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COP 21 : « Un vrai grand pas en avant, même si… »

| Publié le 4 janvier 2016
Thèmatique :  Livres   Monde   Portrait 
             

Engagé depuis toujours dans le militantisme et l’action mis au service du développement durable, Gilles Berhault multiplie les engagements à l’heure où l’Humanité amorce son « Grand Virage ». Cofondateur et délégué général d’ACIDD (l’Association Communication et Information pour le Développement Durable), président du Comité 21 et du Club France Développement Durable, il était en charge du volet « Solutions COP 21 » de la manifestation organisée à Paris et nous livre ici son sentiment, sur l’évènement et sur ses conséquences. Rencontre éclairante

Voyageons Autrement : Comment vous présenter en quelques mots ?

Gilles Berhault : Je suis quelqu’un qui s’intéresse aux transformations de la société, particulièrement sous les angles du développement durable, du numérique et de la culture. Je partage donc mon temps entre fonctions professionnelles (au sein d’Acidd par exemple) et mes nombreux engagements associatifs.
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V-A : Quel bilan au lendemain de la COP 21. Pas trop déçu ?

GB : Pas du tout. L’image seule des 195 chefs d’état se tenant côte à côte représente un signal et un symbole fort. Evidemment, le texte de l’accord (accepté à l’unanimité, un véritable exploit) fixe la limite du réchauffement envisagé à 3°C, hors de la trajectoire raisonnable, au-dessus, on est d’accord. Mais il y a moins d’un an, on était encore fixés sur 6 voire 7° comme limite. Quels progrès ! Et puis la conscience de ne pas être allé assez loin était partagée par beaucoup. Au point qu’on la trouve inscrite dans les textes qui expliquent que même si on n’y est pas arrivé cette fois-ci, il faudra se remettre à l’ouvrage rapidement pour arriver à descendre en dessous des 2°C de réchauffement, voire 1,5°C. Honnêtement, je n’en espérais pas tant.

Il y a la manière, aussi : la reconnaissance et l’affirmation du rôle de la totalité des acteurs présents qui, pour la première fois, se sont activés tous ensemble dans un climat empreint d’un grand respect mutuel. Alors, bien sûr, à présent, il faut agir, passer à l’action. Sans qu’ait été énoncé où on allait trouver les 100 milliards indispensables, c’est regrettable. Mais cela devrait se faire. On n’a pas fixé de prix au carbone non plus ; ce qui est tout aussi dommage. Mais gardons à l’esprit que ce prix du carbone n’était même pas un sujet de discussion pour beaucoup il y a un an ! Non, on a bien avancé même s’il est vrai que l’on partait de loin. Mais, là aussi, toutes les parties ont réellement pris conscience qu’on ne pourrait pas attendre 2020 (comme indiqué sur l’accord) pour revoir sa copie et faire un pas supplémentaire. Cela sera fait avant, j’en suis convaincu. D’autant que la France demeure en charge du dossier pour un an encore et qu’elle a su jusqu’à présent montrer sa détermination à avancer.

Je ne peux pas oublier non plus que c’est la première COP où tant de monde était présent, investi, ni le chemin parcouru en quelques mois par certains pays comme la Chine (qui a reçu entre-temps de sérieux avertissements en matière de santé publique, il est vrai), ni la volonté d’engagement des populations : 40.000 visiteurs ont répondu présent au Grand Palais sur des sujets environnementaux ! C’est totalement inespéré. Une mobilisation qui s’est concrétisé par l’engagement de plus de 10.000 entreprises et collectivités à agir dans le bon sens. Non, une vraie dynamique s’est indéniablement mise en place. Reste à concrétiser tout cela dans les faits.

 V-A : Vous étiez en charge de l’organisation de la partie « Solutions COP 21 ». Où en est-on de la préparation du monde de l’après carbone ?

GB : Solutions COP 21 était une initiative non étatique, émanant du Comité 21 et elle a été une vraie réussite grâce à la participation active des associations et des entreprises. Une grande place y était accordée aux solutions liées à la mobilité. Parce que côté habitat, on sait depuis un certain temps déjà ce qu’il faut faire, comment le faire et qu’on a commencé de le faire. Concernant les solutions de mobilité en revanche, tout demeure incertain : si on a vu beaucoup de moteurs électriques, on a également vu apparaître l’hydrogène, sous forme de cartouches et puis, dans les autres domaines, on note des tas d’avancées liées à l’alimentation, la santé, sans négliger le coup de projecteur sur la recherche. Dans le pavillon qui lui était consacré, tous les grands instituts étaient présents, encore une première. Recherches sur la compréhension du réchauffement (aujourd’hui bien avancées), recherches sur les moyens d’agir et de nous adapter, etc. Des moyens qui sont aujourd’hui suffisamment nombreux et matures pour mériter d’être mieux connus. D’où l’idée de les rassembler dans un livre…

V-A : « Quelles solutions face au changement climatique »*, publié au CNRS. Quel est le but visé par cet ouvrage ?

GB : Montrer que la vie post-carbone est non seulement possible, mais qu’elle sera agréable, et que loin d’impliquer un retour au Moyen-Age, elle nous permettra, au contraire, de vivre mieux et en meilleure santé. A l’appui de cette affirmation, nous avons donc catalogués les principales solutions qui se mettent aujourd’hui en place pour nous permettre d’émettre moins de CO² et nous faisons également état de l’accélération que connaît ce processus d’innovation dans de nombreux secteurs d’activité. Car, comme on le sait, la résolution du problème passe par deux conditions : l’invention de solutions techniques appropriées ET le changement de nos comportements. Un changement qui est, lui aussi, en train de s’accélérer et qui concerne chacun d’entre nous. Au-delà de la problématique précise abordée, l’ouvrage est enfin un appel au dialogue entre les différentes branches de la science, car pour surmonter un problème aussi complexe, nous n’avons d’autre solution que de croiser tous nos savoirs de manière transversale, en un mot : de collaborer. En intégrant naturellement et impérativement à ce grand mixe, les sciences humaines, indispensables pour faire connaître, comprendre, adapter, accepter et utiliser toutes les nouvelles solutions techniques et changements de mode de vie qu’elles impliquent…

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V-A : Vous avez également publié avec Carine Dartiguepeyroux un ouvrage collectif : « Nouveaux mythes, nouveaux imaginaires pour un monde durable » qui insiste sur l’urgence qu’il y a à réinventer un récit collectif, à nous fixer un horizon commun positif en mettant de côté aussi bien coupables que culpabilité. Le seul moyen de franchir l’obstacle impliquant, selon vos travaux, de libérer les imaginaires…

GB : C’est exactement cela. Alors que 86% des Français se déclarent conscients du fait qu’ils doivent changer leurs comportements du fait de la situation environnementale, pourquoi ne sommes nous pas plus nombreux à passer à l’action ?… Qu’est-ce qui nous en empêche ? Qu’est-ce qui nous aidera à le faire ? A l’initiative de l’ACIDD, une vingtaine de chercheurs venues d’horizons très différents, du directeur scientifique à l’expert communiquant, ont travaillé, ensemble durant deux ans pour aboutir à cet ouvrage qui est une stimulation à la réflexion individuelle. Comment généraliser les bonnes pratiques ? Comment accélérer le mouvement ?

Le fruit de notre travail est qu’aussi bien la culpabilité que la contrainte ne représentent pas des solutions valables. Ce dont nous avons besoin, c’est que les forces de transformation par l’action qui ont commencé à se mettent en œuvre dans ce pays passent à un échelon supérieur et soient rejointes par le plus grand nombre. Et le meilleur moyen d’y parvenir est qu’elles soient reconnues comme faisant partie d’un nouvel imaginaire, imaginaire commun positif (car tel est bien le cas), attractif, où chacun peut se projeter dans l’augmentation du capital sanitaire et environnemental ainsi que dans les multiples bénéfices que ce changement de mode de vie va produire dans nos vies. Littérature, cinéma, tous les imaginaires sont aujourd’hui focalisés sur le catastrophisme, personne ne nous raconte comment ce sera, après, non pas quand on aura échoué, mais « quand on y sera arrivé » ! Car, pour inventer cet imaginaire, il faut déjà s’y autoriser, cesser de penser que c’est uniquement une affaire d’experts. Non : chacun d’entre nous a la capacité d’avoir des idées et d’y croire, de les mettre en oeuvre. Un certain nombre de personnes, qu’on appelle les change-makers*** le font déjà ; mais ces pionniers représentent encore le très petit nombre. Il faut vraiment qu’alimenter cet imaginaire devienne l’affaire de tous.

V-A : Justement, croyez-vous que les change-makers qui multiplient depuis quelques temps déjà les initiatives pour nous installer dans le nouveau, l’après carbone, atteindront une masse suffisante pour interagir efficacement et bousculer – à temps –  l’inertie des 99% restant de la population ?

GB : C’est la grande question. Bien sûr, le mouvement ne va faire que s’accélérer et changer d’échelle, mais il doit pour cela être accompagné par les états. Aujourd’hui, en 2015, que ce qui est collaboratif, « associatif », passe encore dans notre pays par un texte de loi datant de 1901 (!!!) montre bien à quel point le politique peut parfois être décalé, à la traîne. Croyez-vous que les 1,4 milliards de personnes connectées sur Facebook vont élire un président, un trésorier et une secrétaire à chaque fois qu’elles décident de faire quelque chose ensemble ?… En réalité, la question ne se pose même pas : les gens s’en passent, point. Il faut dépolitiser, s’ouvrir, devenir un petit peu intelligent collectivement. Cela ne signifiant pas, bien sûr, qu’il faille tout déréguler. D’autant moins que nous n’en sommes pas tous rendus au même point : internet n’est pas libre au Moyen-Orient non plus qu’en Chine et ce dernier pays, comme une bonne part de l’Asie, sont encore imprégné d’une culture et de modes de vie typiquement industriels, où la nécessaire protection de l’humain passe par la réglementation.

V-A : Vous êtes un spécialiste et un militant du DD depuis longtemps maintenant. Comment voyez-vous évoluer les choses de ce côté dans notre pays ? Au niveau officiel comme au niveau comportemental collectif ?

GB : Je milite depuis plus de 35 ans. J’ai commencé vers 18 ans dans le social puis, en 1992, la prise de conscience de certaines urgences m’a fait me passionner pour tout ce qui touchait au développement durable et j’ai commencé de travailler à la sensibilisation de ce côté. 20 ans plus tard, aucun doute : tout le monde sait. C’est clairement devenu un sujet national récurrent : Grenelle de l’environnement, loi sur la transition énergétique, documentaires excellents (comme celui diffusé par Arte sur l’obsolescence programmée) passant à la télévision, le développement durable est même LE sujet transversal à tout le programme de géographie des classes de 5ième. Donc la conscience est là ; cette étape est franchie. On en est au passage à l’action et à sa généralisation au plus grand nombre. Bien sûr, cela ne va pas assez vite, néanmoins, connaissant l’humain, on peut estimer que cela va tout même plutôt vite. Et puis il existe au problème une vraie dimension générationnelle : sur les 6,5 milliards d’êtres humains, 2 milliards déjà sont nés au XXI° siècle ! Le rêve de tous ceux-là n’est plus de posséder à tous prix une voiture, comme dans les années 60. On a changé de type de société de consommation ; l’économie de l’usage est en marche et ne cessera plus de croître en importance au détriment de l’économie de possession. Aussi, même sans être foncièrement optimiste, on peut estimer que le scénario français de l’Ademe nous faisant tutoyer les 100% d’énergies renouvelables vers 2050 est tout à fait réalisable.

V-A : Qu’est-ce qui, en dépit de tous nos égarements, vous permet de conserver (si tel est le cas) une relative confiance en l’humanité et en un devenir pas trop sombre ?…

GB : On a commencé de prendre le grand virage, ça y est. On se heurte en ce moment à deux obstacles précis, reliés l’un à l’autre. Le premier est générationnel : toute une génération, plus âgée, s’accroche aux valeurs de « l’ancien… (monde, économie, paradigme ») et a du mal à franchir le pas, se livrant à des calculs financiers à court terme pour changer le moins possible. Comme s’il ne s’agissait pas de notre survie collective ! Et les chefs d’état appartiennent malheureusement pour la plupart à cette génération. Cela entraîne donc des problèmes de financement de l’indispensable changement. Entre ceux qui polluent depuis longtemps, en ont pris conscience et sont prêts à payer et ceux qui commencent à polluer, en réclame le droit et ne veulent rien sacrifier, quel grand écart ! Sachant que toutes les configurations intermédiaires existent, on mesure à quel point les intérêts des différentes nations sont parfois radicalement différents. D’où le véritable exploit accompli par Laurent Fabius de réussir à mettre d’accord tout ce monde sur ce texte.

Un autre problème est celui des 2 milliards (deux milliards !!!) d’enfants de moins de 15 ans, nés pour nombre d’entre eux en Afrique et dont beaucoup trop sont des orphelins : comment les éduquer ? Ce problème de la transmission fait d’ailleurs partie des vraies prises de conscience « auxiliaires » intervenues lors de la COP 21 : comment transmettre la dynamique qui vient de se créer aux plus jeunes ? Comment prolonger ce formidable moment de communion et de partage de l’information alors que certains pays, parmi les plus influents (rien que la Chine) ne sont pas des pays où l’opinion est libre ?…

Cela fait beaucoup de problèmes à régler, on est d’accord. Rien de nouveau pourtant sur terre. Si l’on sait désormais quelque chose, c’est bien que l’humain n’est pas raisonnable. Le serait-il que nous ne nous serions jamais laissés entraîner dans une situation aussi périlleuse. Mais ce côté irrationnel nous a par ailleurs permis de développer une grande capacité d’imagination et d’adaptation au changement. Misons là-dessus. Personnellement, je suis définitivement optimiste.

* « Quelles solutions face au changement climatique », éditions du CNRS, 384 p – 22 €

** « Nouveaux mythes, nouveaux imaginaires pour un monde durable », avec Carine Dartiguepeyroux, éditions Les Petits matins, 260 p – 15 €

*** Voir l’excellent livre d’Eric Dupin : « Les défricheurs » aux éditions de la Découverte

 

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COP 21 : « Un vrai grand pas en avant, même si… » | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Jerome Bourgine
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