Carnet d’aventures en Amazonie française – Episode 1 – Premiers pas en Guyane
Cayenne la douce
Si vous aimez les bourgades tropicales assoupies au soleil, vous aimerez Cayenne. En dépit du frémissement économique que l’on sent vibrer ici depuis quelque temps (tant de grues s’agitant à la périphérie ne sauraient tromper), Cayenne conserve une langueur d’avance. Avec sa pente douce l’inclinant vers la mer, ses rues taillées au cordeau à l’américaine, ses perspectives ouvertes et ses ruelles peuplées de maisons créoles en bois peint et toits de tôle, déambuler dans la capitale de l’Amazonie française demeure un vrai bonheur. Plus de 500 maisons furent érigées ici au XIX° par les anciens esclaves à qui la découverte de l’or et une main d’œuvre corvéable à merci – ces bagnards qui furent jusqu’à 20.000 à la fois ! – donnèrent, un temps, tous les moyens.
Fortes rencontres
Et puis il y a la célèbre place des Palmistes, érigée de… palmiers ! Son non moins célèbre Café des Palmistes où, en terrasse, la Jeune Gueule (jeu de mots), savoureuse bière locale, se marie parfaitement à votre soif et votre méditation du moment. Car en jouisseur averti, vous aurez attendu, avant de céder à sa divine fraîcheur, que votre guide, Erwan, vous ait fourni les mots et les histoires légendant les images : ces restes de fortification, ces superbes bâtiments coloniaux, ces maisons familiales bâties autour d’un patio : pour qui ? Pourquoi ?… Ancien légionnaire tombé amoureux de la Guyane, ancien guide de forêt et moniteur de survie, Erwan le généreux sait tout, montre tout, explique tout : les échecs successifs de la colonisation et ses dizaines de milliers de morts (fièvre jaune), l’arrivée de sœur Anne-Marie Jaboué et ses 50 orphelins, qui prend les choses en poigne, l’éternelle bagarre contre les Anglais, la fièvre de l’or, le bagne et pourquoi, enfin, en lieu et place du buste de Marianne, c’est ici celui de Charlotte Corday (la femme qui assassina Marat, souvenez-vous) qui trône au cœur de la place d’Armes !
On sait qu’un bon guide assure 70% du bonheur éprouvé à découvrir un lieu inconnu. Quand vous quitterez Erwan, Cayenne n’aura plus guère de secret pour vous et vous aborderez bien mieux cette terre multiple et complexe. De toute façon, en Guyane, les secrets ne résistent jamais longtemps : ils fondent avec les glaçons du Ti punch. Vous pouvez envisager le premier du séjour au marché ; un marché comme on les aime : encore dans son jus, épargné par les dernières directives européennes et proposant ces mosaïques colorées de fruits et légumes qui font le bonheur des photographes. Visite et emplettes une fois effectuées (prenez des fruits en réserve pour la forêt et de la purée de piment « Toko » pour l’effet « petite madeleine de Proust » au retour), commandez chez Tommy Lee, sous le couvert et pour 5 euros, le meilleur Pho (prononcez « feu », la soupe vietnamienne) que vous aurez jamais dégusté. Même à Hanoï ou Saïgon (on ne dit plus Saïgon, je sais).
Ah ! On est quasi sur l’Equateur ici, pas de crépuscule. Et Cayenne se couche tôt. Très. A deux heures de route, vous attendent les 100.000 ha de réserve naturelle des marais de Kaw ; alors moi je dis : taillez la route ! Nous, avec Didier (les photos, là, sous vos yeux), c’est ce qu’on a fait.
La réserve de Kaw
Et Guillaume prit le relais d’Erwan. La Guyane, c’est bien simple, est une terre de passions et de passionnés. Rares sont ceux qui y font leur trou sans avoir de l’énergie plein les bottes et un cœur gros comme ça. Durant quelques décennies, il faut l’avouer, ma Guyane chérie s’était un peu assoupie, avait pris ses aises ; on y visait en priorité les emplois de bureaux, mais en forêt, il faut a-ssu-rer et vous aurez toujours l’impression que vos guides ont trois fois plus d’yeux et d’oreilles que vous. Or donc, à Kaw Roura, vous filez en pirogue sur les canaux entourés de hautes herbes tandis que le soleil décline. Quelle paix ! Partout des oiseaux dont Guillaume-Œil de Lynx vous dit les noms. Il les repère une bonne minute avant vous (« sur la branche basse, lààààà »), l’habitude et la réactivation animale des sens, j’imagine. Des parfums in-con-nus (en forêt, ce sera encore plus net), des odeurs aussi (quelques fermiers élèvent des zébus pas loin, mmmhh) et puis le canal se resserre, encore et encore, et vous devez abandonner la pirogue pour poursuivre en canoë. Les premiers arbres hauts perchés sur leur entrelacs de racines vous impressionnent fortement. Ce n’est rien encore pourtant, comparé aux arbres cathédrales et autres fromagers titanesques que vous croiserez en forêt, mais quoi : ce sont vos premiers.
De retour à la pirogue, Guillaume sort le kit apéro et vous passez sous le carbet, mot qui désigne ici tout campement de bord du fleuve : de la bâche plastique passée sur des branches au mini resort avec bungalows individuels et vrais lits. En général, le carbet est un haut toit de tôle monté sur des piliers de bois entre lesquels on tend les hamacs et fait sa cuisine : un coin pour le feu, une table et des bancs et puis, toujours, dans un coin, un peu de sel et une bougie pour le visiteur de passage : un curieux, comme vous, mais aussi bien un chasseur, un clandestin ou un garimpeiros (orpailleur illégal). Pas ici, bien sûr, c’est une réserve, mais partout ailleurs.
Les yeux rouges
Guillaume sert le planteur tandis que les premières lucioles nous émerveillent. Retour en pirogue sous un ciel grouillant d’étoiles, pied total, d’autant que la « chasse » aux caïmans est ouverte. Si la nuit, les pupilles de la plupart des animaux reflètent la lumière des torches, celles des caïmans, protégées par plusieurs membranes, s’apparentent à des feux de détresse. Enfin pour Guillaume et sa lampe de pro, surtout, même si, avec nos frontales (vivement recommandées ici), on garde quand même une petite chance. L’Amazonie, c’est le contraire de l’Afrique : peu de densité et une grande diversité d’espèces. Le jour, grossiers et bruyants que nous sommes, les animaux ont le dessus et se cachent, la nuit, le reflet rouge des leurs yeux nous redonnent une chance…
Malheureusement, de la même manière que des décennies de chasse (pas de permis nécessaire) ont dépeuplé la côte guyanaise d’une bonne partie de son gibier, l’intensité des visites sur la réserve et la voracité de certains opérateurs souhaitant prendre à la main (eh oui) davantage de petits caïmans que leurs concurrents pour les montrer aux touristes, ont rendu les reptiles bien plus timides et le jeu moins drôle. M’enfin, nous en voyons quand même quelques-uns, et de très près pour certains.
Là-dessus, Guillaume nous effectue un vol plané piroguien magistral sur les hautes herbes qui nous pose à quelques mètres seulement d’une famille de cabiais, ces adorables cochons d’Inde passés à l’agrandisseur (x 20 au moins, c’est le plus gros rongeur du monde). Même qu’on descend de la pirogue pour les observer un bon moment avant qu’ils ne trottinent ailleurs. Génial !
Moins géniale, l’info glanée en croisant une autre pirogue juste avant d’arriver à « l’embarcadère » (la route s’achève dans l’eau, point-barre) : « Ola ! Vous connaissez le résultat du match ? » on demande (C’est les barrages pour la Coupe du Monde, ce soir, quand même !).
– 2-0… Les Bleus ont pris 2-0 en Ukraine
– C’est pas possible ?!!!
– Sérieux.
Même pas grave, parce que nous, pendant ce fiasco, on a vu plein de bêtes et appris plein de trucs. Merci Guillaume ! Allez : deux heures de route pour rejoindre Cacao et la suite de nos aventures. Appuie sur la semelle, Dimitri !
Liens utiles
Erwan : http://www.guyarando.com/
Didier : https://www.facebook.com/didier.nion.5
Guillaume : http://www.tigdilo.fr/
Remerciements au Comité du Tourisme de Guyane qui nous a permis de monter ce reportage.
Et à la compagnie Air France qui nous a transporté dans notre coin d’Amazonie.
LES AUTRES ARTICLES DE CE DOSSIER :
Carnet d’aventures en Amazonie
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- Episode 2 : La forêt de bas en haut
- Episode 3 : De fleuve en fleuve…
Par Jerome Bourgine
Ecrire et voyager. Voyager et écrire... Depuis 50 ans.
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