Vive « Le train pour tous » !
Thèmatique : Acteur privé Initiative privée Portrait Projet solidaire Tourisme de masse
Proposant de créer une carte donnant un accès illimité à tous les trains Intercités, « Le train pour tous » est un projet collectif un peu fou, né d’une initiative individuelle aussi citoyenne que rafraîchissante qui vise d’abord à faire voyager ceux qui ne partent jamais. Ou si peu. Rencontre avec la lanceuse alerte de cette pertinente initiative, Ayda Hadizadeh…
Voyageons-Autrement : Ayda, pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous dire comment vous est venue cette idée tout de même un peu folle : vous, citoyenne ordinaire, d’interpeller l’Etat et la SNCF pour leur proposer « un plan » ?…
Ayda Hadizadeh : J’ai 35 ans et travaille à la Direction de l’enseignement scolaire au ministère de l’Education Nationale, ce qui n’a rien à voir avec notre affaire. Mais je suis également conseillère municipale de ma ville, Saint-Ouen l’Aumône, dans le Val d’Oise, ce qui a davantage à voir car cela signifie que je m’intéresse aux affaires publiques. En fait, ce projet a pour racine le regret longtemps éprouvé de n’avoir eu ni le temps ni les moyens de découvrir nos territoires et notre patrimoine national. Et puis il y a cette anecdote ancienne, également, qui m’a profondément marquée. Lorsque nous avons appris que nous étions reçues au Bac, avec une amie, nous avons sur le champ décidé de nous offrir une semaine de vacances, en France. Malheureusement, nos calculs nous ont vite détournées du projet train + camping qui revenait bien plus cher que le projet avion + hôtel. Alors, nous sommes parties en… Tunisie !
V-A : Le train était trop cher…
AH : En dépit des efforts consentis par la SNCF, si vous n’êtes ni jeune ni senior et n’achetez pas votre billet longtemps à l’avance, son prix sera élevé. Or, en creusant le sujet, j’ai découvert qu’il existait en France un réseau un peu méconnu, le réseau Intercités qui au moyen de 35 lignes conséquentes relient entre elles 355 villes de notre territoire national, de jour comme de nuit, à bord des trains Corail, Téoz et Lunéa. Un réseau que la SNCF a modernisé récemment à hauteur d’un milliard et demi d’euros et qui n’en est pas moins en perte de vitesse, en partie parce qu’il est fort peu utilisé pour se rendre à son travail, le car comme le co-voiturage s’avérant de nos jours plus pratiques et plus économiques. Ce qui fait que ce magnifique réseau de plusieurs milliers de kilomètres transporte en un an le même nombre de passagers que la seule ligne A du RER en… un jour !!
V-A : D’où votre idée de créer une sorte de pass plus économique ?…
AH : Exactement. Plusieurs éléments m’ont conduite à cette proposition. D’abord, bien entendu, le grand succès rencontré par le pass interrail. Depuis les années 70, il représente un fabuleux moyen offert aux jeunes de sillonner et découvrir l’Europe. Au début des années 2000, devenu complexe, son offre a été simplifiée et les ventes ont aussitôt été relancées de plus de 20%, la SNCF ayant la surprise de découvrir qu’il n’intéressait pas que les jeunes ! Par ailleurs, sur les 10.000 cartes IDTGV Max (trajets illimités) mises en vente, toutes ont trouvé preneur. Enfin, dans la région Nord, les opérations T.E.R Mer et T.E.R Terre proposant des billets aller-retour le week-end pour 1 € afin d’inciter les gens à bouger, a connu un énorme succès. Parce que les billets étaient vendus 1 € ?… Evidemment ; mais il est grand temps de redonner un second souffle à la démocratisation des vacances ; or, elles débutent toutes par un déplacement. Durant l’opération T.E.R (Train Express Régional), plusieurs commentateurs ont fait remarquer que l’ambiance dans ces trains n’était pas sans rappeler celle des premiers congés payés, en 1936. Eh bien, justement : nous fêtons cette année les 80 ans des congés payés, or plus d’un tiers des Français ne partent toujours pas en vacances ! Et plus de la moitié ne partent pas tous les ans ! Faute de moyens. Cette carte engendrerait des déplacements qui n’auraient pas lieu sans son existence et relancerait un réseau en perte de vitesse tout en nourrissant l’économie et la consommation intérieure, sachant que le tourisme intérieur génère déjà 7% du PIB ; un poste vraiment important.
V-A : A qui s’adresserait cette carte ? Combien coûterait-elle et qu’est-ce qui vous fait penser qu’une telle idée soit « viable » économiquement ?
AH : Cette carte s’adresserait en priorité à ceux qui ne voyagent pas, ceux qui ne partent jamais. Mais je suis certaine qu’elle constituerait également une formidable incitation à faire du tourisme spontané. Pour tous. Une fois la carte en poche, des tas de freins psychologiques seront levés et les gens partiront bien plus, sous le coup d’une impulsion, une envie. On peut imaginer également que les CE et divers autres collectifs puissent s’impliquer pour faire bénéficier un certain nombre de personnes de cette carte qui représenterait soit dit en passant un bel atout pour basculer vers des habitudes de mobilité plus vertueuses. Difficile en revanche d’annoncer une tarification ; ce qui est certain, d’après les experts consultés, c’est qu’il faudrait que la carte soit proposée à l’année et non au mois, que l’offre tarifaire soit simple sinon simplissime, commune pour tous ou presque et, si possible, sous la barre symbolique des 100 €. Quant à la crédibilité du projet ; la première chose que j’ai faite fut de soumettre mon idée à divers experts, dont mon professeur d’économie en Master 2 qui m’a non seulement conforté dans mon idée, mais vivement encouragée et donné des pistes pour enquêter plus en profondeur sur le contexte actuel (fermeture de lignes, etc.). Même chose du côté des associations contactées dont certaines ont sorti la loupe et la calculette avant de soutenir le projet.
V-A : A ce propos, pourquoi avoir créé un collectif d’associations plutôt que porté cette idée par d’autres voies ?
AH : Vous l’avez dit vous-même au début de notre entretien : ce vaste projet, lancé par une citoyenne Lambda, vous paraissait « un peu fou ». Il vous a même semblé être une sorte de cas d’espèce, sans précédent… Je vous raconte donc sa genèse. Au départ, investie dans la vie publique, j’ai bien sûr pensé que la meilleure idée était de m’adresser directement aux politiques. J’ai donc fait remonter le projet, à plusieurs personnes et à plusieurs reprises. Sans aucun retour. Rien. Mais comme pas mal de gens autour de moi trouvaient l’idée vraiment bonne, je me suis accrochée. J’ai réfléchi : de bonnes idées, tout le monde en a et au final, la source, on s’en moque ; ce qu’il faut, c’est peser suffisamment pour pouvoir mettre ces bonnes idées en œuvre. J’aurai pu m’offrir une tribune dans un journal, admettons. Et ensuite ?… j’ai préféré me tourner vers les associations car je trouve cette idée vraiment généreuse, citoyenne et le collectif d’associations qui s’est créé lui donne du poids et, qui sait, va lui permettre d’entrer vraiment dans le débat public.
VA : Unat, UFVC, Fédération Léo Lagrange, plus d’une vingtaine d’associations soutiennent déjà votre projet. Qui en est où, aujourd’hui ?
AH : Le Parisien nous a fait la magnifique joie de nous offrir la tribune sur une page à laquelle j’avais renoncée, le 3 mai dernier, pour l’anniversaire exact des premiers congés payés. Le directeur d’Intercités à la SNCF m’a reçu mi-mai et a été très réceptif. Ce projet va, selon lui, tout à fait dans le sens de leurs préoccupations actuelles dont celle de faire renouer les Français avec leur réseau ferré. Ils vont donc y réfléchir et le « coter », c’est-à-dire l’analyser d’un point de vue à la fois opérationnel et commercial. Mais je tiens à ce que l’idée soit également portée par le politique, car elle est avant tout politique, c’est-à-dire destinée à améliorer la vie de tous. Raison pour laquelle, je l’ai faite parvenir au Secrétaire d’Etat chargé des Transports, Alain Vidalies, qui m’a tweeté en réponse qu’il me recevrait prochainement. Voilà où on en est… Je vais continuer de faire croître notre collectif, car ces associations souvent proches du terrain apportent poids, confiance et expertise sur la question. Et puis… et puis, on va continuer de se battre pour cette belle idée, en espérant que d’autres, comme vous, la relaye et lui permettent de grandir, jusqu’à devenir réalité, jusqu’à voir les plus démunis découvrir les trésors de la France… en train !
Merci Ayda, le projet est à suivre sur http://letrainpourtous.tumblr.com/
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