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Transition écologique : rôle et responsabilité de la publicité…

| Publié le 8 octobre 2020
             

Le 9 juin dernier, Géraud Guibert, conseiller maître à la Cour des comptes et président de la Fabrique écologique, et Thierry Libaert, conseiller au Comité économique et social européen, ont rendu à la ministre de la transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, un rapport consacré à « Publicité et transition écologique »… L’occasion pour Voyageons Autrement de faire le point avec Géraud Guibert sur ce sujet brûlant…

« Publicité et transition écologique »
« Publicité et transition écologique »

Le contexte : Depuis qu’en 2019, la Convention citoyenne pour le climat a fait de la « question publicitaire » un secteur « prioritaire » de la lutte contre le dérèglement climatique, le grand public s’est emparé du sujet. Pour la première fois, la remise en cause de l’activité publicitaire au regard de la transition écologique ne provient plus seulement des traditionnelles associations « anti-pub », mais des citoyens eux-mêmes. Ceux-ci réclament en conclusion dans leurs préconisations non seulement l’interdiction de la publicité pour les produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre (SUV, entre autres), mais également celles des panneaux publicitaires dans les espaces publics ainsi que l’apposition, sur toutes les publicités, d’une mention du type : « En avez-vous vraiment besoin ? La surconsommation nuit à la planète. »

Dans ce contexte, alors que d’autres leviers semblent avoir été actionnés et que la transition écologique ne cesse de prendre un retard à bien des égards dramatique, les deux rapporteurs ont également conclu – de façon certes plus circonstanciée – que la publicité, un des secteurs économiques à ne pas avoir pris d’engagement suite aux accords de Paris, devait opérer sa propre révolution. Rencontre…

Voyageons Autrement : Depuis quand se pose-t-on la question de savoir s’il ne faudrait pas toucher à la publicité pour avoir une chance de s’engager sérieusement dans la transition écologique ?

Géraud Guibert : Il existe depuis fort longtemps dans notre pays un certain nombre de mouvements et associations « anti-publicité ». Mais ils demeuraient très minoritaires et n’effectuaient pas systématiquement le lien avec le développement durable. La prise de conscience dans la population des problèmes posées par la publicité dans la transition écologique est plus récente. Elle est bien sûr liée à l’aggravation de la situation écologique, climatique et de la biodiversité. Celle-ci oblige tous les secteurs de l’économie et de la société, sans exception, à prendre le virage de la transition écologique et à agir en conséquence.

La logique de l’hyper-consommation a un impact évident notamment sur les émissions de gaz à effet de serre, alors même que nous sommes en retard sur la plupart des chantiers de la transition écologique. L’existence de multiples situations de gaspillage constitue d’importantes marges de manœuvre pour en accélérer le rythme. L’urgence du problème et le retard pris ont poussé les différents acteurs, y compris le grand public, à s’interroger sur les causes de cette situation et les moyens d’avancer plus vite.  

V.A : Est-ce à dire que tout le reste ne fonctionne pas ?

G.G : Certaines choses fonctionnent mais comme nous l’avons fait remarquer, rien ne va assez vite en matière de transition écologique. Attention néanmoins à ne pas se focaliser sur l’arbre qui cache la forêt. Prenons l’exemple très médiatisé des SUV (Sub-Urban-Vehicle). On peut certes se poser la question de la légitimité de publicités vantant leurs mérites ; mais soyons logiques, à partir du moment où l’impact de ces produits est considéré comme négatif, c’est d’abord la possibilité même de les vendre qui pose questions. D’une manière générale, il faut s’interroger tout autant sur les produits que la manière de les promouvoir. Personne, réellement personne, n’en fait assez : non seulement l’Etat, mais également les entreprises, les collectivités locales et les citoyens…       

V.A : Ces initiatives récentes proviennent-elles à l’origine d’associations écologiques et que demandent-elles précisément ?

G.G : Les associations ont joué un rôle dans la montée de ce mouvement. Mais le fait que le gouvernement se soit senti interpelé et nous ai demandé ce rapport vient d’abord du fait que depuis quelques temps déjà, à l’occasion de divers projets de loi (mobilité, économie circulaire…), les parlementaires ont déposé de nombreux amendements sur la publicité. Ceux-ci ont mis à l’ordre du jour les failles du secteur et les ont fait émerger aux yeux du grand public.

Il faut aussi citer une certaine irritation des milieux environnementaux face à divers exemples où la régulation publicitaire a été vécue comme allant dans le sens des pollueurs. Je pense par exemple à la publicité « C-discount » ou la dernière en date pour le vélo, condamnée par les instances de régulation publicitaire pour avoir montré de manière « négative » l’utilisation d’automobiles. Dans ce contexte, il est logique que la convention citoyenne ait souhaité faire des propositions sur ces sujets.

V.A : En quoi cette critique de la fonction publicitaire est-elle juste et de circonstance et en quoi excessive ?

G.G : Elle est totalement juste à partir du moment où le milieu publicitaire ne se sent pas suffisamment concerné par la problématique écologique. Plusieurs publicitaires estiment encore que la publicité est neutre dans les choix du consommateur et que ce n’est pas à eux d’intervenir. A quelques exceptions près, le secteur se soucie peu de son propre impact environnemental, qui en réalité n’est pas négligeable. Il est important et urgent que cet état d’esprit évolue.

La critique est en revanche excessive lorsqu’elle considère que la solution idéale et à étendre progressivement consiste à interdire des publicités, y compris pour des produits qui restent peu découragés à la production et à la vente. En économie de marché, faire connaître sa production est indispensable, qu’on appelle cette communication publicité ou non. Et un des dangers de l’interdiction est de transférer le problème vers d’autres moyens de communication. Les interdictions ponctuelles sont évidemment possibles voire dans certains cas souhaitables, mais l’essentiel est de construire un dispositif pour faire évoluer les comportements. Pour les modifier, mieux vaut travailler avec ceux qui agissent pour les orienter, et donc le milieu publicitaire. 

V.A : N’est-ce pas la nature, voire l’existence même de la publicité qui est aujourd’hui remise en cause ?

G.G : Par certains, si, absolument. On interdit les produits les plus polluants, d’accord, et après ? Va-t-on interdire successivement les produits un peu moins polluant, puis encore un peu moins, etc. ? Jusqu’où aller ? Et ces produits interdits, comment alors se feront ils connaître ? En passant par les influenceurs, les réseaux sociaux ? Autant d’univers encore moins contrôlables… Sans négliger les effets pervers : ce ne serait pas la première fois que des produits vécus comme cachés revêtiraient auprès du public un attrait particulier ! Interdire ne peut donc pas être une solution à généraliser. La régulation doit en revanche être plus forte et transparente et le secteur bien plus responsable.

V.A : L’idée avancée par certains de limiter « le désir même de l’acte d’achat » vous parait-elle acceptable, bienvenue ?

G.G : Je ne suis pas pour limiter les désirs. Qui est en droit de limiter ceux de ses prochains ?… Il faut certainement en revanche moins encourager les désirs générateurs de pollution. Si on voulait vraiment s’attaquer au désir de consommer, la priorité devrait être de faire changer les comportements des plus riches, par exemple pour les voyages. Il existe, de fait, une forme de mimétisme social avec l’envie de rejoindre le mode de vie des plus aisés. Ces derniers, et les personnes médiatisées, ont donc une responsabilité particulière. S’ils se montraient plus sobres dans leur comportement, cela aiderait beaucoup.

V.A : Parmi les mesures préconisées par la convention citoyenne figurent des interdictions (de faire de la publicité pour certains produits) et des obligations (d’indiquer certaines informations). Qu’en pensez-vous ? Qu’avez-vous préconisé de ce côté dans votre rapport ?

G.G : J’ai dit ce que je pensais des « interdictions » : ce ne peut être une solution générale, cela peut aider ponctuellement. Nous avons par exemple dans notre rapport l’interdiction des avions publicitaires tournant au-dessus des plages, qui représentent une nuisance évidente. Si on entend interdire à terme la vente de moteurs thermiques, il est par ailleurs logique que la publicité pour ces produits soit interdite quelques années auparavant. Plutôt que les nombreuses et diverses mentions d’alerte figurant sur les publicités, que l’on sait peu efficaces, nous avons préconisé pour les produits bénéficiant d’un barème officiel, comme le bonus-malus automobile, un visuel très simple, qui pourrait être un rond vert : « bonus » ou rouge : « malus ». Il est logique que les pouvoirs publics, qui initient ou valident ces barèmes, souhaitent que les consommateurs en soient directement informés. Cela aurait un impact fort et immédiat.

V.A : Comment le secteur publicitaire s’est-il jusqu’à ce jour positionné voire engagé par rapport à la transition écologique ?

G.G : Lors des nombreux entretiens (près d’une centaine) que nous avons menés avec la profession, certains se sont dit touchés, intéressés, interpelés, et même décidés à agir. Nous trouvons d’autant plus dommage que notre rapport ait suscité aussi peu de réactions ou d’initiatives dans ce sens de la part du secteur dans son ensemble, et très peu d’empressement à prendre ce tournant. Espérons que cela va venir. Mais plus le secteur attend sans s’investir dans la question, plus il risque gros.

V.A : Dans le rapport remis, vous préconisez « une véritable stratégie permettant au secteur publicitaire de devenir un acteur de la transition écologique ». Pouvez-vous nous en dire un mot ?

G.G : A l’image du secteur financier il y a quelques années, la publicité doit avoir sa propre feuille de route pour réduire ses émissions de carbone et savoir comment arriver à la neutralité d’ici 2050. Comme pour les autres secteurs, il faut que les critères d’impact écologiques et climatiques soient intégrés au métier et les entreprises responsabilisées.

V.A : Pensez-vous que le secteur publicitaire puisse réellement avoir la volonté, puis la capacité de s’engager « au service » de la transition ?

G.G : Pourquoi refuseraient-ils de le faire dans la mesure où, d’évidence, le sujet est incontournable et qu’il existe de multiples solutions à leur disposition pour avancer. Certes, pour l’instant, la profession est un peu échaudée et craintive face à ce nouveau défi, mais cela ne peut qu’évoluer.

V.A : Doit-on néanmoins envisager certaines interdictions fermes ? Et quels engagements de la profession devrait-on obtenir ? Comment ensuite contrôler qu’ils sont bien respectés ?

G.G : J’ai dit, déjà, ce que nous pensions des interdictions. Quant à l’engagement essentiel, il concerne une trajectoire carbone fixée, crédible et mesurée. La transparence est incontournable, seule garante du capital confiance. Elle devrait suffire, sans avoir à faire appel à des contrôles.

V.A : De nombreux sociologues pensent que le seul moyen de réussir passe par l’avènement d’un nouvel imaginaire collectif, un nouveau récit civilisationnel. Qu’en pensez-vous ? La publicité pourrait-elle alors y contribuer ?

G.G : Je suis totalement d’accord avec eux. Ce nouvel imaginaire doit être joyeux, pétri de désirs et d’envie de faire, non de restrictions. Des envies qui doivent bien sûr être compatibles avec l’avenir de nos enfants et de la planète. Il convient donc d’éviter toutes les sortes de gaspillage : oui, je me fais plaisir, mais, non, je n’ai pas besoin de « tout » pour être heureux. Pour parvenir à cet état d’esprit, un nouveau récit civilisationnel est indispensable et si la publicité pouvait nous aider à l’installer et à le rendre attractif, ce serait formidable…

V.A : Quid des médias, qui vivent en grande partie de la publicité ?

G.G : Les médias vivent en grande partie de la publicité, c’est juste et ils n’ont pas en effet intérêt à ce que se multiplient les interdictions. Mais la plupart d’entre eux s’efforcent au pluralisme des idées, y compris sur ce sujet. Ils ont en tous cas compris qu’ils ne pouvaient pas s’affranchir de l’exigence de la société d’accélérer la transition écologique.

V.A : De quoi n’avons-nous pas parlé qui vous semble important ?

G.G : J’aimerai juste évoquer une ou deux idée introduites dans le rapport qui me semblent prometteuses, comme celle de créer un fonds alimenté par l’ensemble de la profession pour encourager les publicités responsables. Dire aussi que si nous n’avons pas retenu l’idée de réguler étroitement voire d’interdire la publicité extérieure (les panneaux en ville), c’est parce qu’elle repose aujourd’hui sur les maires des communes et que cette décentralisation est à notre avis une bonne chose. Car, et c’est peut-être notre principal message, toute mesure, pour être efficace, doit convaincre et rassembler une grande majorité de la société.


Transition écologique : rôle et responsabilité de la publicité… | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Jerome Bourgine
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