Alpbach, les enjeux européens au cœur du Tyrol

À une heure d’Innsbruck et à près de mille mètres d’altitude lovée dans la vallée riante de l’Inn, Alpbach, petit village tyrolien de moins de quatre mille âmes, est d’une beauté enchanteresse. À chaque saison randonneurs et skieurs s’y retrouvent en nombre. Mais godillots et bâtons de marche peuvent rencontrer au pied de ces typiques maisons en bois flanquées de galeries aux floraisons d’un rouge vif, les personnalités les plus influentes du monde entier. Sur fond d’écrin verdoyant on se presse donc en costume sombre ou gris, – tenue plus décontractée pour les centaines de jeunes d’Europe et d’ailleurs – afin d’écouter de nombreuses personnalités internationales et d’échanger avec elles. Seule restriction mais vaste sujet : l’Europe et ses enjeux.

Depuis 1945, le village héberge le Forum européen d’Alpbach (European Forum Alpbach), une sorte d’université d’été intergénérationnelle et interdisciplinaire où débattent quinze jours durant des chercheurs, des penseurs, des scientifiques, des décideurs politiques, des hommes d’affaires, des artistes, des écrivains ; bref tout ce qui irrigue la société civile. En huit décennies nombre de personnalités ont sillonné les rues d’Alpbach  : Theodor W. Adorno, Ernst Bloch, Jacques Delors, Indira Gandhi, Max Horkheimer, Jean-Claude Juncker, Hans Kelsen, Ban Ki-Moon, Helmut Kohl, Konrad Lorenz, Herbert Marcuse, Karl Popper, Jeffrey Sachs, Peter Sloterdijk… Ce rendez vous agreste n’est pas sans rappeler cette « Europe des Esprits », ces fameuses « décades ou Entretiens de Pontigny » qui concentraient dans les années (1910-1913, 1929-1939) la fine flore intellectuelle de l’Europe (Heinrich Mann, Max Scheler André Gide, André Malraux, Paul Valéry…)

À Alpbach ces idées utopiques ont germé au milieu des gravats d’Innsbruck copieusement bombardé. Au terme de la seconde guerre mondiale plusieurs hommes d’exception vont se croiser : Otto Molden (1918-2002), historien, humaniste, résistant antinazi et ancien déporté ; Simon Moser (1901-1988), philosophe, également autrichien et promoteur avant l’heure des échanges interculturels et interdisciplinaires. À ce binôme humaniste et brillant fait écho Antoine Béthouart (1889-1982), homme charismatique et commandant en chef, représentant cette puissance occupante qu’est alors la France  en Autriche. Pour ces hommes une seule préoccupation : comment construire l’avenir de l’Europe ? Passer outre ses divisions qui l’ont déchirée ? Comment promouvoir, faire valoir les idées motrices susceptibles de faire progresser une Europe pacifiée, apaisée, fraternelle, volontaire ; en un mot réunifiée autour de valeurs démocratiques. Alpbach s’imposera rapidement comme une évidence. S’élever au-dessus du chaos. Les premiers forums seront au grand air. Quoi de mieux pour réfléchir quand on manque peut-être aussi de moyens.

Quatre-vingts ans plus tard le forum est plus présent que jamais avec de nouveaux espaces entièrement repensés au service de ses préoccupations premières : faire graviter autour de l’Europe qui comprend désormais 28 membres, les sphères scientifiques, politiques, économiques, artistiques, étudiantes…  En 2023 pour sa 78^ème édition, près de 4500 personnes issues de 70 pays, se sont retrouvées sous l’égide du président du Forum Andreas Treichl qui ouvrait cette fois le débat par un appel à remettre en question une fois encore le principe de l’unanimité : « Une Europe audacieuse (…) se chargera plutôt de la tâche complexe de modifier le traité de l’UE : la règle de l’unanimité doit être abolie et non pas simplement contournée lorsque cela est possible. Ensuite, l’UE peut prendre au sérieux son élargissement tant attendu et approfondir son marché commun. Sans ces changements audacieux, l’Europe perdra encore du terrain en tant qu’acteur géopolitique et tôt ou tard l’Union échouera. Les débats on le voit  n’ont rien perdu de leur actualité.

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