Un accord historique vers la création du premier Parc national de rivière en Europe
Le 13 juin dernier, un cap symbolique a été franchi dans la préservation des espaces naturels en Europe : au cours d’une cérémonie se tenant à Tirana, capitale de l’Albanie, un protocole d’accord a été signé entre le Premier ministre Edi Rama, la ministre du Tourisme Mirela Kumbaro, le PDG de la marque d’outdoor Patagonia Ryan Gellert et diverses associations – Riverwatch, EuroNatur et EcoAlbania – en vue de la création du futur Vjosa Wild River National Park. Ce dernier constituerait le premier Parc national de rivière créé sur le continent européen, marquant de ce fait un précédent important en matière de politique environnementale. Retour sur cet événement autant chargé de sens que porteur d’espoir…
« Depuis plusieurs années, le bassin de la Vjosa compte huit projets hydroélectriques, mais c’est en fait l’ensemble de la péninsule balkanique qui est menacée par un tsunami de barrages.«
Mais avant de développer plus en détail les implications de cet accord, revenons d’abord sur ce qui fait la spécificité de la Vjosa, ce joyau naturel de la péninsule balkanique. Long de 270 kilomètres, il prend sa source dans le Pinde, massif montagneux de l’Épire dans le nord de la Grèce, traverse l’Albanie d’est en ouest et se jette dans la mer Adriatique. Il est considéré comme le dernier grand fleuve sauvage d’Europe – à l’exception de la Russie – car son cours n’est interrompu par aucune infrastructure humaine. Ainsi, la préservation de son débit naturel et de son transport sédimentaire a permis de maintenir l’équilibre nécessaire à la vie de plus d’un millier d’espèces animales – loutre d’Europe, anguille, loche des montagnes du Pinde etc. -, dont certaines pourraient être très fortement impactées par des projets hydro-électriques. Ses larges plaines alluviales témoignent de l’importance des milieux influencés par la dynamique des crues annuelles et les espèces végétales qui peuplent ses rives se succèdent de manière cyclique, au rythme des inondations. Un très lointain souvenir pour de nombreux fleuves et rivières européens dont le cours a été très largement domestiqué… Les berges de la Vjosa constituent en outre un terrain fertile essentiel pour les activités pastorales et agricoles des populations locales. Depuis plusieurs années, le bassin de la Vjosa compte huit projets hydroélectriques, dont ceux de Kalivaç et de Poçem, mais c’est en fait l’ensemble de la péninsule balkanique qui est menacée par un tsunami de barrages. Face à ces projets titanesques, une mobilisation croissante a vu le jour sous l’impulsion des ONG Riverwatch, EuroNatur et EcoAlbania, notamment à travers le prisme de la campagne Save the Blue Heart of Europe qui mobilise scientifiques, hommes politiques, militants citoyens, acteurs locaux comme internationaux. À cet égard, Patagonia fait partie des soutiens de la première heure, fournissant à divers niveaux son expertise acquise lors de précédentes campagnes de préservation environnementale menées sur le continent américain. Enfin, l’engouement scientifique autour de la Vjosa depuis plusieurs années met en avant le fait que l’intégrité préservée du cours d’eau constituerait un état de référence pour les écosystèmes fluviaux.
« Un groupe de travail soumettra une proposition comportant une vision d’ensemble de la création du futur Parc national. »
Le projet de Wild River National Park prévoit de protéger l’intégralité du bassin hydrographique de la Vjosa, des confins de la Grèce aux eaux bleues de l’Adriatique. Le protocole d’accord signé par les différentes parties prenantes stipule entre autres que : les acteurs en présence travailleront main dans la main pour élever le niveau de protection du fleuve Vjosa à celui de catégorie II de l’UICN – Union Internationale pour la Conservation de la Nature -, à savoir celui de Parc national. Ce dernier doit englober la Vjosa et ses affluents à écoulement libre tels que le Drino. Dans les 45 jours suivant la signature de ce protocole d’accord, les parties mettront en place un groupe de travail sous la direction du ministère du Tourisme et de l’Environnement, qui soumettra une proposition comportant une vision d’ensemble de la création du futur Parc national (zonage et délimitation du Parc, formation de gardes en son sein, mise en place de programmes scientifiques et éducatifs etc.). Une source d’opportunités en matière d’écotourisme pour les populations locales ? Les activités de plein air (kayak, raft, randonnée, observation de la faune) et les sites témoignant d’un riche passé (la petite ville de Gjirokastër est inscrite depuis 2005 sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO) sont légions et ne manqueront pas de laisser le visiteur sous le charme.
« Ce mariage indissociable de la nature et de l’homme est notre nouveau projet pour un développement durable du Parc national de Vjosa.«
À la fin de la rencontre, chacune des parties en présence n’a pas tardé à faire savoir sa réaction. Ryan Gellert, PDG de Patagonia, a déclaré : « Le gouvernement albanais a fait preuve aujourd’hui de vision et d’engagement, et a montré au monde son intention de faire quelque chose d’inédit en matière de protection de la nature. Nous sommes honorés de travailler aux côtés du gouvernement et des ONG et de mettre nos compétences et notre expertise au service de la création du Parc national de la Vjosa. » De son côté, Edi Rama, Premier ministre albanais, a rajouté : « La Vjosa d’Albanie est une force implacable de la nature, la seule survivante des rivières sauvages de notre continent, la dernière veine fluviale qui ne porte aucune trace de contamination due au développement industriel (…). La Vjosa restera le seul plan d’eau sauvage qui, comme au jour de sa création, continuera à témoigner de la merveille qu’étaient autrefois les lits des rivières européennes (…). » Et Mirela Kumbaro, ministre du Tourisme et de l’Environnement, de conclure : « En albanais, Vjosa est à la fois une rivière et un prénom féminin, (…) métaphore parfaite de la nature albanaise, avec ses pierres blanches telles des perles qui captivent le regard, ses îlots de galets où poussent des fleurs sauvages qui parlent le langage des créatures peuplant ce coin d’Albanie. C’est une rivière qui coule sur un lit vieux comme le monde, dont les méandres ouvrent les portes de la frontière avec le voisin grec, puis se jettent dans la mer Adriatique. Mais la Vjosa est aussi un symbole de l’histoire humaine d’une partie importante de l’Albanie, où la femme qui s’occupe du cœur et du foyer est la reine de la maison, tout comme la Vjosa est la « reine sauvage » des rivières européennes. Elle défend son trône avec une belle vigueur, ses tresses ressemblant à celles des femmes de Permet, Gjirokastra, Tepelena, Mallakastra, Vlora, Fier, Memaliaj, Kelcyra (…). Ce mariage indissociable de la nature et de l’homme est notre nouveau projet pour un développement durable du Parc national de Vjosa.«
Pour l’instant, aucune date n’a été fixée quant à la création du futur Parc et il reste beaucoup de travail à accomplir pour véritablement garantir un futur préservé de la Vjosa mais la première pierre à l’édifice semble avoir été posée. En outre, comme le souligne Ulrich Eichelmann, président de l’association Riverwatch, le signal émanant de Tirana peut résonner bien au-delà de la Vjosa. Peut-être sommes-nous en train d’assister à la naissance d’un nouveau modèle de protection des rivières en Europe…
Lien vidéo vers le documentaire Blue Heart qui retrace cette campagne menée dans les Balkans :
Et plus spécifiquement sur la Vjosa :
Par Vanessa Beucher
Photographe, journaliste & traductrice basée à la Grave dans le massif des Ecrins
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