Préserver, restaurer, régénérer : quel avenir pour nos paysages méditerranéens ?
Thèmatique : Éducation Espaces protégés Ingénierie Innovation Territoire
Nos paysages méditerranéens sont de véritables « dynamiques vivantes », menacées par le réchauffement climatique et la rupture des savoir‑faire traditionnels. Un constat alarmant partagé lors de la dernière table ronde du Green Orizonte Festival de Calvi qui a réuni Geneviève Michon, ethnobotaniste, Pierre‑André Cancel, expert en gestion de l’eau et des paysages, Laure Verdeau de l’Agence Bio, et Luis Barraud, spécialiste de la transition agricole. En Corse où le nombre de nuits où la température ne descend pas en‑dessous de 20 °C est passé de 5 par an dans les années 1990 à plus de 40 aujourd’hui, ce constat pose un vrai défi à la résilience agricole.

Laisser faire la nature
Il fut un temps où culture et arbres cohabitaient harmonieusement, chênes rouvres, oliviers ou châtaigniers, fournissaient à la fois fourrage, fruits et ombre aux troupeaux. Geneviève Michon plaide pour une redécouverte des systèmes sylvopastoraux millénaires : Nous avons pris l’habitude de cloisonner agriculture et forêt, arbres et prairies », alors que jadis chênes, oliviers et châtaigniers formaient l’armature vivante des cultures et de l’élevage. En Balagne ou au Haut‑Atlas, ces agro‑forêts‑parcs, entretenues par des trognes et des brûlis contrôlés, nourrissaient cochons et chèvres sans recours à l’irrigation, tout en maintenant une mosaïque de biodiversité. Dans le Haut‑Atlas marocain ou en Castille, ces agroforêts « parcées » ont perduré grâce à une gestion raisonnée du feu et des coupes régulières, maintenant une végétation diverse sans irrigation. Pour Geneviève Michon, ces pratiques millénaires remises à la mode sous le nom d’« agroforesterie » – apparaissent comme des modèles de résilience à portée de main.
Les chemins de l’eau
Pierre‑André Cancel, de l’association Resurgenca, a mis en lumière l’importance cruciale des des « chemins de l’eau » : terrasses en pierre sèche, fossés enherbés et alignements d’arbres nourriciers qui ralentissent le ruissellement, favorisent l’infiltration et rechargent aquifères et ruisseaux. En Corse, l’abandon des terrasses a entraîné la diminution du volume d’eau stocké dans le sol et l’amplification des crues dévastatrices, érodant sols et berges. La hydrologie régénérative propose aujourd’hui de recréer ces infrastructures vernaculaires pour restaurer durablement le cycle de l’eau.

Pour une agriculture biologique
Sur le volet agricole, Laure Verdeau a souligné le rôle moteur de l’agriculture biologique, plus territorialisée et souvent moins dépendante des intrants chimiques. Elle insiste sur le label AB comme outil de souveraineté alimentaire : « Manger bio, c’est préserver nos sols et nos nappes, tout en soutenant une économie locale ». Les chiffres parlent d’eux‑mêmes : la filière bio a mieux résisté à l’inflation (produits bio + 7 % vs + 11 % pour l’ensemble), et les ventes directes en circuits courts tissent un maillage dense de fermes reliées aux consommateurs. Mais l’effritement récent des surfaces biologiques en France montre que le modèle doit être soutenu activement, via des campagnes grand public et des politiques d’incitation
Repenser notre « pacte de domestication »
Enfin, Luis Barraud a invité à repenser notre « pacte de domestication » avec les arbres, les animaux et le feu. Il s’agit non pas d’asservir, mais de co‑produire : refaire vivre les trognes, pratiquer les brûlis contrôlés, remettre les troupeaux dans les agroforêts. À l’instar des castors ou des bergers d’autrefois, nous pouvons inventer des paysages vivants, capables de résister aux températures extrêmes et de nourrir durablement les communautés. C’est cette vision holistique — alliant sciences modernes et savoirs paysans — qui offre, selon les intervenants, une véritable chance de régénérer nos écosystèmes méditerranéens.
En conclusion, l’avenir des paysages méditerranéens repose sur la réactivation de ces dynamiques vivantes : réinventer la coproduction entre l’homme, l’arbre, l’animal, l’eau et le feu, appuyés sur des savoirs paysans millénaires et des innovations scientifiques. C’est en renouant ces pactes de domestication que nous pourrons préserver, restaurer et régénérer des écosystèmes résilients, capables de nourrir durablement nos sociétés face au dérèglement climatique.

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Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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