Désirs d’ailleurs (1/2) : 12 héros assoiffés de liberté
L’attirance pour l’inconnu et la soif de connaissance ont toujours poussé l’homme à parcourir le globe. A partir du XIXe siècle, des aventuriers bourrés de rêves partent plus près de la mer, des montagnes, des déserts, de la steppe ou des étendues polaires en quête d’une meilleure connaissance du monde, de ses peuples et d’eux-mêmes. Ils nous racontent le voyage à une époque où les mots sont encore les images et nous laissent un panthéon d’œuvres à lire et relire.
Joshua Slocum (1844 – 1909)
Né au Canada, il choisit l’école du large dès son plus jeune âge : mousse à douze ans, matelot à seize, capitaine à vingt-cinq ans. Après une vie tumultueuse d’aventures en mer, il acquiert un vieux bateau abandonné : Le Spray. Treize mois de travail et environ 500 dollars de matériaux seront nécessaires pour le remettre en état de naviguer. En 1895, il part de Boston pour le premier tour du monde à la voile en solitaire. Il parcourt plus de 80 000 km en 3 ans (sans savoir nager) et raconte son périple dans « Seul autour du monde sur un voilier de onze mètres ». Le style Slocum, mêlé de détermination, de modestie et de pragmatisme, a inspiré plus d’un marin !
Robert Louis Stevenson (1850 – 1894)
Né en Ecosse, il est bercé par les romans de Jules Verne et d’Alexandre Dumas. Ingénieur, puis avocat, il ne souhaite qu’une chose : devenir écrivain. Il aspire également à trouver le soleil pour se soigner d’une santé fragile. Parmi ses premières oeuvres, « Voyage avec un âne dans les Cévennes » publié en 1879 raconte ses 12 jours de marche entre la Haute-Loire et la ville de Saint Jean du Gard, un sentier connu aujourd’hui sous le nom de chemin de Stevenson. Grâce à la complicité qu’il entretient avec le fils de son épouse, il va écrire son roman épique : « l’Ile au trésor », en 1883. A la fin de sa vie, Stevenson vit dans les iles polynésiennes, aux Samoa. Il est l’un des premiers à décrire avec précision les paysages et les mœurs de ces contrées et s’efforcera de défendre les peuples du Pacifique.
Nellie Bly (1864-1922)
Nellie Bly n’a pas attendu le droit de porter un pantalon pour partir à l’aventure ! Elizabeth Jane Cochrane, de son vrai nom, est une grande journaliste américaine, intrépide et pionnière de l’enquête d’investigation. En 1889, elle est la première femme à partir seule pour un tour du monde en bateau, en train, en montgolfière. Depuis New York, la jeune femme embarque à bord de l’Augusta Victoria pour traverser l’Atlantique (avec le mal de mer), rencontrer Jules Vernes à Amiens puis continuer son voyage de l’Italie à Colombo, du Japon à San Francisco avant de revenir à New York en tant record après 35 000 km parcourus. Son récit, « Le tour du monde en 72 jours », raconte cette épopée remplie d’anecdotes et d’autodérision.
Alexandra David-Néel (1868 – 1969)
La plus grande exploratrice française du XXe siècle est un modèle infatigable de femme libre, à la fois anarchiste, féministe, chanteuse lyrique et orientaliste de terrain. En 1911, elle annonce à son mari son départ vers l’Inde pour continuer des recherches. Elle ne reviendra que 14 ans plus tard. Déterminée, elle veut rejoindre le Tibet à pied et s’apprête à vivre une aventure épique et difficile. Le 28 février 1924, à 56 ans, elle devient la première femme occidentale à pénétrer dans Lhassa, déguisée en mendiante. Ce périple est relaté dans « Voyage d’une parisienne à Lhassa », publié en 1927. L’autre partie de sa vie se déroule à Digne-les-Bains où elle se consacre du matin au soir à l’écriture avec l’envie insatiable de partager son expérience et ses connaissances du bouddhisme tibétain.
Jack London (1876 – 1916)
« Ne vous sentez-vous pas quelque fois mourir du désir de connaître ce qu’il y a derrière ces montagnes et derrière les autres qui sont plus loin? Et la Porte d’or! Au-delà, il y a l’océan Pacifique, et la Chine, le Japon, l’Inde, et… et toutes les îles de corail. Vous pouvez aller n’importe où par la Porte d’or… en Australie, en Afrique, aux îles de phoques, au pôle Nord, au cap Horn. Vraiment tous ces endroits-là attendent ma visite. J’ai vécu à Oakland toute ma vie, mais je ne compte pas y passer le reste de mes jours, il s’en faut. Je m’en irai… loin… loin! » Cet écrivain américain est un romancier de l’aventure la plus audacieuse : celle de la vie et de la liberté. Il aura fallu qu’il mène tous les combats pour survivre et être reconnu. Pilleur d’huîtres, chasseur de phoques, marin, vagabond, chercheur d’or… Ses nouvelles s’inspirent de ses expériences autour du monde et des personnages rencontrés en chemin. Sans jamais abandonner, par la force de sa plume engagée, il se sauve du désespoir et de sa condition sociale. Ses récits romanesques dans le Grand Nord ou son œuvre autobiographique, « Martin Eden », témoignent de son amour pour l’écriture et les horizons perdus.
Henry de Monfreid (1879 -1974)
Ce personnage haut en couleur laisse derrière lui une œuvre inclassable et colossale. Né à Leucate dans l’Aude, Henry de Monfreid atterrit en Ethiopie en 1911 comme négociant en cafés et en cuirs. Les années qui suivront seront beaucoup plus trépidantes : il deviendra tour à tour trafiquant d’armes, d’huîtres perlières et de haschisch… Monfreid s’intègre à merveille dans le paysage local, se convertit même à l’islam et sillonne en voilier pendant plus de quarante ans les rives de la Mer Rouge et la corne de l’Afrique (Érythrée, Éthiopie, Djibouti, Somalie). Excellent conteur, il raconte ce qu’il vit avec une sincérité et un naturel déroutant. Ses histoires puisent dans ses aventures où se mêle toute une faune de personnages rocambolesques. « Les Secrets de la mer Rouge », publié en 1932, est le premier ouvrage d’une oeuvre passionnante.
Joseph Kessel (1898 – 1979)
Grand reporter et écrivain, Kessel a vécu mille vies. Né en Argentine, ce fils d’immigrés russes a couru le monde toute sa vie, de l’Afrique à l’Afghanistan, de New York à Shanghai. Kessel avait de l’appétit pour tout : les excès, les horizons lointains et les hommes au destin hors du commun. Il sera le témoin du XXe siècle, de ses conflits et de ses tourments. Il ramène des reportages passionnants comme celui sur le commerce des esclaves mené avec Henri de Monfreid en Ethiopie, raconté par la suite dans son roman « Fortune carrée » publié en 1932. Fougueux, prolifique, il avait autant de talent pour rapporter l’état du monde au quotidien que pour écrire des récits romanesques. L’héritage de Kessel est monumental, plus de 80 ouvrages édités, sans parler de tous ses reportages et bien sûr du Chant des partisans, écrit avec son neveu Maurice Druon.
Théodore Monod (1902-2000)
Rien ne pouvait arrêter ce grand humaniste, fils de pasteur autoproclamé « anarchiste chretien ». A la fois zoologiste, encyclopédiste, archéologue, naturaliste, géologue, il sera également professeur au sein du Muséum d’histoire naturelle. Militant non violent, il fait entendre sa voix pour la défense des sans-papiers, des nomades, contre le colonialisme, le Paris-Dakar, la chasse ou encore le nucléaire. La découverte du désert du Sahara guide sa vie avec un seul objectif : l’inventorier et le faire connaitre avec une rigueur scientifique. Il sillonne le désert à dos de chameaux et à pied pendant soixante-dix ans. De ses épopées, il ramène silex, insectes, plantes et fossiles. Le désert de Tanezrouft, entre l’Algérie et le Mali est une terre hostile où Monod se rendra deux fois dans les années 30. Il devait aller voir ce qu’il y avait là-bas et disait : « S’il n y a rien il faut aller voir qu’il n’y a rien. » Avec son endurance exceptionnelle et sa soif de savoir inépuisable, il traverse plusieurs fois la Mauritanie, son pays de coeur, et particulièrement la région de l’Adrar. « Méharées », publié en 1937, raconte ses aventures et restitue avec talent la magie du Sahara.
Ella Maillart (1903 – 1997)
Née à Genève, Ella se fait remarquer très jeune par ses aptitudes pour le sport, le hockey, le ski et la voile. Puis c’est l’appel du lointain. En 1935, elle traverse la Chine d’est en ouest pendant sept mois avec Peter Flemming, grand reporter et agent du MI6. Le récit sera retracé par Peter Fleming dans son livre « Courrier de Tartarie » et par Ella Maillart dans « Oasis interdites ». Puis lorsque la seconde guerre mondiale éclate, elle part pour un road-trip de Genève jusqu’à Kaboul, traversant la Turquie et l’Iran, avec son amie Anne-Marie Schwarzenbach, écrivaine torturée qu’elle tente de sauver.« La Voie Cruelle » est bien plus qu’un récit de voyage, c’est une réflexion sur le chaos politique qui voit le jour en 1939 en Europe et sur leur condition de femmes indépendantes. Exploratrice, écrivain et aussi photographe, les travaux d’Ella Maillart sont aujourd’hui exposés au Musée de l’Elysée à Lausanne ainsi qu’à Chandolin dans le Valais.
Paul-Emile Victor (1907 – 1995)
« Les vieux aventuriers ne meurent pas, ils disparaissent, ils s’évanouissent » disait Paul-Emile Victor. Son nom reste à jamais lié aux étendues glacées et au peuple Inuit. En 1934, l’explorateur français est déposé pour la première fois sur la côte Est du Groenland par le Pourquoi-Pas ? du commandant Charcot. Il restera un an en compagnie des Inuits pour réaliser un vrai travail ethnologique. Une autre traversée de six semaines d’ouest en est au Groenland en traineaux à chiens le mènera encore parmi les Inuits. Le récit de ce voyage se retrouve dans « Boréal » (1938) et « Banquise » (1939). Après la seconde guerre mondiale, il devient le père des Expéditions polaires françaises en Arctique et Antarctique pendant plus de trente ans. Il passera les vingt dernières années de sa vie à Bora Bora à se consacrer à la rédaction de ses mémoires et de ses articles.
Nicolas Bouvier (1929 – 1998)
Né à Genève, Nicolas rêve très jeune de prendre la route. Il partira à l’âge de 24 ans pour trois ans en Asie et en tirera ses œuvres majeures. De Genève à Kaboul, le voyage se déroule à bord d’une Fiat Topolino en compagnie de son ami Thierry Vernet. Leur objectif : embrasser le monde, l’écrire, le peindre. Une aventure humaine, géographique et littéraire devenue mythique, racontée dix ans plus tard dans « L’Usage du Monde » (1963). Bien plus que des paysages et des rencontres, Bouvier dévoile sous sa plume le parcours initiatique d’un homme face à ses doutes, que le voyage transforme. La suite du périple au Sri Lanka donnera un chef d’œuvre d’une fascinante beauté : « Le poisson-scorpion ». Sa lucidité, son humour et son écriture ciselée font de lui un immense écrivain, chaque plongeon dans son œuvre est un grand moment d’émotion.
Bruce Chatwin (1940 – 1989)
Après un début de carrière dans les domaines de l’art et l’archéologie, ce jeune anglais brillant part du jour au lendemain en Patagonie, une terre qui le faisait rêver depuis toujours. Ce voyage de six mois lui permettra d’écrire à son retour « En Patagonie », publié en 1977, qui le propulse tout de suite sous les feux de la rampe littéraire. Quelques années plus tard, il s’attaque à l’immensité du bush australien, sur les traces du nomadisme des aborigènes. A travers « Le Chant des Pistes », Chatwin tente de démontrer les bienfaits d’une vie en mouvement : le nomadisme comme art de vivre. Pour lui, l’aventure du verbe est indissociable de celle du voyage. Il réinvente la littérature de voyage en mélangeant les faits réels et la fiction, ses récits sont d’un nouveau genre, tour à tour romanesques, philosophiques, poétiques.
Par Sophie Squillace
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