L’essence du voyageur

Mais qui sommes-nous donc finalement après tous ces voyages, ces innombrables écrits, ces interrogations et circonvolutions incessantes pour tenter d’analyser l’essence profonde de cet intenable voyageur qui ne cesse de nous hanter ? Deux ouvrages récents et situés aux antipodes tant sur le fond que sur la forme apportent quelques éléments de réflexion intéressants. « Comment nos voyages parlent de nous ? », nouvel essai du sociologue des voyages Jean-Didier Urbain, se veut une introduction (longue) à une réflexion plus vaste pour tenter d’appréhender « Ce que bouger veut dire » avant d’ouvrir ensuite à tout ce qui se situe dans l’ère de l’imaginaire voyageur. « Fuck ze tourists », au nom évocateur, est une bande-dessinée mordante qui raconte en quelques épisodes bien sentis quelques péripéties voyageuses où l’indécence, le grotesque et l’humour noir forment un tableau aussi réaliste qu’inquiétant.

Introspection voyageuse

Vous avez envie de vous échapper avec quelques penseurs et écrivains qui ont marqué la littérature de voyage ? Ce nouvel ouvrage de Jean-Didier Urbain est pour vous. On retrouve les références qui ont marqué chacun de ses ouvrages, à commencer par Paul Morand et « Le Voyage » mais aussi Jules Verne, Jack Kerouac, John Steinbeck, Alphonse Daudet, Pierre Daninos, Jack London, Robert Fortune et bien d’autres encore. Après s’être penché sur « L’idiot du voyage », « Le Tour de France », les « secrets de voyage », les « mœurs et coutumes balnéaires » jusqu’à « une histoire érotique du voyage », et nous ne sommes pas exhaustifs, Jean-Didier Urbain tente ici de démêler la pelote à l’envers, soit de comprendre comment nos voyages parlent de nous, quels en sont les motifs profonds au-delà des motifs purement administratifs et vidés de sens de l’OMT (Famille, Santé, Loisir, Affaires, etc.) et combien derrière tout voyage se trouve un voyageur unique. Si le propos est extrêmement brillant et la prose bien écrite, on se perd parfois dans des circonvolutions sémantiques qui sont autant de chemins à retrouver. Il en reste quelques extraits saillants que l’on gardera précieusement en tête et que l’on aimerait lire et relire pour les imprimer en soi, telle cette citation qui ouvre la deuxième partie de l’ouvrage consacrée à l’éternelle question (dixit !) – Pourquoi voyager ? Et je cite : « À cette question, une réponse possible pourrait être celle donnée par cette Bostonienne de vieille souche à qui l’on demandait pourquoi elle ne voyageait jamais : « Pourquoi voyagerais-je, répondit-elle, je suis déjà arrivée ! ».

Extrospection voyageuse

Et nous voilà sur les routes du monde avec nos « bidochons voyageurs » alias les « Crétinstagramm » et autres figures épiques du tourisme de « masse », si on ose encore employer ce mot. Page après page, les aventures s’enchaînent avec des pièges à tous les étages. A Venise, les voilà aux prises avec une bande armée occupée une « chasse au touriste » au premier sens du terme… A Val d’Hiver, ils découvrent un domaine entièrement privatisé par quelques richissimes privilégiés qui maîtrisent parfaitement l’art de la dissuasion « touristique ». A Auschwitz, la visite des bâtiments permet de trier le bon voyageur de l’ivraie touristique. Quant à la découverte de Barcelone, véritable rodéo urbain dans une ville gangrenée par le terrorisme sur fond d’overtourisme, elle se fait sous haute protection. Mais aussi des touristes prêts à tout pour la photo choc que ce soit celle de migrants exténués s’extirpant péniblement d’une barque bondée ou de lamas voyageurs que l’on retrouve du Machu Picchu à Louxor. Bref, un festival d’indécence, de vulgarité et de bêtises où toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait sacrément inquiétante…. « Quelle émotion, cela me rappelle le tremblement de terre au Maroc en 2023 ». « L’été prochain mon mari et moi comptons faire une zone de conflit. » « L’ Érythrée ou le Kivu, on hésite encore ». « Vous allez voir qu’il va encore nous sortir le couplet du réchauffement climatique ». « On ne dira jamais assez le mal que ces écoterroristes ont fait à notre planète avec leurs élucubrations apocalyptiques ».

———— A lire chez votre libraire indépendant préféré ————–

Comment nos voyages parlent de nous, ce que bouger veut dire. Jean-Didier Urbain, L’Aube & Huttopia Fondation, mai 2025. 264 pages. 22 €.

Fuck ze Tourists, Maltaite & Zidrou, Fluide Glacial, juin 2025. 56 pages. 13,90 €.