Rencontre avec Camille Thomé, secrétaire générale des Départements & Régions cyclables
Thèmatique : Acteur associatif Initiative nationale Portrait Territoire
Avant que véloroutes et voies vertes ne voient le jour, de multiples acteurs se sont concertés, ont travaillé ensemble, et ont finalisé des tracés souvent complexes car mettant en jeu des intérêts multiples et partagés. Secrétaire générale des Départements & Régions cyclables, Camille Thomé est au cœur de ces processus d’action et de décisions, qui se matérialisent sur le terrain par la mise sur pied des comités d’itinéraires. Alors, pour achever comme il se doit ce dossier vélo qui vous a accompagné tout l’été, nous vous proposons cette rencontre éclairante sur les coulisses des routes du vélo.
VA/ Pourriez-vous vous présenter pour nos lecteurs et expliquer vos responsabilités ?
Je suis Secrétaire Générale des Départements & Régions cyclables, en poste depuis 2000. Mon rôle consiste à diriger l’association et à la représenter auprès de nos partenaires (élus, collectivités, régions, partenaires européens, etc.). Je manage également les travaux de l’équipe et met en place les thématiques de réflexion.
VA/ Quel est le rôle des comités d’itinéraires et comment ces derniers fonctionnent-ils ?
A l’origine, un comité d’itinéraire est une formation temporaire qui élabore, construit et porte un projet d’itinéraire. Toutefois, aujourd’hui, le terme temporaire n’a plus grand sens, car les comités d’itinéraires fonctionnent avant tout sur la durée. Ils visent à définir une stratégie commune, des modalités pratiques, une gouvernance, la planification des travaux, et veillent à la mise en commun des moyens. Le travail étant collectif, le défi est d’autant plus grand. En outre, les comités participent également à l’évaluation des objets initiaux et au recadrage des stratégies à mi-parcours.
VA / Lors de la sélection des itinéraires, comment se passe sur le terrain, la coordination entre partenaires, élus, départements, propriétaires privés, etc. ?
Pour ce qui est du choix du tracé, il est le plus souvent réalisé en amont sur le terrain et fait l’objet d’un inscription au Schéma des véloroutes et voies vertes. Quand un comité d’itinéraire s’installe, il se met au service d’un itinéraire déjà concerté entre les élus, le maitre d’ouvrage, les propriétaires fonciers et les associations d’usagers. Une fois sur pied, il fait également intervenir un consortium de partenaires, au premier rang desquels les régions et les départements. Ces partenaires viennent souvent avec une double mission : celle de maitre d’ouvrage des infrastructures (réalisations diverses, signalisation, etc.) mais aussi, celle d’aménageur touristique. De fait, il faut bien avoir à l’esprit qu’une véloroute est à la fois un outil d’aménagement de son territoire et de tourisme. Nous essayons donc de faire émerger ces deux strates auprès des collectivités.
VA/ Quels sont les principaux pourvoyeurs de financement – ont-ils été ralentis par la crise ?
Nous avons récemment fait une estimation de l’investissement consenti par les collectivités au cours des dix dernières années dans les véloroutes. Il apparait que près de 500 millions d’euros ont été dépensé grosso modo depuis le début des années 2000. Les principaux pourvoyeurs de fonds sont les départements, suivis des régions qui accompagnent souvent les maitres d’ouvrage. L’état a été ponctuellement financeur mais ce n’est plus guère le cas. Alors, certes, il y a la crise, certes, on restreint de toute part, mais on constate toutefois que les collectivités qui tiennent à leur politique cyclable parviennent à justifier le maintien d’un bon niveau d’investissement. En outre, il faut voir que pour l’heure, le plus facile a été fait, les infrastructures de base, le choix des entreprises. A présent, il reste le plus ardu, réaliser les tronçons sur les espaces protégés et les emprises plus contraignantes, ce qui demande des autorisations et des procédures qui peuvent parfois porter les projets à dix/quinze ans. Il faut donc prendre en compte des procédures publiques car il y a le facteur financier mais aussi le facteur procédural, et il est parfois plus facile d’obtenir les autorisations pour une autoroute que pour une voie verte…
VA / En cas de conflits d’intérêt, qui a le dernier mot et avez-vous connu des projets ainsi bloqués ?
Quel que soit le projet, on y arrive toujours. Il y a toujours une manière de faire ensemble, de discuter. Nous sommes souvent l’interface entre les collectivités locales qui gèrent le terrain et de l’état, gardien du temple et des zones protégées. Parfois, le service instructeur de l’état est bienveillant, participant, favorable au projet, et les choses se passent pour le mieux. D’autres fois, on se heurte à des services moins favorables, plus pinailleurs, mais on trouve toujours une solution. Le tout reste de co-construire un partenariat.
VA/ Quelle serait la recette idéale d’une véloroute de qualité ?
La première chose, fondamentale pour réaliser une véloroute de qualité, est une bonne gouvernance, c’est-à-dire des objectifs partagés, des budgets adéquats et des partenaires techniques et politiques mobilisés. Il faut ensuite être prêt à s’engager dans les comités de pilotage. Être partenaire des comités d’itinéraire implique d’assumer sa quote-part de financement et sa part de réalisations concrètes (signalisation, animation, etc.). Le choix de la coordination est également central, que ce soit dans la mobilisation de l’énergie ou dans celle des moyens. Il faut une vraie compétence, une vraie écoute de terrain, une vraie coopération. Les comités techniques sont tout aussi incontournables, qu’ils gèrent les infrastructures, la signalisation, où qu’ils s’occupent de l’évaluation. Enfin, une véloroute de qualité se doit de s’appuyer sur des services performants, vraie valeur ajoutée : information touristique, web, réseau d’hébergeurs, locations de vélo, conditions d’accueil sur place, etc. Pour finir, l’identité et le marketing de l’itinéraire sont indispensables. Ce n’est pas que la succession de territoires qui fait l’itinéraire mais aussi l’identité commune, qui doit souvent s’affirmer sur des circuits qui peuvent faire 600 ou 1200 kilomètres. Ainsi, sur La Vélodyssée, les Basques et les Bretons, tout différents soient-ils, ont dû trouver un langage, une signalisation et des valeurs communes.
VA / La France a-t-elle rattrapé son retard vis-à-vis des pays de l’Europe du nord quant à l’aménagement de ses véloroutes ?
Dans les pays du nord de l’Europe, les situations sont très diverses mais on peut dire d’une façon générale que la France progresse vraiment. Pour l’heure, les champions restent les Pays-Bas, à la fois très forts pour les grands itinéraires mais aussi pour l’aménagement des villes et des territoires. Vis-à-vis de ce pays, la France a énormément de retard. Vis-à-vis de l’Allemagne, la France reste en retard sur ses itinéraires, les Allemands ayant fait de très belles réalisations, en revanche, le pays a du mal à unifier ses démarches du fait de sa décentralisation, ce qui pose moins de problème en France où les collectivités ont l’habitude de travailler ensemble et peuvent plus facilement participer à de grands itinéraires nationaux. Des itinéraires comme la Vélodyssée, Le Tour de Bourgogne à vélo, la Véloscénie, l’Alsace à vélo, l’EuroVelo 15 (Véloroute Rhin) ou l’EuroVelo 4 (Véloroute Manche) ont connu d’extraordinaires développements. Nous n’avons donc pas à rougir et notre potentiel est vraiment là. On peut aussi citer le Danemark, qui a surtout su faire du vélo, au-delà d’un outil de développement touristique, un vrai outil du quotidien. Pour exemple, Copenhague compte près de 50% de part modale vélo, contre 40% à Amsterdam, 10% au centre de Strasbourg et en moyenne, pour les villes françaises, entre 3 à 4%.
VA /Une fois les projets accomplis, des évaluations régulières de fréquentation sont-elles réalisées pour améliorer et adapter la qualité des véloroutes mais aussi, pour évaluer le retour sur investissement ?
Toutes les régions n’ont pas encore fait leurs études sur le retour sur investissement mais celles qui l’ont fait en ont réalisé toute l’importance. C’est notamment le cas de La Loire à Vélo, du Tour de Bourgogne, de l’Alsace à vélo, etc. Cela a notamment permis de réaliser qu’un cycliste itinérant à vélo dépense dans les territoires entre 68 et 70 € par jour, ce qui est énorme, beaucoup plus qu’un touriste moyen. En outre, ce retour sur investissement peut venir très vite, entre un à deux ans après la fin des travaux. Il faut donc bien avoir l’esprit que les véloroutes sont des investissements durables d’une richesse insoupçonnée et il est vraiment dommage que le ministère du tourisme ou ce qu’il en reste ne soit pas plus conscient de toute l’importance de cette filière du vélo tourisme. A mon sens, il manque une vraie stratégie nationale.
VA/ Le Schéma national des véloroutes et voies vertes prévoit 19 500 kilomètres et 50 itinéraires d’ici à 2020, objectif réalisable ?
Non, je pense très franchement que cet objectif n’est pas réalisable. A mon sens, ce qui serait réalisable, déjà, serait d’achever à l’horizon 2020 toutes les EuroVelo qui concernent la France, soit sept au total. Achever aussi quelques itinéraires phares comme la ViaRhôna, la Véloscénie, la London-Paris, la véloroute n°43, qui toutes ont un vrai potentiel. Et donc, sur les 19 500 kilomètres prévus, mieux vaut prioriser ce qui est faisable. 2020 c’est demain. Il va falloir s’accrocher.
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FIN DU DOSSIER VELO – MERCI A TOUS – RDVOUS POUR NOTRE PROCHAIN DOSSIER THEMATIQUE – ENTRE GRECE/THESSALIE ET LOZERE –
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Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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