidien. Je suis actuellement en préparation d'une thèse doctorale sur le vaste (mais non moins passionnant) sujet de la performance environnementale du tourisme.
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