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Tourisme et Biodiversité : un couple naturel ? Entretien avec Philippe François…

| Publié le 2 décembre 2015
Thèmatique :  Acteur privé   Conseils   Formations   Portrait   Tourisme de masse 
             

Pionnier d’un tourisme plus responsable, passionné de pédagogie, créateur d’une vingtaine d’écoles hôtelières et d’un cabinet de conseils, Philippe François travaille avec les petits parcs naturels comme les plus grands groupes hôteliers et essaime ses bonnes pratiques dans le monde entier. Voyageons-Autrement a eu envie de le retrouver régulièrement pour aborder avec lui quelques sujets sensibles. Au menu du jour : les relations délicates entre tourisme et biodiversité…

Philippe FRANCOIS - 4

Voyageons Autrement : La biodiversité de notre planète est en péril. Même si l’impact du tourisme n’est pas le plus important, ce secteur d’activité pèse lourdement sur l’écosystème planétaire. Le bassin méditerranéen par exemple va passer de 200 à 325 millions de touristes dans les dix prochaines années. Que faire ?

Philippe François : Limiter les dégâts du tourisme sur la biodiversité. Que faire d’autre ? Dès que l’homme bouge, il nuit à la biodiversité, les touristes plus encore que les citoyens lambda ; c’est ainsi. Il n’existe donc pas d’autre solution qu’effectuer inlassablement un travail de sensibilisation qui finit toujours par porter ses fruits et faire évoluer les habitudes : il en va ainsi pour les abeilles, les économies d’énergie, la pèche, les déchets… C’est d’autant plus logique dans le cas de la biodiversité que le secteur du tourisme a un intérêt direct à préserver cette biodiversité qui représente une partie considérable de son fonds de commerce : l’immense majorité des lieux de tourisme étant naturels : mers, montagnes, campagne…

VA : Les besoins en eau d’un hôtel hébergeant 100 touristes durant deux mois sont ceux de 100 familles rurales durant 3 ans. A Marrakech, les sur-prélèvements dans la nappe phréatique pour irriguer golfs et piscines ont décimé les palmeraies et leur faune. Plus de la moitié des pays les plus pauvres au monde sont des hot-spots de biodiversité. Comment concilier les bienfaits du tourisme et ses nuisances ? Qui doit décider ? Réglementer ? Agir ? Contrôler ?…

PF : Le poids des efforts à effectuer doit évidemment porter en priorité sur ceux qui font des affaires grâce à la nature ; ces professionnels du tourisme qu’il faut sensibiliser et former, à qui, surtout, il faut apporter des outils concrets à l’éco-management de la biodiversité. Dès le stade du projet, il faut imaginer l’impact, trouver les solutions les plus vertueuses et, parfois, modifier radicalement son projet initial. Lors d’une mission en Jordanie, le ministre du tourisme m’a demandé ce que je pensais de son projet d’ouvrir un hôtel de 2000 chambres à l’entrée du Wadi Rum, ce désert mythique ; un endroit certes magnifique, mais très pauvre en eau et à l’équilibre écologique fragile. Je lui ai conseillé d’installer plutôt son établissement près d’Aqaba, pour préserver la beauté naturelle du site. Et c’est finalement ce qu’ils ont fait. Il faut donc sensibiliser sans relâche : les investisseurs et le monde économique : ne tuez pas la poule aux œufs d’or !… Intervenir également auprès des gouvernements pour qu’ils légifèrent et, pourquoi pas ? agir au niveau mondial, en complétant par exemple les codes éthiques actuels dont le volet sociétal est très important déjà et dans lesquels il faudrait faire figurer la protection de la biodiversité comme une priorité. D’autant qu’ainsi que le constateront ceux qui prennent la peine de consulter notre guide (gratuit !) « Biodiversité & tourisme », on peut agir avec peu de moyens, s’agissant principalement de choses à ne pas faire. Et puis la biodiversité peut être positive, excellente pour l’image de marque, raison pour laquelle un certain nombre d’hôtels la prennent de plus en plus en considération. Après des décennies où l’on n’a pas su se limiter, raisonner et protéger par avidité (disparition des civelles, écrevisses, etc.), certaines espèces commencent de réapparaître en certains lieux. C’est encourageant.

P29 - Photos-libre - Rafting

VA : Il y a également l’attrait vers le peu de vie sauvage restante. Jean-Louis Etienne, entre autres, tire la sonnette d’alarme : le tourisme polaire, pourtant très bien organisé, atteint aujourd’hui ses limites en nombre de personnes et de non-impact sur l’environnement. Il craint, comme cela a déjà conduit à une catastrophe environnementale pour l’Everest, que, face à l’afflux d’argent, les acteurs locaux ne sachent pas dire stop. Même problème avec le whale watching ou les grands parcs animaliers qui rencontrent un succès légitime et croissant. Qui doit décider des quotas de touristes supportables et les faire appliquer ? Certaines régions du monde doivent elles devenir des sanctuaires protégés où l’homme ne va plus… du tout ?

PF : Il est très difficile de répondre à cette question. J’ai travaillé sur le sujet en Jordanie donc, à Petra où vous voyez défiler 5 à 8000 personnes par jour. Au Rwanda, où œuvrait Dian Fossey, ils ont choisi la mauvaise solution : laisser approcher les gorilles par moins de touristes mais en leur faisant payer ce droit d’accès un prix exorbitant, alors que d’évidence, la priorité est de sauver les derniers gorilles, donc d’interdire l’accès à tous ceux qui peuvent les déranger. Les régions en guerre sont bien déconseillées aux touristes ; il faut faire la même chose avec celles qui sont écologiquement trop fragiles. C’est à nous, T.O et professionnels du tourisme de prendre cette décision responsable : est-ce que j’emmène mes clients au pied d’un volcan en éruption ?… Non. De la même manière qu’on évite les dangers liés à la nature quand c’est elle qui nous menace, il convient de les éviter lorsque c’est nous qui représentons cette menace. Raison pour laquelle, par exemple, je suis (par expérience, pour en avoir étudié les effets négatifs) peu favorable à cette forme « d’écotourisme » consistant à immerger les gens dans des lieux soit disant sauvages : « Vivez une semaine avec d’authentiques Massaï ! ». Et emmenez vos enfants avec leurs smartphones, jeux vidéos et chewing-gum ! Certains lieux sont propices au tourisme, dans d’autres, on doit juste laisser les gens vivre, respectueusement.

VA : Peut-on, selon vous, attendre le salut des touristes eux-mêmes ? Comment faire pour les inciter à opter pour un tourisme durable, si possible équitable et solidaire ?

PF : Ce n’est pas gagné, mais il faut bien entendu travailler cette dimension essentielle. Là aussi, il faut inlassablement informer et utiliser tous les médias disponibles. Je me souviens très bien du petit dépliant que l’on m’a distribué dans l’avion avant notre arrivée en Haïti. Y figurait l’essentiel de ce qu’il fallait vraiment éviter de faire : acheter des carapaces de tortue, manger des bébés langoustes parce que c’est la dernière (et terriblement destructrice) mode. Même si la tentation est grande (il y en a toujours qui cèdent), lorsque les gens sont prévenus et conscients des conséquences, ils sont généralement beaucoup plus raisonnables. D’ailleurs, tous ces types de comportements liés à la vigilance face à la biodiversité et aux dangers qui nous menacent si nous n’en tenons pas compte devraient être enseignés dès l’école. Que l’on explique au moins aux enfants ce qu’est la biodiversité et combien elle est importante pour la planète et pour eux.

P75 - HUTTOPIA  R.Etienne-Item

VA : Les projections actuelles concernant les relations entre tourisme et biodiversité ne sont pas très optimistes. Il doit cependant exister de bonnes nouvelles, des exemples vertueux et des solutions applicables ?

PF : Naturellement. Et il existe plusieurs tendances de fond qui vont dans le bon sens. Prenez par exemple le locavorisme, mot disgracieux recouvrant un excellent principe : celui de produire et consommer aussi localement que possible. En France et dans plusieurs autres pays, c’est une pratique de plus en plus répandue. On a même défini la distance au-delà de laquelle il est préférable de ne pas s’approvisionner : 160 km, ce que l’on appelle « la règle des 160 » (160 km correspondant à 100 miles, voilà pourquoi). Restaurants et hôtels si mettent petit à petit, ainsi que la plupart des groupes hôteliers que nous conseillons, même les groupes de luxe ! Durant plusieurs décennies, les grands hôtels du monde entier ont acheminé jusqu’à eux de la nourriture par container frigorifiques entiers. C’est quelque chose que l’on voit de moins en moins, heureusement. Lorsque nos clients ne font pas le chemin eux-mêmes, nous les amenons autant que possible vers le respect de la biodiversité en nous appuyant sur la tendance actuelle et l’évolution de l’opinion à l’égard de ces sujets. Voyez ces ruches que les grands hôtels parisiens installent sur leurs toits, ces « légumes moches » que les cuisiniers sont en train de rendre « sexy », ce château-hôtel qui crée son premier jardin bio ou encore Régis Marcon (3 macarons), directeur d’un autre relais & château situé en Ardèche et maître incontesté de la cuisine des champignons, il se montre extrêmement respectueux dans ses collectes et le fait savoir. Professionnalisme et biodiversité sont définitivement conciliables. Plus la nature est respectée, plus elle est prodigue ; c’est un principe simple dont il faut faire prendre conscience à tous.

VA : Justement, est-ce que la sensibilisation à ces dimensions ne devrait pas occuper une place plus importante dans les formations professionnelles liées au tourisme ? Qu’est-ce que l’on pourrait faire ? Ou qu’est-ce qui se fait déjà et qui fonctionne bien ?

PF : Le Philippe François président de l’AMFORHT (Association Mondiale de Formation Hôtelière et Touristique) est forcément en accord avec cela. Mais attention, ces notions doivent passer transversalement, sans faire l’objet d’un module spécifique. Je parle là encore par expérience ; car il faudrait, sinon, attendre 10 ans avant que la modification ne soit intégrée dans les programmes officiels. Le gouvernement a commandé nombre de nos livres sur « Tourisme et Biodiversité » (que chacun peut donc télécharger gratuitement et mettre en œuvre au quotidien) ; on verra bien… Cela dit, pour être vraiment efficace, il faut, comme toujours, allier théorie et pratique, faire intervenir des témoins de poids, exemplaires : producteurs et restaurateurs reconnus, aux méthodes vertueuses qui témoigneront dans les écoles de leur respect pour les produits naturels et la machine merveilleuse qui se tient derrière : la nature. Certes, nos élevages sont loin d’être exemplaires, mais je vois aussi que la nouvelle génération d’éleveurs et d’agriculteurs se dirige d’elle-même vers une production « raisonnée », je vois que les vins bio, respectueux de la nature des sols et de la biodiversité, gagnent du terrain et que nombre de restaurateurs se mettent à recréer des potagers. La tendance est d’ailleurs globale et atteint tous les secteurs d’activité : une économie différente, reposant sur une attitude plus respectueuse des ressources naturelles, se met peu à peu en place.

110600 - Guide BIODIVERSITE & TOURISME - Page de Conv

VA : L’ éco-volontariat ne représente aujourd’hui qu’une niche dans l’offre touristique. Pensez-vous que cette forme particulière de voyages soit porteuse d’avenir et puisse évoluer vers une forme qui intéressera un nombre plus large de personnes ?

PF : Ce sont là, bien sûr, de belles initiatives, à encourager et promouvoir. Peut-être faudrait-il clarifier cette offre, l’installer officiellement dans cette dimension utile et citoyenne qui est déjà la sienne mais n’est pas valorisée. En lui accordant une dimension qualifiante, qui sait ? Que les jeunes qui s’investissent dans ces séjours en tirent profit, partie… On pourrait, pourquoi pas, imaginer que ce soit une proposition faite par l’Education Nationale, une sorte de BSR écolo (Brevet de Sécurité Routière), qu’on en parle en tous cas et lance le mouvement. Je suis assez optimiste de ce côté ; de la même manière que l’on sait désormais que la transition énergétique va créer de nombreux emplois, se mettre au service de la planète finira tôt ou tard par créer des débouchés économiques. Vous trouvez déjà des hôtels – et non des moindres, je pense à la Grée des Landes, entre autres – qui ont installé des nids de chauve-souris dans leurs soupentes. Pour quelle raison ? se demandent certains… Lorsqu’on leur explique qu’une chauve-souris dévore en moyenne 700 insectes par nuit, ils comprennent tout. On a également essayé de monter des nids d’oiseaux dans les hôtels avec LPO (la Ligue de Protection des Oiseaux, une association qui fait un travail formidable), mais c’est toujours pareil : on n’a pas assez de temps pour tout faire. Néanmoins, si cela peut conduire quelques hôteliers à se rapprocher de la ligue…

VA : Et l’idée d’un label ?

PF : Elle doit être menée à bien. Biorismo vient directement répondre à la question que nous posent sans cesse les directeurs d’hôtels urbains : « Vous me parlez du retour des loutres de mer et c’est formidable bien sûr, mais moi, en pleine ville, je fais quoi ?… » Des tas de choses. Un label, c’est avant tout un programme pédagogique, pratique, une liste d’actions à mettre en œuvre permettant de savoir où on en est et de se mettre à jour sur les points de son choix, pour commencer. Et puis cela crée une dynamique de groupe, fait naître de nouveaux liens avec ses clients, de nouveaux échanges avec les confrères et les institutions locales, permettant aux pratiques vertueuses d’être connues, reconnues, valorisées et finalement partagées par le plus grand nombre. Biorismo, label reconnu par la Stratégie Nationale de la Biodiversité comme un référentiel, va agir comme le fait, par exemple, le référentiel Mister Goodfish qui initie avec profit les restaurateurs aux usages de la pêche durable et les guide concrètement dans leurs choix de poisson à acheter… ou pas. Nous en sommes au tout début ; une vingtaine d’établissements sont aujourd’hui labélisés et 2016 verra naître les premières rencontres dédiées à cette thématique, une autre façon encore de répandre les bonnes pratiques.

P47 - Gîte écologique Chaumarty

VA : Comment voyez-vous personnellement évoluer cette problématique « tourisme et biodiversité » ? Etes-vous plutôt pessimiste ou optimiste sur la suite des événements ?…

PF : Fondamentalement optimiste. La planète ne va pas bien ; nul ne peut le nier (même si elle, s’en sortira toujours). On ne peut plus continuer comme ça et on le sait. Or l’Homme possède une capacité à s’adapter et évoluer extraordinaire pour peu qu’il soit motivé. La COP 21 est certes un événement avant tout symbolique, une forme de communication, mais néanmoins capitale pour que la sensibilisation devienne vraiment globale. Il faut ensuite prendre le relais avec des méthodes et des exemples de changements pour nourrir la bonne volonté de tous ceux qui se disent : « ok, mais qu’est-ce que je peux faire ? ». Les choses se font toujours plus lentement qu’on ne le souhaiterait, mais elles se font. Voyez l’évolution de nos comportements sur les déchets, la nourriture gâchée, toute cette (formidable) économie « Co » qui voit le jour, les gens qui se mettent à faire du compost (les mairies délivrant gratuitement des composteurs… ou des couples de poules !), les restaurateurs qui bradent leurs plats en trop pour ne plus avoir à les jeter. Et, concernant tourisme et restauration, je peux vous assurer que l’évolution des professionnels sur ces quinze dernières années est bien réelle : tous ceux qui ne sont pas encore passés au développement durable s’interrogent. Les choses avancent.

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François Tourisme Consultants
http://www.francoistourismeconsultants.com/fr

 


Tourisme et Biodiversité : un couple naturel ? Entretien avec Philippe François… | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Jerome Bourgine
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