Montserrat, une géographie du sacré et du vivant
Elle est La montagne sacrée des Catalans, celle que l’on voit poindre au loin tel un fantôme déchiqueté, une convulsion de roches qui semble nous faire signe et qui abrite en son sein une Vierge Noire et une nature foisonnante. Ermites, artistes, moines et finalement touristes en sont devenus les dépositaires. Un haut lieu du catholicisme teinté d’animisme et de superstitions locales où chaque visiteur poursuit sa quête. La nôtre mêlait géologie, écologie et culture pour conclure un forum dédié à l’écotourisme par une visite emblématique. Une journée dense que l’on aurait pu multiplier par trois tant le lieu est riche et mérite que l’on s’y attarde. Clairement une invitation à revenir !

D’un parc naturel à un géopark
Il faut s’élever pour mériter le Montserrat. S’élever, mais sans nuisance ni souffrance ! C’est donc un petit train à crémaillère 100% électrique qui fait la navette entre Monistrol et le monastère, cinq kilomètres et 550 mètres de dénivelé pour rejoindre les hauteurs avant d’emprunter un funiculaire pour la dernière montée. En 2024, la ligne a enregistré plus de 720 000 passagers, autant de visiteurs qui ont délaissé leur voiture individuelle et tant mieux car le site a besoin de souffler.
Parc naturel depuis 1997, Montserrat abrite plus de 1200 espèces végétales, 70 papillons différents, une flore et une faune remarquable avec en sus une impressionnante richesse géologique qui lui a valu d’intégrer dès 2012 le Géoparc de la Catalogne centrale. Issu d’un ancien delta maritime, les roches ont été sculptées au fil du temps jusqu’à devenir ces pitons karstiques qui donneront au site ce nom évocateur de « montagne dentelée ». Des roches inspirantes, un conglomérat de grès, de marnes, d’argiles et de calcaires dont les formes évocatrices invitent à la rêverie, inspire les jeunes mariés et serait même un gage de fertilité pour le futur.

Un lieu de pèlerinage tous azimuts
Chaque année, ils sont quelque 2,5 millions de visiteurs à s’élever jusqu’au monastère avec des pics à plus de 10 000 personnes par jour. Ils viennent pour invoquer la Vierge Noire, la Moreneta, pour se recueillir au cœur de l’immense édifice bénédictin, pour répandre les cendres d’un mort, défier les roches les plus escarpées (5 000 voies d’escalade), communier avec les esprits voire avec les extraterrestres (tous les 11 du mois !), se jurer un amour éternel ou, plus tristement, pour faire le grand saut. Le soir, une fois évaporées les foules d’un jour règne le silence, les oiseaux et quelques secrets. « Montserrat reste un lieu sacré qui nous dépasse. Ici, on ne vient pas pour se déconnecter mais pour se connecter » précise notre guide.
Dès le 19e siècle, le lieu fascine les romantiques allemands. Wilhelm von Humboldt raconte dans son essai « Le Montserrat près de Barcelone » ses impressions et sa rencontre avec les ermites. Selon lui, la solitude dans ces ermitages permet une réconciliation avec soi-même. Une montagne hérissée qui inspirera aussi Goethe et Wagner, qui aurait peut-être trouvé là le décor à son Parsifal. Si le lieu fascina les romantiques…, l’histoire de Montserrat ne fut pourtant pas un long fleuve tranquille. Après la destruction du monastère en 1811 (pendant la guerre contre les troupes napoléoniennes), la plupart des ermitages sont abandonnés. Le monastère sera finalement reconstruit à partir de 1858. Aujourd’hui, le site doit surtout trouver un second souffle tant l’affluence menace ses zones sensibles. Sentiers, faune, flore, souffrent de ces piétinements constants, de ces grimpeurs fascinés par ces amas de rochers, d’un va-et-vient permanent qu’il a fallu canaliser, éduquer et contraindre.

Au-delà des montagnes
S’élever, se retrouver, se connecter, se soigner, se réunir, célébrer. Montserrat, c’est surtout et avant tout l’âme de tous les Catalans, une matrice protectrice qui les accompagne et veille sur leurs destinées. On raconte que la Vierge Noire fut découverte non pas dans l’église mais au cœur d’une grotte. Lorsqu’on tenta de la déplacer, elle devint si lourde qu’il fut impossible de l’emporter. La Moreneta souhaitait rester en ce lieu, partie intégrante de l’équilibre naturel et spirituel du Montserrat. Alors les catalans viennent à elles. C’est auprès de la Vierge Noire que les joueurs du Barça vont se recueillir lorsqu’ils remportent le championnat, lui dédiant leur trophée. Alpinistes, artistes, combattants, politiques, monarques, ils sont si nombreux à être montés l’invoquer, la prier, implorer sa protection, sa bénédiction. « Certains visiteurs demandent même aux moines de bénir les clés de leur voiture ! »

Au pied du monastère, un musée réunissant une collection remarquable de tableaux de maître mais aussi d’art ancien et sacré rassemble les nombreux dons reçus par les moines et les abbés, véritable mémoire artistique de Catalogne mis ici à l’abri des affres de l’histoire. El Greco, Caravage, Velázquez, Picasso, Dalí, Miro, Tàpies, les plus grands réunis au cœur de l’un des musées religieux les plus importants d’Europe.

Il est 13h. Des voix s’élèvent, des chants d’une pureté cristalline. Le monastère est bondé. La chorale des enfants de l’Escolonia, l’un des plus anciens chœurs de garçons d’Europe, résonne dans la nef. Ils chantent deux fois par jour. Un privilège pour les visiteurs. Âgés de 9 à 15 ans, ces jeunes viennent ici pour se consacrer à la musique et vivent en communauté, comme les moines. Ils partiront une fois pubères. Une tradition qui date du 13e siècle. Le soir, lorsqu’il ne restera plus qu’élèves et moines, les chants se mêleront aux prières, la musique aux incantations, un temps suspendu au-delà des montagnes.
———– En savoir plus ————–
Le site incontournable : www.catalunya.com


Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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