Carnet d’aventures en Amazonie française : De fleuve en fleuve…
Rencontre improbable…
L’aventure se prolonge par un peu de cabotage fluvial. Sur le fleuve Kourou, tout d’abord, où, avec Didier, on hallucine en découvrant… la même chose que vous : en pleine jungle, surgie au détour d’un virage, Madame Mère en déshabillé rose et ses trois Grâces sorties nous accueillir au seuil de ce qui constitue sans doute l’unique carbet zen de toute l’Amazonie.
Un lieu conçu dans le plus bel esprit balinais, pour le confort du corps et la plénitude de l’esprit. Grégory, qui fréquente le fleuve depuis son enfance a voulu faire de son Wapa Lodge un lieu unique et y est parvenu. Un défi compte tenu des contraintes locales (l’humidité proche des 100% en permanence, notamment). Ici, l’obsolescence dont on parle tant depuis quelque temps n’est pas vicieusement programmée, mais rendue inéluctable par les conditions climatique, et la superbe déco de l’endroit doit donc être renouvelée constamment. Pas le mobilier, heureusement, artistiquement conçu pour une bonne part, avec le bois flotté d’anciennes pirogues.
Mais, on le sait, l’habit seul ne fait pas le moine bouddhiste, aussi le grand mérite de Grégory est-il avant tout d’avoir su réunir autour de lui une équipe de gens aussi compétents qu’adorables, partageant à la fois son peacefull spirit et son souci de perfection. Choyés comme deux coqs en pâte, Didier et ma pomme continuons d’halluciner entre les mains expertes de Karim et Nolwenn, formateurs en médecine traditionnelle et soins énergétiques. Si un massage à deux mains permet d’éveiller une à une les notes de votre corps, quand elles sont quatre à travailler de concert et en rythme, on entre dans une autre dimension de cet art tactile, extatique et bien plus profond qu’on imagine.
Et le soir, après un surcroît de détente sur les transats massifs de la terrasse en bois construite au bord du fleuve (dont l’eau est à température parfaite pour se rafraîchir en plongeant depuis le ponton!), une fois les centaines de lumignons et torches allumés, dans cette atmosphère paradisiaque dont la B.O. – as usual – est assurée par la forêt environnante, on se retrouve tous à table : clients, capitaine, équipage et prestataires pour savourer les merveilles qu’a préparé Pascale (une des meilleures tables d’hôte de Guyane) assistée de Madame Mère. Puis papotage et chacun rejoint son bungalow, sachant qu’il existe, pour les amoureux, un superbe cocon nuptial, style marsupilami chic, avec lit à baldaquin et déco assortie.
Au départ sceptique sur la pertinence d’un tel concept en un tel lieu, nous repartons conquis par les moments uniques que nous a proposés cette association de bienfaiteurs. Et maintenant : direction le camp Cariacou ! En pirogue, of course.
Un Indien dans la vie
Thomas, l’aventurier écolo qui organise des séjours en forêt depuis plus de dix ans, a entièrement construit à la main son nouveau camp, Cariacou (qui compte une cabane perchée pour les enfants) avec l’aide de ses trois compères : Saco et Théo, les Noirs Saramaca, et Louis, natif amérindien ayant abandonné son village de forêt pour fréquenter l’école de la République à onze ans. Thomas nous dit tout de sa passion pour la forêt comme de sa passion à faire partager sa passion. Son camp est plutôt conçu pour les familles et les groupes d’amis, avec virée en canoë et excursions pouvant s’étendre sur plusieurs jours, descente à la nage (eh oui !) et, au passage, sensibilisation aux problèmes écologiques dont l’orpaillage clandestin constitue bien sûr le principal casse-tête par ici (des tonnes de mercure déversées dans les rivières).
Puis Louis nous entraîne derrière lui et nous donne quelques rudiments sur la forêt : ses 1500 essences (pour 250 dans l’Europe entière), la course verticale au soleil, les jeunes pousses en attente du « chablis » salvateur : lorsqu’un géant tombe, entraînant bien du monde dans sa chute, et ouvre ainsi une fenêtre lumineuse vers laquelle tous se précipitent… arbres à encens et plantes de soin, liane franche servant à tout et liane-chasseur sectionnée d’un coup de machette pour étancher sa soif, arbres-colle ou encore papier à cigarettes (les « mao-cigares »), et tout et tout. Une rencontre aussi brève qu’enrichissante au terme de laquelle Louis nous raconte que dans une première vie, il s’appelait Liché Lua et vivait en famille, loin du monde, au plus près de la nature, exactement comme on l’imagine. Avant…
Pirogue à nouveau pour notre plus grand plaisir et retour à la civilisation juste à temps pour apprendre que les Bleus – incroyable ! – mènent 2-0 à la mi-temps du match qualificatif pour la Coupe du Monde… Alors, on file à l’hôtel, nous autres, là où c’est qu’il existe des écrans plats et tout et tout. L’hôtel des Roches en l’occurrence, dans lequel le CSG, le Centre Spatial Guyanais, c’est-à-dire un peu Dieu en personne quand même ici, au regard de ses moyens financiers et de son influence, héberge ses hôtes et invités. Mais ne parlons pas de sujets qui fâchent : assister au lancement d’une fusée (Ariane ou Soyouz, on n’était pas difficile) était l’un des motifs principaux de notre reportage et ce fameux décollage fut reporté par deux fois en raison des défaillances du satellite russe qui devait être lancé. On a réussi à échanger les billets lors du premier raté, mais pas du second. Très aléatoire, malheureusement, de vivre en direct-live ce formidable moment où les dernières secondes du compte à rebours s’égrainent et que ces tonnes d’acier et de talent s’arrachent millimètre par millimètre à la pesanteur terrestre…
Reste la visite du Centre spatial ; sympa si on a la fibre techno. Nous, cœur trop gros, on n’a pas pu…
Un poisson grand comme moi !
Le lendemain, plutôt que de prendre la navette (catamaran) pour les îles du Salut situées juste en face de Kourou et où se trouvait le bagne le plus fameux, on affrète un petit bateau dédié à la pêche sportive et on tente notre chance autour des îles. En total « no kill » (on relâche les poissons), à l’exception de deux ou trois petites prises dont la chair excellente, crue et marinée à la tahitienne dans du citron relevé d’épices, constituera la bénédiction de nos prochains apéritifs. Ici, Dimitri, notre guide et compagnon de reportage, est plus que jamais à son affaire, qui nous guide vers les bonnes zones en fonction des courants, marées, température et couleurs de l’eau… Après un épisode « requins en tous genres », le poisson-roi local : Messire Tarpon, pur lingot d’argent, répond présent et Dimitri comme moi-même avons droit à notre petit quart d’heure de combat acharné. Clic-clac-photo et la bête, aussi grande que nous (70 kilos), retourne à l’eau. Mais, la lumière baisse, il est temps de rejoindre l’ancien bagne. Sur la côte, on distingue fort bien le pas de tir du Centre Spatial et on détourne les yeux. Avant d’accoster dans le petit port de l’île principale (Royale), nous approchons au plus près de l’île voisine, cette île du Diable qui retint au secret (interdiction de parler) quatre années durant, il y a un peu plus d’un siècle, dans la petite maison de pierre que vous voyez, le bagnard le plus célèbre : le commandant Alfred Dreyfus, celui de l’affaire du même nom. Le « J’accuse ! » d’Emile Zola. Remember ?…
De l’enfer au paradis
Au sommet de l’île, un plateau. Une petite église comme dans les séries américaines, un grand bassin et son unique caïman (il a mangé les autres) et toute une série de bâtiments, dont l’ancien « dortoir des gardiens célibataires » transformé en auberge de charme. Et le charme opère, c’est une certitude. Passé 17h, lorsque la dernière navette est repartie et que vous vous retrouvez seuls sur l’île, en compagnie d’une petite poignée de visiteurs et du personnel de l’auberge, le temps s’arrête et vous vous êtes vraiment transportés ailleurs. Les agoutis, macaques, paons et autres faisans dorés qui vivent ici en liberté (quelle bonne idée !) vous tiennent compagnie tandis que la lumière se décompose sur ce paysage « historique » du camp et que vous vous installez sous les voutes du patio, attentif à l’un de vos derniers concertos pour reinettes et crapauds. Le faisceau du (très chouette) phare de l’île balaie l’espace toutes les six secondes et vous parle d’évasion… Mais vous évadez pour aller où ?… Le bout du monde, le paradis, vous y êtes déjà ! Et c’est de devoir quitter ce territoire magique dans deux jours qui vous bourdonne. Dire qu’il y a 70 ans, les centaines de gars qui vivaient là, dans des conditions inhumaines, niés dans leur plus simple dignité, n’aspiraient eux qu’à rejoindre n’importe quelle vie quotidienne, aussi ennuyeuse soit-elle, pour peu qu’ils quittent ce caillou brûlé par le soleil, mais surtout par la férocité de leurs semblables.
Le taux de mortalité oscillait entre 30 et 40% et monta à 50% durant la guerre (rien à cirer des bagnards). Un siècle durant, la République Française a utilisé ces forçats (à une époque, trois vols de pommes successifs suffisaient à atterrir ici) comme autant de fourmis qu’on pousse du doigt vers la mort : 15.000, par exemple, restèrent sur le carreau, lors du chantier de construction de la Nationale 1 qui longe la mer, reliant Cayenne à Saint-Laurent du Maroni.
Bon, sur l’île Royale, dont la majorité des bâtiments sont restaurés, on (ou je ?) ne sent plus le poids de ce malheur, mais quand on bascule d’un saut de navette (trois minutes) sur l’île Saint-Joseph où étaient les quartiers disciplinaires, dont une partie est restée en l’état, certaines cellules (4m²) étant déjà envahie par des arbres tentaculaires (comme à Angkor Vat, exactement : aussi beau et exemplaire), cela vous poigne sérieusement les tripes : on sent encore la sueur et le sang, la fièvre morbide et la détresse morale absolue imprégnant les lieux.
Plus pour longtemps car ce patrimoine est en train d’être restauré, reconstruit, remis à neuf : on fait tout propre et net pour les futurs visiteurs. L’âme – damnée certes, mais la seule authentique – du lieu n’y survivra pas, n’y survit pas ; on le voit dans les parties déjà « traitées ». La République efface la trace de ses crimes… « Oui, mais vous comprenez, pour des raisons de sécurité… ». Ah ! la « Sécurité »…
Retour sur l’île Royale, ramassage de « cocos-chance » (les plus petites noix de coco du monde, deux pieds poussent dans les escaliers qui mènent à l’auberge, sur la gauche. Une fois polies, avec leur petite bouche ronde et leurs deux yeux, ces noix sont mignonnes comme tout, portent chance donc et font un chouette cadeau pour les copains), ballade sur les rochers, dernière nuit, retour sur le continent, aéroport, contrôle, attente, embarquement, dinette, dodo et arrivée à 6h du matin dans un Paris où le thermomètre affiche – 2°C. Bienvenue chez vous !
M’en fiche, c’était trop bien, la Guyane !
Liens utiles
Karim et Nolwenn
ass.xinbao@live.fr
Pascale
http://www.pause-canopee.com/
Cariacou
http://www.campcariacou.com/
Wapa Lodge
http://www.wapalodge.com/
Remerciements au Comité du Tourisme de Guyane qui nous a permis de monter ce reportage.
LES AUTRES ARTICLES DE CE DOSSIER :
Carnet d’aventures en Amazonie
- Carnet d’aventures en Amazonie
- Episode 2 : La forêt de bas en haut
- Episode 3 : De fleuve en fleuve…
Par Jerome Bourgine
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