Balade au cœur des arbres remarquables de Balagne
Il régnait une effervescence un peu particulière au pied de l’école d’Aregnu en ce petit matin de mai. Cyclistes, randonneurs, coureurs, festivaliers, un véritable chassé-croisé dominical et quelques gouttes pour arroser sobrement cette dernière journée du Green Orizonte Festival. Parmi les nombreuses animations proposées, deux balades apprenantes : l’une sur l’eau, ressource en partage ; la seconde sur les paysages et arbres remarquables d’Aregnu, pour « apprendre à voir ». Nous avons choisi de suivre cette dernière, guidée par Ruben Galleta, jardinier-paysagiste, et Geneviève Michon, ethnobotaniste. Ce duo passionnant et complémentaire nous a offert une plongée fascinante dans l’univers des arbres, de la cime à la racine.

Aregnu, le pays de l’olivier
À Aregnu, il y a les arbres et il y a l’Arbre, le roi, celui qui règne sur le village, j’ai nommé l’olivier, souvent taillé en trogne pour rajeunir le cœur. Nous passons devant l’ancêtre, le plus vieil arbre du village. Ruben Galleta : « La taille en trogne est bonne pour l’arbre, une connaissance paysanne qui vise à tailler l’arbre sans abuser ». L’arbre regagne ainsi en vitalité, en jeunesse, en résistance à la sécheresse, ses feuilles et pousses permettront de nourrir les moutons et les chèvres. Mais la trogne, au-delà de ses bienfaits, est aussi un véritable réservoir d’informations pour les chercheurs. Comme les vieilles personnes, les arbres portent la mémoire et l’histoire des villages, leur peau sont marquées par les vicissitudes des années qui ont passés. Il faut savoir les voir, les écouter raconter. Ruben vient souvent les voir, les écouter, les élaguer : « Les oliviers fournissent des signaux d’information sur le passé, ils possèdent leur propre code génétique. Ils ont résisté à tout ! » L’olivier mémoire du monde, mémoire de la Corse, mémoire d’un village.

Le pacte domestique entre l’homme et l’arbre
Geneviève Michon travaille depuis des années sur le pacte domestique entre l’homme et l’arbre. Un livre est à paraître, prochainement. Au pied de l’olivier, elle raconte la Corse délaissée, le pacte rompu entre les hommes et les arbres. « Quand on domestique un arbre, une greffe, une taille, on engage quelque chose avec lui, on le considère, on s’engage à le soigner toute sa vie. » En Corse, l’olivier et le chêne vert ont longtemps été les rois. Mais, les hommes sont partis, laissant les terres aux maquis, aux vaches, au marronnage. Les arbres sont morts, de maladie, d’abandon. « Quand on fait une trogne, il n’est pas sûr que l’arbre réponde à votre projet. Tout est affaire de coproduction, de collaboration. Il nous faut retrouver une partie de ce pacte. » Pour Geneviève Michon, il y a une écologie des arbres comme il y a une écologie du feu, une façon de faire avec, de comprendre le maquis, d’arrêter une rhétorique guerrière qui vise à éliminer, supprimer, démaquiser. Un nouveau pacte est à retrouver qui permettra aussi aux jeunes de s’installer, de comprendre ce qui se joue, d’investir dans l’avenir plutôt que d’épuiser les fonds publics à coup de Canadairs comme autant de pansements.

Ces plantes qui s’amusent des hommes
Si l’homme a souvent des jugements moraux sur les plantes, les bonnes, les mauvaises, les invasives, les plantes savent aussi le taquiner en retour. Certes, certaines sont arrivées plus tard, ne sont pas forcément endémiques, mais l’histoire du monde n’est-elle pas faite d’échanges ? Geneviève Michon nous rappelle que les plantes ne sont pas là par hasard, elles ont un rôle à jouer. Certaines décompactent le sol, d’autres s’installent au bord des routes, bio-accumulatrices, elles nettoient d’anciens sites industriels puis disparaissent. Un ouvrage, « Les plantes du chaos », apporte un nouveau regard sur les plantes invasives. « Si on n’avait pas été chercher les légumes d’Amérique du Sud, aujourd’hui, on mangerait des navets et des choux. ». Il faut rester humble. En Corse, les griffes de sorcière sont considérées comme des invasives, mais, après les feux, elles permettent de réparer les sols, elles les humidifient, et ne sont pas seulement utiles, elles sont belles. Pourquoi les humains ont-ils décidé que c’était une mauvaise plante ? Le monde vivant est fait d’adaptation, de concurrence. Il en va de même avec les plantes.

Au pied de mon arbre
L’arbre prend son temps. Et il faut prendre aussi le temps de l’arbre, toute une vie, dessus, dessous, avec des racines, des champignons, tout un monde invisible qui communique et se rend service. Ruben se penche, caresse le sol, explique son mystère : « Le sol déteste être à nu. Quand on enlève les arbres, des plantes pionnières le recouvrent. Un sol à nu est une aberration pour la vie. » Viennent alors les ronces, première phase de la reconstitution de la forêt, berceau du chêne, qui protègent ses jeunes pousses. Les arbres peuvent ensuite grandir, se multiplier, connectés entre eux par un réseau de mycorhizes. « Il est important de couvrir les sols, de faire comme une toile, car 20 % de l’énergie de l’arbre vient de ces champignons que l’on trouve à ses pieds. » L’arbre, cet être intelligent dont la recherche découvre de plus en plus les trésors, les bienfaits, les associations, les vibrations synonymes de bien-être, les graines de demain. Geneviève Michon : « Aujourd’hui, des chercheurs, des agriculteurs, inventent les systèmes de demain pour et par le vivant. Je ne voudrais pas vivre à une autre époque. On ne peut qu’être enthousiastes. ». Des mots qui tranchent avec l’époque, qui font du bien. Il y a de vraies raisons d’être optimiste !
La parabole de la gazelle et de l’acacia
L’arbre ne peut pas fuir mais il peut développer des mécanismes pour se défendre. C’est le cas de l’acacia qui, lorsqu’il est brouté, produit de l’éthylène, un gaz volatile qui agit comme un signal d’alerte pour les arbres voisins, qui déclenchent à leur tour une production accrue de tanins défensifs. À l’instar des acacias, certaines plantes « sentinelles » libèrent des molécules volatiles pour prévenir les voisines d’un stress (sécheresse, chaleur, attaque d’insectes), c’est le cas des cyprès qui résistent au feu et qui, quand la température de l’air monte, envoient dans l’atmosphère des molécules d’alerte pour avertir les animaux. A l’instar des arbres, les racines aussi perçoivent ce qui est bon pour elles, des chercheurs de Clermont-Ferrand ont montré qu’elles savaient se diriger vers l’eau en fonction du bruit, prouvant qu’elles perçoivent leur environnement de manière sensible. Geneviève Michon : « Il faut réhabiliter le savoir du monde. Il ne s’agit pas là de bon sens paysan mais bien de science ! ». Et si les arbres étaient la solution ?
——— Aller plus loin ————
Agriculteurs à l’ombre des forêts du monde : Agroforesteries vernaculaire, Geneviève Michon, Actes Sud / IRD Éditions, 2015.Ce livre propose une analyse ethnobotanique des pratiques agroforestières traditionnelles à travers le monde, mettant en lumière la relation entre les agriculteurs et les forêts.
Les Arbres, entre visible et invisible, Ernst Zürcher, Actes Sud, 2016.Cet ouvrage explore les multiples dimensions des arbres, mêlant savoirs scientifiques et traditions, pour révéler les aspects visibles et invisibles de ces êtres vivants.
Les Plantes du chaos : Et si les pestes végétales étaient des alliées ?Thierry Thévenin, publié aux éditions Lucien Souny en octobre 2021 aux, avec une préface de Pablo Servigne et des illustrations de Jacky Jousson. Dans ce livre, Thierry Thévenin, herboriste et producteur de plantes médicinales, propose une réflexion sur les plantes souvent qualifiées de « pestes végétales » ou d’« invasives » : jussie, ailante, ambroisie, arbre aux papillons, renouée du Japon, armoise, etc. Plutôt que de les considérer uniquement comme des nuisances, l’auteur invite à changer de regard et à envisager ces plantes comme des alliées potentielles dans la régénération des écosystèmes dégradés. Il suggère que leur présence peut être révélatrice des déséquilibres environnementaux causés par les activités humaines et qu’elles pourraient contribuer à panser les plaies de nos actes les plus désastreux.

Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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