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VIATICA,  première revue universitaire en ligne sur la littérature de voyage

| Publié le 14 mai 2019
Thèmatique :  Livres   Portrait   Routes du Monde 
             

Viatica est la première revue universitaire en ligne exclusivement consacrée à la littérature de voyage. Elle souligne l’intérêt croissant accordé par la critique universitaire à cette littérature qui compte entre autres grands noms Isabelle Eberhardt, Victor Segalen, Alexandra David Neel, Nicolas Bouvier, Jacques Lacarrière, Michel Butor, Le Clézio mais aussi des anthropologues comme Jean Malaurie, ou des explorateurs comme Paul-Emile Victor. Rencontre avec Gilles Louys, enseignant chercheur à l’université Paris Nanterre, à l’origine de Viatica.

VA/  Pourriez vous vous présenter pour nos lecteurs et expliquez votre domaine de recherche ?

Enseignant chercheur à l’université Paris Nanterre, je m’intéresse aux poétiques du sensible présentes dans le récit de voyage contemporain, en particulier à la façon dont certains voyageurs parviennent à faire de  leur corps un outil de connaissance du monde. C’est le cas de Bouvier, qui me semble avoir élaboré une forme d’anthropologie sensorielle tout à fait originale. Mais de cet intérêt particulier est née une curiosité plus générale pour le corpus de la littérature de voyage d’aujourd’hui, dans ses différentes formes. Le carnet de voyage, notamment, dont l’étonnant succès populaire mérite d’être interrogé : je m’y suis essayé, avec quelques collègues, dans un numéro publié par la revue Viatica. Mais nous avons bien du pain sur la planche, car le corpus de la littérature de voyage d’aujourd’hui est d’une très grande diversité : un prochain colloque international sur le sujet est d’ailleurs prévu prochainement à Paris.

VA/ Quand a été crée la revue Viatica et quel est son objectif ? Lequel parmi vos dossiers a connu le plus grand succès ?

Viatica est la première revue universitaire en ligne exclusivement consacrée à la littérature de voyage. La revue, dont le premier numéro est paru en mai 2014, prend en compte l’intérêt croissant accordé par la critique universitaire, depuis quelques années, à cette littérature dite « viatique ». Son but est précisément de rendre compte de l’ensemble des tendances qui caractérisent ce champ de recherches. Chaque dossier associe des spécialistes de périodes historiques distinctes, car mettre en perspective historique les textes ou les thèmes relevant de cette littérature est un des axes majeurs de la revue. S’il fallait mesurer le succès d’un dossier au niveau d’audience de la revue, alors incontestablement, c’est le numéro spécial consacré à Nicolas Bouvier qui remporterait la palme. On peut d’ailleurs voir dans cet intérêt un indice de la curiosité croissante que suscite le récit de voyage contemporain.

Viatica

VA/ La littérature de voyage est-elle un genre reconnu et quelle serait son principal objectif, nous faire voyager immobile ? Témoigner d’une autre réalité ? Donner à voir les impressions d’un voyageur en mal de témoin ?

Historiquement les relations de voyage ont longtemps relevé de la littérature savante ou de « curiosités » (comme les cabinets du même nom). Le récit de voyage commence à s’autonomiser, littérairement parlant, dès lors que des écrivains s’en emparent (comme Chateaubriand en 1811 avec son Itinéraire de Paris à Jérusalem) – et dès lors qu’il ne s’agit plus, ou plus seulement, de communiquer du savoir sur le monde, mais de témoigner de l’expérience personnelle du voyageur. Depuis, la pratique du récit de voyage entendu en ce sens s’est largement ouverte à toutes sortes de textes, très diversifiés, tant et si bien qu’il est très hasardeux de parler de genre, mieux vaudrait parler de corpus : quoi de commun, en effet, entre l’essai qu’Ivan Jablonka a récemment consacré aux vacances en famille vécues dans son enfance en camping car, le récit de marche d’un Werner Herzog (Sur le chemin des glaces), le journal qu’a tenu un militaire français engagés à Kaboul durant l’année 2003-2004, ou la « robinsonnade » de Sylvain Tesson s’isolant quelque temps dans les forêts de Sibérie, ou encore le récit publié par Michaël Ferrier sous le titre Fukushima. Récit d’un désastre ? Rien, si ce n’est qu’il s’agit d’expériences humaines très différentes les unes des autres, et impliquant un déplacement dans l’espace. S’ajoute à cela le fait que la production éditoriale en matière de voyage est aujourd’hui surabondante, protéiforme, souvent hybride (texte et images, photographies, BD) et d’intérêt littéraire inégal : on ne mettra pas sur le même plan une Corinne Sombrun et une Isabelle Eberhardt, et pourtant ce que raconte la première de son expérience personnelle de la transe chamanique gagne aussi à être lu. Dans tous les cas, on pourrait dire que tous ces voyageurs témoignent de ce que Segalen appelait le divers. Quant à ce que le lectorat attend, ou recherche, dans ces récits, il faudrait une vraie enquête pour le savoir. Mais d’après ce que rapportent les écrivains voyageurs eux-mêmes des contacts avec leurs lecteurs, au gré des différents salons ou festivals ou des séances de signature en librairie, il y a incontestablement aussi un désir de voyage par procuration : bien des lecteurs sont des voyageurs « empêchés », pour toutes sortes de raisons (âge, handicap, manque de ressources, manque de temps). Cela aussi est la marque d’une certaine permanence : la seule différence avec les récits du XIXe est que, à présent, les lecteurs sont moins en demande d’un exotisme facile que d’une vraie découverte de la diversité culturelle du monde.

VA/ A l’heure du tourisme de masse, existe-il encore des grands voyageurs et des terra incognita propres à susciter la fibre des écrivains voyageurs ?

Cédric Gras, qui a raconté ses parcours dans l’extrême-orient russe, disait lors d’une intervention dans un séminaire consacré aux « Usages du monde », que le XXIe siècle était celui de la post-exploration. Les derniers espaces inconnus, au moins géographiquement (sommets himalayens, monde arctique, antarctique) ne le sont plus depuis les années 1950. Ne restent plus à recenser que les dégâts infligés à la planète par un développement économique à la fois mondialisé et inéquitable, et, de fait, nombreux sont les récits de voyage (au sens large, en incluant aussi le cinéma documentaire ou la photographie) qui mettent au premier plan une préoccupation éco-critique. Mais le monde humain en tant que tel est une source inépuisable de curiosité et un appel continu à prendre la route. Ce que fait Cédric Gras, quand il cherche à comprendre pourquoi l’extrême-orient russe est devenu un espace humain en voie de désaffection, d’autres le font pour cerner des mondes apparemment plus familiers (comme Dominique Falkner ou Eric Sarner pour les Etats-Unis d’aujourd’hui), ou pour des espaces encore en grande partie interdits (comme le Xingjiang et le Tibet chinois parcourus à pied par Clara Arnaud l’année des jeux olympiques en Chine). La curiosité ethnographique reste par ailleurs bien vivante : outre le succès ininterrompu de la célèbre collection « Terre humaine », il faut citer aussi – entre autres – les éditions Transboréal, dont la collection « Sillages » héberge de nombreuses relations, soit consacrées à des espaces naturels extrêmes, soit de type ethnographique : il faut lire par exemple le texte qu’a consacré Raymond Figueras à son séjour dans les îles Mentawaï, et qui est un petit bijou d’ethnographie participante (Au pays des hommes fleurs : avec les chamans des îles Mentawaï). Quant au tourisme de masse, qu’on pourrait croire étranger au « vrai » voyage, il ne faut pas se cacher qu’il fournit aussi des occasions de voyager autrement : le récit attachant que Stéphane Piazza a tiré de ses déplacements à vélo au Japon en est la preuve. Et même un banal voyage touristique au Kenya peut susciter un récit digne d’être publié, comme l’a prouvé Philippe Arroud-Vignod avec son livre sur L’Afrique intérieure. Ou la Venise de nos jours, saturée par les touristes, qui inspire encore un voyageur comme Jean-Pierre Kauffmann (Venise à double tour). Il ne faut donc nullement en rester à la déploration nostalgique de la disparition de l’ailleurs que générerait la trop grande banalisation du voyage. Il est d’ailleurs piquant de constater que, depuis Chateaubriand, Flaubert ou Loti, cette déploration est devenue un topos de la littérature de voyage, ce qui ne l’a nullement empêchée de prospérer ; il suffit de voir à quel point la bibliothèque du voyage s’accroît chaque année de dizaines de nouveaux titres pour s’en persuader.  Le voyage et sa littérature ont encore de beaux jours devant eux.

VA/ Quelques grands écrivains de voyage contemporains à conseiller à nos lecteurs ?

Si « grands » signifie « classiques », auteurs entrés dans le canon littéraire contemporain (figurant par exemple dans les programmes scolaires ou universitaires), alors le choix est nécessairement restreint en raison du temps nécessaire pour faire émerger un consensus, et je citerai dans ces conditions, chronologiquement, Isabelle Eberhardt, Pierre Loti, Victor Segalen, Alexandra David Neel, pour le début du XXe siècle ; dans l’entre-deux guerres Ella Maillart, Annemarie Schwarzenbach, Patrick Leigh Fermor (récemment traduit en français chez l’éditeur Nevicata) ;  dans l’après-guerre Nicolas Bouvier bien sûr, Jacques Lacarrière évidemment, et d’autres encore que j’oublie – Butor, par exemple, ou Le Clézio, qui est probablement l’écrivain contemporain qui incarne le mieux la curiosité envers le divers. Il faudrait ajouter à cette liste des anthropologues comme Jean Malaurie, Claude Lévi-Strauss, Philippe Descola, ou des explorateurs comme Paul-Emile Victor ou Théodore Monod, ou une océanographe comme Anita Conti … Finalement, la meilleure suggestion de lecture serait constituée par la liste des auteurs publiés dans la « Petite bibliothèque Payot voyageurs », qui ne contient pas moins de 200 noms tout de même ! C’est dire si la littérature de voyage est une bibliothèque immense à parcourir.

VA/ Le tourisme durable, une notion qui parle à l’universitaire que vous êtes ?

Le tourisme, de manière générale, investit d’une manière ou d’une autre la littérature de voyage : la mise en texte de certains guides s’inspire de l’écriture du carnet de voyage, par exemple. Quant au tourisme durable, comment ne pas être concerné par son développement et sa promotion, quand tant de récits de voyageurs nous alertent sur la fragilité des environnements et des cultures ? Quand le tourisme culturel réservé à l’élite anglaise du XVIIIe s’est peu à peu démocratisé puis massifié pour aboutir au tourisme mondialisé que nous connaissons (près de 2 milliards de touristes internationaux attendus d’ici 2030), la question d’un tourisme modifiant ses habitudes et ses modes de consommation, respectueux et des territoires et des hommes, est plus que jamais à l’ordre du jour.

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Viatica : https://revues-msh.uca.fr/viatica/

VIATICA, rencontres, connaissance du monde, aventures


VIATICA,  première revue universitaire en ligne sur la littérature de voyage | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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