Vers le développement d’un tourisme scientifique en montagne ?
Thèmatique : Initiative régionale Innovation Territoire
Du 24 au 26 juin dernier se tenait sur les hauteurs de la commune de Villar d’Arène dans les Hautes-Alpes la première édition d’un week-end d’astronomie, de botanique d’altitude et de photographie nocturne dans les Écrins. Coordonné par Daniel Zambrano, chargé de mission au Réseau Nature Science Environnement, et soutenu par la région PACA et le dispositif FEADER (Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural), il vise à travers la mobilisation de différents acteurs du territoire à développer une autre forme de tourisme, plus contemplative tout en restant accessible au grand public au niveau des différents savoirs transmis. Retour sur ces deux jours au coeur d’une nature splendide entre prairies d’altitude, jardins botaniques, glaciers et pics majestueux.
Le rendez-vous est donné le vendredi en fin d’après-midi tout près de la place du village à Villar d’Arène. Il fait encore chaud à cette heure tardive même à plus de 1 500 mètres d’altitude ! Nous sommes une quinzaine de personnes à avoir répondu présentes à ce week-end qui va nous faire découvrir ce territoire de la Haute-Romanche sous différentes facettes et en tant qu’habitante de la commune avoisinante de la Grave, je suis d’autant plus curieuse d’y participer car j’ai beaucoup plus l’habitude de parcourir ces montagnes à vélo, en escalade ou en ski de randonnée ! Une expérience aussi bien professionnelle que personnelle en ce qui me concerne… Dans un premier temps, nous nous rendons au moulin d’Arsine en compagnie de Jean-Pierre Jacquier, habitant de Villar d’Arène et président de l’association Du Four et Du Moulin. La construction, en excellent état, regorge en son sein d’objets et d’outils témoignant de la vie essentiellement agricole et pastorale des habitants de ces territoires. Pendant un moment, nous sommes replongés dans ce passé pas si lointain, dans un quotidien rude et bien différent de celui que nous connaissons aujourd’hui, mais ô combien riche en traditions. Jean-Pierre est une véritable mine de savoir et son enthousiasme à transmettre ces pratiques et cette foisonnante histoire est communicatif.
La nuit tombe et il est temps de monter par une piste carrossable sur les hauteurs de Villar d’Arène. Construit à flanc de montagne et jouissant d’un panorama exceptionnel sur le massif des Écrins, La Guindaine est un chalet d’architecte construit à 2 000 mètres d’altitude. Transformé en observatoire astronomique amateur, il est aujourd’hui occupé par l’association Astroguindaine qui organise des stages d’astronomie ouverts aux amateurs comme aux initiés. Après nous être installés, place à la première soirée d’observation des étoiles. Nous sommes chanceux car le ciel est bien dégagé cette nuit-là, pas de nuages ni d’orages à l’horizon ! Jeff Gély installe trépieds et appareils photos en compagnie des participants au stage photographique. Originaire de région parisienne mais désormais basé à Abriès dans le Queyras, sa passion pour l’astronomie et la photographie l’a amené à développer une pratique de la photographie nocturne. Animateur scientifique de l’observatoire de Saint-Véran, il mène de front son activité de photographe en organisant des stages qui permettent de s’immerger dans cet univers si fascinant. C’est la première fois qu’il participe en tant que professionnel à ce genre de week-end croisé. Il trouve intéressante l’idée de regrouper plusieurs domaines autour de la science. ‘C’est très stimulant car chacun a son propre univers. Aussi, le fait de vivre des émotions de façon plus contemplative. Cela nous remet en quelque sorte à notre place d’observer les étoiles.’ Avec quelques notions élémentaires transmises par Jeff, les résultats des prises de vues sont tout simplement étonnants, la magie du ciel étoilé opère ! Nous nous endormons les yeux pleins d’étoiles et curieux de voir ce que la journée du lendemain va nous réserver.
Le lendemain matin, le temps est radieux pour démarrer la journée. Quelques nuages parsèment ici et là l’horizon, coupant momentanément l’intensité du soleil. Nous prenons la direction du col du Lautaret à quelques encablures du chalet en compagnie d’Anne Zanolin, géologue, Docteure en Sciences de la Terre et accompagnatrice en montagne du Bureau des guides de la Grave. Situé à 2 050 mètres, c’est l’un des cols mythiques des épreuves cyclistes et le point de départ de différentes randonnées, dont celle du sentier des Crevasses que nous allons parcourir jusqu’au refuge de l’Alpe de Villar d’Arène. C’est aussi une frontière climatique importante entre les Alpes du Nord et celles du Sud, soumise à des influences complexes, ce qui a donné naissance à une riche biodiversité. Nous entamons notre marche juste en contrebas du col et longeons le versant nord des pics de Combeynot. Bientôt, nous atteignons et traversons une aulnaie, véritable jungle de haute altitude : celle-ci est formée d’une brousse d’aulnes verts, arbustes montagnards spécialistes des situations difficiles (couloirs d’avalanche, versants abrupts). Leur bois souple leur permet de résister à de forts enneigements, ce qui constitue un parfait exemple d’adaptation à leur milieu. L’aulnaie abrite un univers végétal particulier, caractérisé par la présence d’une mégaphorbiaie ou association de plantes opulentes et de grande taille (lys martagon, adénostyle, laitue des Alpes…), qui trouvent ombrage et humidité ainsi que des sols profonds riches en sels minéraux. Une belle preuve de symbiose, ce qui vaut également pour la faune (chamois, Tétras lyre…) qui y trouve un milieu favorable, un abri l’hiver et de l’ombrage l’été.
Nous nous arrêtons à plusieurs reprises pour observer l’environnement qui nous entoure, et à chaque fois, la passion d’Anne se fait sentir lorsqu’il s’agit de transmettre son savoir. Nous avons l’impression d’ouvrir les yeux une deuxième fois ! Entre autres choses, elle souligne la capacité d’adaptation des plantes à leur milieu, telle que leur surface foliaire (des feuilles) réduite ou bien encore la myrtille qui s’est adaptée pour accélérer sa photosynthèse car sa tige verte commence déjà à effectuer ce processus avant que les feuilles ne sortent. Nous atteignons bientôt une partie spectaculaire du sentier, construit dans des schistes à flanc de ravin. De là, la vue est splendide sur les glaciers de l’Homme et du Lautaret. Anne nous retrace les différentes périodes glaciaires et l’évolution des glaciers qui recouvraient toute une partie du paysage à certaines époques, de quoi remettre les choses en perspective… Une fois passée cette section, nous pénétrons sur un plateau d’altitude dans le coeur du Parc National des Écrins. Bientôt, le refuge de l’Alpe de Villar d’Arène, planté dans un superbe décor de haute montagne, est en vue et nous nous y arrêtons pour faire une pause bien méritée avant de prendre le chemin du retour.
Une fois de retour au chalet La Guindaine et au terme d’un savoureux repas, place à l’observation des étoiles en présence de Romane Le Gal et Tancrède Ménard, astronomes à l’IPAG (Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble). Parmi le groupe, certains sont totalement novices en astronomie comme cela est mon cas et d’autres ont des connaissances plus poussées mais qu’importe, le but n’est pas de faire une conférence pour des experts mais de délivrer de façon claire et ludique des notions, des bases de savoir dans un domaine tout à fait fascinant ! Par chance, la nuit est encore dégagée, ce qui laisse à nouveau entrevoir un ciel splendide. À ce titre, les cieux de cette partie des Hautes-Alpes figurent parmi les plus propices à l’observation des étoiles en Europe du fait d’une faible pollution à la fois atmosphérique et lumineuse. Nous apprenons d’abord à reconnaître certaines constellations puis un à un, nous jetons un oeil dans le télescope sorti pour l’occasion. Nous pouvons nettement distinguer Saturne et ses anneaux constitués de morceaux de glace, ce qui est assez vertigineux, car cette planète se trouve à 1,3 milliard de kilomètres de la Terre ! Entièrement gazeuse sans surface solide, c’est la plus lointaine planète visible à l’oeil nu. Pendant ces instants nocturnes, nous observons également étoiles filantes, satellites… Des moments tout simplement magiques, en apesanteur, nous sommes dans une autre dimension…
Romane et Tancrède ont de plus l’art d’expliquer avec la plus grande fluidité des notions qui peuvent être extrêmement difficiles à appréhender. Au cours d’une présentation, ils nous donnent entre autres une idée de l’ordre de grandeur des planètes dans le système solaire, nous expliquent la différence entre une planète et une étoile (cette dernière produisant sa propre lumière par la pression et la température très élevées en son centre, comme par exemple 15 millions de degrés au centre du soleil !) et nous dévoilent quelques détails sur la mission du dernier télescope spatial James Webb, dont les différentes tâches sont de remonter aux origines de l’univers et de détecter la lumière des premières galaxies, apparues peu après le Big Bang, d’étudier leur formation et leur évolution et de mieux cerner la naissance des étoiles. Dans le cadre de son travail, Romane a participé à l’élaboration complexe de cet incroyable télescope, qui a envoyé le mois dernier des images absolument fabuleuses jamais observées auparavant !
La dernière sortie de ce week-end riche en expériences et en enseignements sera consacrée à la visite du jardin botanique du col du Lautaret, un des plus anciens jardins botaniques alpins d’Europe, vieux de plus de 100 ans. Créé en 1899 par le botaniste Jean-Paul Lachmann, c’est un site d’exception situé à 2 100 mètres d’altitude juste au-dessus du col du Lautaret, qui abrite une vaste collection de plus de 2 000 espèces de fleurs des montagnes du monde (flore des Alpes et espèces issues des montagnes des cinq continents), dans un écrin paysager exceptionnel face aux glaciers de la Meije. Également dévoué à la recherche scientifique, il reçoit chercheurs et étudiants tout au long de l’année. Le col du Lautaret, au croisement des Alpes du nord et du sud, jouit déjà en lui-même d’une diversité botanique exceptionnelle, concentrant un quart de la flore française (1 500 espèces sur un total de 6 000 recensées) sur seulement quelques kilomètres carrés ! Guidés tout au long de la visite par une jeune femme en stage au jardin pour l’été, nous déambulons de massifs en massifs, organisés sous forme de rocailles thématiques, c’est-à-dire regroupant les espèces par continents, par biotopes, par familles… Nous observons tour à tour plantes rases des régions australes, différents types d’Edelweiss, splendides pavots de l’Himalaya, ramondes des Pyrénées… Une fois encore, on retrouve dans les explications autour de ces différentes plantes leur formidable capacité d’adaptation à leur environnement. Cependant, il faut préciser que cette année a été jusque-là exceptionnelle par ses températures élevées même en haute altitude et par ses très faibles précipitations par rapport à la moyenne : ainsi, les végétaux ont environ trois à quatre semaines d’avance sur une floraison dite normale… Un constat sans appel des effets du changement climatique et de ses conséquences sur notre environnement. Il ne fait aucun doute que des lieux comme celui du jardin botanique alpin du col du Lautaret sont à l’avant-poste de l’évolution climatique de notre planète, faisant figure de laboratoire d’études privilégié.
Le week-end touche à sa fin et il est temps pour chacun de prendre la route. À l’instar de tout le groupe, Daniel Zambrano, organisateur de l’événement, ne cache pas sa satisfaction. Pour lui, l’expérience est une réussite, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le fait d’avoir fédéré plusieurs acteurs et intervenants locaux, d’avoir ‘mobilisé des acteurs du territoire’ : l’Astroguindaine, l’association Du Four et Du Moulin, le jardin du Lautaret, mais aussi Anne Zanolin, Jeff Gély… Il tient également à souligner le fait ‘d’avoir proposé une expérience visant à développer une forme de tourisme endogène, accessible à tous tant au niveau des connaissances que financier.’ Les pierres semblent ainsi avoir été posées et souhaitons que cette première édition ne soit que le début d’une belle aventure ! C’est en tout cas une initiative originale qui permet d’appréhender ce territoire montagneux d’une autre façon, laissant une plus grande place au rêve, à la contemplation et à une compréhension en profondeur de nos écosystèmes. Car, comme a écrit en son temps Guillaume Apollinaire, ‘il est grand temps de rallumer les étoiles…’
Pour aller plus loin :
.site internet du Réseau Nature Science Environnement : https://www.tourismescientifique.fr/
.site internet du photographe Jeff Gély : https://www.jeffgraphy.com/
.site internet du jardin botanique du col du Lautaret : https://www.jardindulautaret.com/
Par Vanessa Beucher
Photographe, journaliste & traductrice basée à la Grave dans le massif des Ecrins
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