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Nastassja Martin, le baiser de l’ours

| Publié le 7 avril 2020
Thèmatique :  Livres 
             

Le 25 août 2015, dans les montagnes du Kamtchatka, péninsule volcanique à l’extrême est de la Russie, Nastassja Martin tombe nez à nez avec un ours. Un corps à corps sanglant emportant un bout de chair et d’âme aux deux protagonistes.

© Harald Deischinger Flickr CC

Spécialiste des peuples autochtones du Grand Nord et passionnée par la pensée animiste, Nastassja Martin effectue son premier terrain chez les chasseurs-cueilleurs Gwich’in, en Alaska, avant de passer en face, en Russie, chez les Évènes, éleveurs de rennes du Kamtchatka. Elle travaille sur leurs us et coutumes et sur l’animisme qui régit leurs croyances. On saisit très vite la passion qui l’anime, son engagement total et son regard attentif sur ce qui l’entoure. Même novices en sciences sociales, on comprend l’idée clé de son travail d’anthropologue : l’être humain partage avec les autres membres du vivant un fond commun, « une intériorité», une âme.

Dans son livre, Croire aux fauves, elle pose d’emblée ces mots : « C’est une naissance puisque ce n’est manifestement pas une mort.» Son expérience ne se résume pas à l’attaque d’un animal sauvage sur un être humain, mais plutôt à un échange. Pendant cette terrible étreinte, elle a reçu « le baiser de l’ours » et ce souvenir hante sa reconstruction. L’ours lui a pris un morceau de sa chair et lui a donné un bout de la sienne. Il lui a pris un morceau d’elle, de son âme. Il faut réparer le visage détruit mais aussi l’identité de la femme qui est derrière. Dans l’enchaînement d’épreuves médicales douloureuses entre la Russie et la France, l’anthropologue prend le dessus sur la blessée. Ce n’est plus l’histoire incroyable d’un ours qui lui croque le visage au bout du monde, c’est l’histoire d’une femme sacrément humaine en pleine renaissance.

De son expérience grave, elle agrandi d’emblée la réflexion : « Un ours et une femme se rencontrent et les frontières entre les mondes implosent ». Dans son récit intime et profond, elle explore les relations entre les humains et les autres êtres vivants. Les questions se suivent naturellement, on veut savoir, tout comme elle, qu’est-ce qui l’a menée au face à face avec l’ours. Son ouverture d’esprit et sa curiosité nous guident sur les terrains de la psychanalyse, du chamanisme et de l’animisme, et offrent une réflexion sur l’altérité et la métamorphose. Elle casse nos idées préconçues et nous convainc que les trajectoires de vie se croisent toujours pour des raisons bien précises.

Les éleveurs de rennes, dont les croyances sont marquées par l’esprit de l’ours, lui dévoilent leur interprétation de l’évènement. Eux qui la surnommaient déjà Mathuka, l’ourse, lui confient que « les ours ne supportent pas de regarder dans les yeux des humains parce qu’ils y voient le reflet de leur propre âme ». Désormais surnommée Miedka, « celle qui vit entre les deux mondes, celui des hommes et celui de la nature et des esprits », elle effraie par sa nouvelle identité et n’est plus vraiment la même. Alors même que sa reconstruction physique n’est pas terminée, elle repart coûte que coûte au Kamtchatka avec ses cicatrices et son besoin de comprendre et vivre son nouvel état.

Vue satellite de la péninsule du Kamtchatka_ Wikimedia Commons

Son livre est une ode poétique et politique à l’équilibre entre les espèces vivantes, à l’harmonie avec la nature, au besoin urgent de faire monde autrement. On pense au dernier récit de Sylvain Tesson et sa déclaration d’amour aux bêtes sauvages, à la panthère des neiges. Ouvrir l’œil, être à l’affut de ce qui n’est pas forcément visible et rationnel. Beaucoup de questions et peu de réponse si ce n’est « l’incertitude : une promesse de vie ». Se réinventer, se métamorphoser pour faire sienne cette terre que l’on malmène, s’adapter au vivant et non l’inverse, comprendre qu’avec lui, nous partageons une âme. Du début à la fin, on est dans la chair, le cœur et la tête de Nastassja, véritable guerrière. Son écriture poétique embrase et nous emmène sur le parcours initiatique d’une grande femme, celle qui a embrassé l’ours.

NASTASSJA MARTIN, Croire aux fauves, Collection Verticales, Gallimard (2019)


Nastassja Martin, le baiser de l’ours | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Sophie Squillace

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