La sorcière bien-aimée de la vallée d’Àneu

Estampillée d’une fleur verte à six pétales, le parc naturel de l’Alt Pirineu (des Hautes Pyrénées) abrite une flore extrêmement variée que surplombent quelques-uns des sommets les plus élevés de Catalogne, dont le Pica d’Estats (3 143 m), son point culminant. On peut parcourir ses sentiers et jouir de ses charmes en suivant les nombreux chemins balisés mais pour en percer les mystères, la compagnie de Julia Carrera est un atout déterminant. Chercheuse en sorcellerie au cœur de la vallée d’Àneu, enseignante, guide, artisane, Julia est le fil rouge de ce berceau de montagnes, une mine intarissable pour comprendre tout ce qui fait le sel de cette vallée un peu à part.

Balade au fil de la « Mollera ».

Nous retrouvons Julia à la Guingueta d’Àneu. À main gauche, l’itinéraire de la Mollera que nous suivrons ; à droite, le pont de Badia, le Parc d’Aventura et surtout le GR 11 direction Estaon. Soyons prudents, la chasse est ouverte, « Possibilitat de batudes de caça entre setembre i març », le catalan peut être taquin. Julia nous désigne un trou dans la roche. Un bunker. On apprend qu’il a été creusé par l’armée de Franco pendant la guerre civile, la vallée ayant longtemps été un lieu de passage stratégique sur la ligne des Pyrénées. Dix-sept bunkers jalonnent ainsi le chemin. Ils avaient pour mission de protéger l’arrière-garde et éviter ainsi les attaques par l’arrière. Aucune bataille sur ce lieu, mais des points de contrôle pour protéger les fuyards. « Dix-sept bunkers jusqu’à l’observatoire d’oiseaux » nous précise un panneau. Parfois, la folie des hommes s’envole et va rejoindre le ciel. Nous progressons en longeant la Mollera d’Escalarre, une zone de marais d’altitude qui forme comme un étang clos en aval par le barrage de la Torrassa. Des pêcheurs, des oiseaux, un monde humide et doux.

Ces plantes un peu « sorcières »

Au fil du chemin, des buissons de plantes aimantent Julia et délient ses pensées. Le ciel est bas, le passé hanté de sortilèges. Il y a deux cents ans, la vallée a connu une terrible crise sociale. Dans ces villages isolés, tout le monde avait sa sorcière pour soigner les plaies et les âmes. Certaines femmes, appelées « trementinarias », étaient réputées pour récolter et vendre ces plantes médicinales et magiques capables à la fois de provoquer des intoxications ou de guérir les malades. Julia : « La médecine a été l’une des premières causes de la sorcellerie, la pauvreté a fait le reste. Mais il y a ici une vraie connaissance ancestrale des plantes qui soignent ou… qui tuent. » On croise l’hellébore, la « fleur de Pâques », une plante extrêmement toxique utilisée au Moyen Âge pour empoisonner les flèches mais que les femmes préparaient aussi en cataplasme pour apaiser les douleurs articulaires. Hellébore, aconit, arnica, la vallée abonde en végétaux parfois maléfiques, parfois remèdes, dont les propriétés varient parfois en fonction de l’altitude. Des sorcières mais aussi des chasseurs de foudres pour faire fuir les orages, nombreux dans ces vallées de montagne. Ils s’estompent alors par la magie d’autres essences, complices et protectrices, des bourgeons de rosiers sauvages, véritables amulettes, des branches de pin sylvestre ou de genévrier, associées aux esprits de la maison.

D’une antre à un écomusée

Saule, sureau, houblon, armoise, dents de lion, plantain, cet article pourrait se transformer en un véritable précis de botanique mais il faut encore suivre Julia dans son antre, où les plantes se retrouvent alors transformées en liqueurs, tisanes, encens, encres, bougies… et enfin à l’écomusée de la vallée d’Àneu, pour retrouver les sorcières d’alors sous vitrine… Dans cette maison typique du 19^e (elle date de 1810), on visite les trois étages en commençant par le cellier. On y retrouve ces croyances ancestrales qui pansent ou qui brisent. Là un serpent séché placé dans une boîte de sel pour lutter contre le rhume, ici une racine de génépi pour protéger la maison. La vie d’alors s’égrène aussi en objets évocateurs. Une cage à furet pour chasser les lapins, un coffre à mesure de grains, un collier de fer aux pics acérés pour protéger les chiens des ours et des loups, des tampons pour marquer les moutons, etc. À l’étage, les chasseurs de foudre se matérialisent par l’arc et la serpe qui servaient à couper les orages. Attenante, la pièce à crémaillère symbolise l’union de la famille. Plus haut encore, la salle des sorcières s’ouvre par le buste de cire imposant de Catherine Levoisin de Paris dite « la voisin », une empoisonneuse au service de Louis XIV qui rappelle que la France n’est jamais très loin. Pierres à foudre, pattes de blaireau, petites cloches pour protéger les bébés des sorts, autant d’éléments qui hantent un dernier étage où les croyances et superstitions lorgnent le ciel.

L’ortie et le noyer en guise de conclusion

Si l’on ressort au grand air, c’est pour mieux conclure et parler encore de deux essences emblématiques des lieux. Les noyers, omniprésents, dont on utilise les feuilles pour faire baisser le taux de sucre dans le sang ; et les orties, abondantes en ce mois d’octobre, utilisées en soupe, en salade, en sauce, en crème, en thé ou en soin. Il se raconte même qu’il était coutume d’envoyer un bouquet d’orties aux mariées de la vallée lors de leur première nuit de noces, un récit qui circule… « Et il existe même des restaurants d’ortie dans la vallée », ajoute Julia, histoire de continuer à piquer notre curiosité. Il faut dire qu’à ses heures perdues, y en a-t-il seulement, elle aide les restaurateurs du coin à incorporer des herbes sauvages à leurs préparations. On lui fait confiance pour les dosages…

———– En savoir plus ————–

« L’automne est la plus belle des saisons mais toutes les saisons sont belles. »

Le site incontournable : www.catalunya.com

Dans la vallée :

Les bunkers qui forment une balades spécifiques :

L’Atelier de Julia : Visites guidées, cours, conférences. Ramassage de plantes. Création de peintures, de bougies, de tee-shirts, de crèmes de liqueur. Toutes les infos pratiques sur Occvlta –

L’écomusée de la vallée d’Àneu : Ecomuseum of the Valleys of Àneu · Visitmuseum

Hotel Restaurant Castellarnau in Escaló : https://www.hotelcastellarnau.com/en