Quand la tourismophobie pointe son nez…
Thèmatique : Routes du Monde Territoire Tourisme de masse
Il a suffi de quelques manifestations dans plusieurs grandes villes européennes pour que la question de la tourismophobie revienne au devant de la scène dans les médias. Mais que cache la tourismophobie ? Comment se nourrit-elle ? Et a-t-on les moyens de la prévenir ? Jeudi 6 décembre dernier, en ouverture de la 2e édition de la Remise des Palmes du tourisme durable, une table ronde organisée par Aida-IREST posait la question des racines et des remèdes…
Comment faire naitre un tourismophobe ?
Prenez une ville de 30 000 habitants, injectez lui un bon million de touristes sur une période estivale où les esprits sont prompts à s’échauffer. Ouvrez les vannes et les accès en garantissant quelques liaisons lowcost, facilitez également la multiplication des offres Airbnb de façon à bien titiller les hébergeurs classiques, puis lâchez des hordes de touristes bienheureux qui, loin de chez eux, oublient jusqu’à la définition d’une poubelle ou d’un décibel sonore, vous y êtes presque… Ha oui, assurez-vous également de bien concentrer l’ensemble de ces troupes joyeuses en quelques sites majeurs ou sur deux-trois rues pittoresques du centre ville et bien sûr, ne prenez surtout pas le risque de consulter les habitants, puisqu’ils sont vos tourismophobes en puissance… Bien sûr, il existe tout un panel de recettes adaptées à chaque situation, on peut aussi s’amuser à multiplier les routes et les voitures sur les sites naturels pour bien saturer les espaces, piétiner allégrement les plages, bétonner les espaces fragiles, à chaque lieu son mode d’emploi. Vous ne serez pas déçu du résultat. En outre, certaines villes telles Barcelone, Saint-Sébastien, Venise, Dubrovnik ont un peu d’avance et pourront toujours vous servir de laboratoire d’expérimentation !
Le surtourisme, cette tentation dantesque
Aujourd’hui encore, 95% des voyageurs voyagent sur 5% du territoire. Certes, il y a la tentation de Panurge et l’envie d’aller vérifier par soi même que la Tour Eiffel n’a pas été déplacée ou le Mont-Saint-Michel submergé mais tout de même, il est souvent étonnant de constater combien des sites superbes sont dépeuplés quand d’autres saturent sous les foulées joyeuses. Ce Surtourisme ou Overtourisme, à chaque décennie son encre, n’est heureusement pas sans résistants. Peu connus du grand public mais œuvrant depuis les années 1980, les Grands Sites de France travaillent sur cette notion et permettent aux plus beaux sites et paysages de notre Hexagone d’adapter les capacités de charge des différents lieux d’accueil. Soline Archambault, directrice des Grands Sites de France : « Nous réalisons des études afin de déterminer les capacités des charges de chaque site, entre fréquentation et préservation de l’environnement, en veillant aussi à ce que les habitants ne se sentent pas dépossédés et que le tourisme ne devienne pas la mono-activité d’un territoire. »
C’est grave docteur ?
Si les réponses des Grands Sites de France s’adressent surtout aux gestionnaires de sites et collectivités locales, d’autres acteurs possédant d’autres leviers, d’autres prismes mais aussi d’autres intérêts… sur ce « tourisme à tout prix », tentent également d’œuvrer à leur échelle. Julien Buot, directeur d’Agir pour un Tourisme Responsable (ATR), représente l’autre côté de la chaine, un ensemble de voyagistes dont le métier est justement d’inciter les voyageurs à aller découvrir le vaste monde… Mais comme l’ennemi public numéro Un n’est pas le Tourisme mais sa consommation à haute dose en concentrée, ils ont créé le label ATR, qui vise à aller plus avant dans la moralisation de leur profession et de leurs pratiques. Parmi les quelques remèdes préconisés, l’importance de s’interroger sur la responsabilité des T.O dans le changement climatique – le bilan carbone est déjà sur les ordonnances et la compensation pourrait suivre – aussi le désengorgement des sites par une meilleure répartition des masses – cela peut passer par des secrets ou chemins buissonniers que l’on subtilise aux habitants locaux ou par une « dé-saisonnalisation » du processus en préconisant une forme de 3X8 du tourisme, permettant de mieux faire tourner les publics à la journée…
Des esquisses de réponse et des succès incontestés
A la RATP, 5e opérateur de Transport public avec notamment le métro parisien, la gestion des voyageurs est forcément une préoccupation majeure (il en passe tout de même 3 307,8 millions par an !). Là, pas de paysage à protéger (quoi que) mais plutôt, un véritable arsenal innovant à mettre en place pour répondre toujours mieux à ce flux régulier. Cécile Chamussy, chef du marché Tourisme à la RATP a ainsi piloté la mise en place d’un WeChat RATP en chinois en collaboration avec une start-up du Welcome City Lab mais aussi un service de portage de bagages (Eelway), une conciergerie en 6 langues, etc. Cécile Chamussy : « On déborde de nos missions et on teste ainsi l’appétence de services via des partenariats toujours renouvelés. On est aussi en train de réfléchir à l’inter-modalité entre le métro et d’autres moyens de transport. Mais la région Île de France reste décisionnaire ! » (Petit appel du pied ! ?). Autre idée intéressante, en partenariat avec Atout France, contribuer à la « dé-saturisation », soit faire connaitre de nouveaux territoires en banlieue. Exit Châtelet. Welcome Noisy-le-Sec !
François Perroy, directeur d’Emotio Tourisme, propose quant à lui un passeport « Citoyen Voyageurs du Monde » afin d’inciter les communautés accueillantes à recevoir les voyageurs sur des temps longs. Enfin, pour revenir et conclure par un exemple parlant, qui montre aussi que la gouvernance et la concertation restent des conditions sine qua non d’une bonne gestion, Soline Archambault (GSF) a cité l’exemple du Marais Poitevin où en 15 ans, grâce au travail de fond effectué par l’ensemble des acteurs (création de chemins blancs, formation de bateliers, d’hébergeurs, développement du cyclotourisme, accueil vélo, etc.), on est passé d’une visite moyenne d’une demi-journée à une visite de 11 nuitées pour un visiteur sur deux. De quoi noyer dans les tréfonds du marais les ambitions les plus vives de tous les tourismophobes de la région !
Retrouvez sur Tourmag les 11 lauréats de cette IInde édition des Palmes du Tourisme Durable
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NB : L’événement AIDA-IREST sur le surtourisme du jeudi 6 décembre 2018 a rencontré un beau succès avec la participation d’une quarantaine de professionnels et institutionnels du tourisme. La table ronde « Du surtourisme à la tourismophilie : vers un développement touristique raisonné ? » a été animée par, LES INTERVENANTS : * Soline ARCHAMBAULT, Directrice du Réseau des Grands Sites de France ; * Julien BUOT, Secrétaire Général d’Acteurs du Tourisme Durable ; * François PERROY, Cofondateur d’Agitateurs de Destinations Numériques ; * Cécile CHAMUSSY, Responsable des publics touristiques à la RATP ; * Emmanuel MEUNIER, Associate Director de TCI Research (TRAVELSAT). LA MODERATRICE : * Karima DELLI, Présidente de la Commission « Transports et tourisme » au Parlement européen. Nous les remercions d’avoir assuré par leurs interventions et leurs échanges une telle qualité de cette table ronde. Nous remercions également – les co-organisateurs des Palmes du Tourisme Durable 2018, « ACTEURS DU TOURISME DURABLE » & « TOURMAG.COM » d’avoir accepté que cet événement AIDA-IREST se déroule en préalable de la 2e édition des Palmes du Tourisme Durable, – et l’équipe de « LA CARTONNERIE » d’avoir hébergé notre événement. Et bien sûr, les membres de l’équipe AIDA-IREST chargée de ce projet … – Jean-Michel BLANC, – Chloé FAUCON, – Juliette HERAULT, – Sara JACOB, – Noël LE SCOUARNEC, – Michel TIARD, … ont échangé leurs remerciements réciproques !
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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