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Slow devant !

Le 20 juin dernier s’est tenu à Samatan, dans le Gers, la première journée nationale du Slow Tourisme. Une tendance de fond dynamique que notre pays, pourtant doté de tous les atouts requis, a mis quelque temps à reconnaître comme porteuse. L’occasion de faire le point sur ce tourisme d’avenir avec son grand spécialiste, Luc Mazuel.

le vélo symbole du slowtourisme

Voyageons autrement : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Luc Mazuel : Auvergnat et géographe, après avoir été des années durant l’animateur des universités d’été du tourisme rural, je me suis spécialisé sur la prospective en matière de tourisme. Aujourd’hui enseignant-chercheur à VetAgro Sup, j’ai fondé un cabinet de conseil avec d’anciens étudiants, Kipik, qui intervient principalement auprès des institutions.

VA : Comment définiriez-vous le slow tourisme et de quel constat est-il né ?

LM : La définition officielle retenue en France est : « Un tourisme à rythme lent, garant d’un ressourcement de l’être, peu émetteur de CO², synonyme de patience, sérénité, découvertes approfondies, d’amélioration des connaissances et des acquis culturels ». Ouf ! Les termes soulignés étant les plus importants.  Il s’agit donc avant tout de s’intéresser à ce rapport au temps qui nous permet de mesurer ce pour quoi on vit et de prendre la mesure des choses. Or nous vivons de plus en plus vite, jusqu’à perdre pied et jusqu’à l’explosion parfois pour certains d’entre nous. Pour beaucoup, les vacances sont le seul moment où il est possible de relâcher ce rythme et de faire le point, réfléchir. Il s’agit donc bien d’un enjeu essentiel : redonner du temps et donc du fond, du sens à nos vies ! Loin d’être un concept artificiel, le slowtourisme se pose donc comme une tendance de fond venant répondre à une problématique hyper-actuelle aussi prégnante dans nos existences que le constat climatique.

VA : D’où est parti le slowtourisme et où en est-on de son déploiement dans le monde, en France notamment ?

LM : Le mouvement est né à la fin des années 80 dans la foulée de la « slow food » et des « cita (ville) slow », en Italie, pays leader de cette tendance sociétale qui a commencé par se répandre dans les pays alpins : Suisse, Slovénie, Autriche… pour se structurer de manière plus évidente à la fin des années 2000. L’Islande et le Canada s’en sont également emparés, le Québec n’étant pas le moins du monde rebuté par l’anglicisme qu’il a traduit texto par « Tourisme lent ». Ce qui n’est absolument pas le cas de la France qui a longtemps été rebutée par le terme et sa traduction : « tourisme de lenteur ». Raison pour laquelle, lorsque vous tapez Slowtourisme vous ne voyez rien ressortir de français alors qu’une partie essentielle de notre culture, de notre « art de vivre à la française » ressemble pourtant beaucoup à ça. Mais nous n’avons pas su nous en emparer.

VA : Vous avez néanmoins mené une étude assez approfondie sur le slowtourisme dans notre pays.

LM : Pour les institutions, le tourisme, en France, s’est longtemps résumé au seul compteur du nombre de visiteurs. Atout France a bien programmé deux petits tutoriels sur le slowtourisme, mais c’est tout. Pas de cluster, rien. En 2017 enfin, la Direction des Entreprises du ministère de l’économie et des finances nous a confié un travail de fond sur la question du côté des prestataires et nous avons programmé une étude pour 2018. Etude de repérage sur les entreprises du slowtourisme que j’ai ensuite élargie à certains territoires, à divers tours opérateurs et départements aussi, sachant qu’il est plus évident d’évoquer le slowtourisme dans un contexte rural qu’urbain, même si un certain nombre de villes s’y mettent. Et il était logique de présenter les résultats de cette étude à l’occasion de cette « Journée du slow tourisme » organisée dans le Gers car ce département non seulement nous a vraiment soutenu mais, à l’image de Monsieur Jourdain, il fait du slow tourisme sans le savoir depuis des années. Depuis, naturellement, un certain nombre de territoires s’y sont mis. La Saône et Loire, la Mayenne et ses slowlidays, la Sarthe où l’on se rend « Pour se la couler douce », la Drôme on l’on « savoure la sérénité » ou encore l’Aube qui a ouvert le premier Slow Tourisme Lab de notre pays. A un échelon supérieur, la région Auvergne-Rhône Alpes s’est récemment choisit pour slogan « Renaître ici » et, en Normandie, un très beau parcours sur les peintres impressionniste a été mis en place.

VA : Quel bilan peut-on retirer de l’étude menée ?

LM : L’idée était de repérer les structures porteuses du slowtourisme et de les analyser. Ce qui nous a amené à la rencontre d’entreprises très diverses comptant de 1 à une cinquantaine salariés et réalisant de quelques milliers à plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaire. Itinérance, hébergement, gastronomie, œnologie, culture… cela tourne généralement autour de ces thèmes et le premier constat effectué est que l’on se trouve face à une forte représentation de prestataires qui se trouvent dans un vrai projet de vie et veulent eux-mêmes incarner ce changement, ralentir, passer à autre chose : de l’informatique à la ballade sur des bateaux traditionnels par exemple. Pour caricaturer un profil type, mais assez vrai, on pourrait dire que les acteurs du slow sont des jeunes femmes de 35 ans ayant une première expérience professionnelle et des passions aspirant à une vie meilleure. Dans tous les cas, l’implication mise dans leur projet et l’authenticité de la démarche nourrissent puissamment le storytelling qui leur sert à aller au-devant des autres. Autre fait notable : la plupart ne s’affichent pas « slowtourisme ». Ce sont des risqueurs, appartenant à cette importante vague actuelle (Do It Yourself) de personnes qui cherchent des solutions alternatives à nos modes de vie. Animés par un idéal très pur, ils inventent et testent, écartant labels et étiquettes et fonctionnant au sein de réseaux informels qu’ils créent petit à petit avec d’autres gens portés par les mêmes idées qu’eux. Le revers de la médaille étant que les partenaires plus traditionnels : banques, assurances, administration, prestataires classiques… les cernent mal et ne sont pas toujours empressés à travailler avec eux.

VA : Qu’est-ce qui  caractérise le mieux selon vous leur manière de pratiquer le tourisme ? 

LM : Le rapport au temps bien sûr. Différent. Le temps (considérable au regard d’autres formes de tourisme) passé avec les clients. Au point que l’on se demande comment les acteurs arrivent à tenir cette prise de temps avec leurs clients sachant tout ce qu’ils ont à faire à côté et qu’il leur faut, naturellement, dégager une certaine rentabilité. Ce à quoi ils vous répondent que le temps passé ainsi correspond à autant d’argent économisé en communication et promotion ; leurs clients, ravis, faisant connaître leur satisfaction sur les réseaux sociaux et par le bouche à oreille. Le second point, puisqu’ils sont eux-mêmes des « inventeurs », c’est leur grande réceptivité à l’innovation et au changement. Ce qui explique qu’une fois installés, ils vont, très vite, rechercher des gens comme eux pour travailler avec eux, à leur façon, c’est-à-dire en s’impliquant beaucoup personnellement (de manière générale, l’implication du personnel de ces entreprises est tout à fait remarquable). Mais, « à leur façon », cela veut aussi dire différemment. Résultat, ils sont parfois – ils sont même souvent ! – incompris des institutionnels parce qu’ils ne rentrent pas dans les cases administratives. Les représentants du tourisme de masse ne les apprécient guère au départ et l’on a pu voir ainsi des initiatives aussi intéressantes que Beyond the beach, aux Antilles, ou France is fun volontairement ignorées par les représentants du tourisme « officiel » : CRT, CDT, offices, grands T.O…

VA : Quelles autres difficultés ces novateurs rencontrent-ils à faire fleurir leur manière différente d’envisager les loisirs ?

LM : En raison de ce que nous venons de dire : cette altérité presque revendiquée, la mise sur le marché de leurs produits reste encore complexe. Sauf en cas de forte notoriété comme c’est le cas par exemple de Sud Rando dont l’expertise va intéresser des acteurs reconnus comme Allibert ou Atalante. Mais la plupart, plus petits et discrets, demeurent dans une autonomie relative et les réseaux locaux. D’ailleurs c’est sur des salons « écolos » tels Marjolaine que vous pouvez les rencontrer et non sur les salons dédiés au tourisme. C’est momentané sans doute mais ils représentent un courant encore atypique. Même problème avec le modèle commercial et les réglementations entre autres. Ces acteurs traitant souvent leurs hôtes davantage comme des amis que comme des clients, ils les font entrer en cuisine, etc. ce dont la loi ne saurait entendre parler. Et ce qui vaut pour les réglementations vaut pour les taxes et les contraintes administratives qui ne sont pas leur fort en général. Malheureusement, en dehors des grilles préparées par Hugues Beesau, l’ancien directeur de la Mitra, ils ne trouvent pas d’outils dédiés pour les aider. Nous avons donc fortement préconisé en fin d’étude d’imaginer des formations à leur proposer. Enfin, le dernier point qui achoppe concerne la promesse de mobilité douce. Encore difficile à tenir. Car admettons que vous partiez 3 jours dans le Cantal. Vous venez en train jusqu’à Murat, c’est entendu, mais après ? Il faut bien qu’on vienne vous chercher en voiture…

VA : Qui sont les actuels clients du slow tourisme ?

LM :Tout d’abord les gens comme eux : des milléniums et de jeunes couples avec enfants qui souhaitent ouvrir ceux-ci à « autre chose ». Des « bobos » certes pourrait-on dire, mais il se trouve que ce sont aujourd’hui les bobos qui souvent, changent les choses. Ils ne sont pas les seuls et l’on rencontre également nombre de jeunes retraités dynamiques, voire des tribus familiales ou d’amis. L’ensemble habitant généralement les grandes métropoles et étant en quête de countrybreak. Même chose concernant le profil des visiteurs étrangers. Mais si la majorité est constituée de CSP +, les bobos ne sont pas les seuls à nourrir la tendance qui intéresse aussi un certain nombre de gens modestes mais très militants, engagés pour une vie différente ; ainsi enfin qu’un certain nombre de gens fortunés mais « anti bling-bling » qui apprécient des hôtels onéreux mais sobres, qualitatifs, naturels… Comme on le voit, on flirte là souvent bien sûr avec l’écotourisme.

VA : Comme une sorte de point d’orgue à cette étude, vous avez animé une journée sur le slow tourisme à Samatan, dans le Gers. Quels étaient les participants ? Qui s’intéressent de près au ST aujourd’hui ?

LM : Il y avait beaucoup de monde et c’est très encourageant. Mais difficile de ne pas commencer par ces trois religieuses venues en habit traditionnel nous raconter qu’elles-mêmes faisaient du slow tourisme dans leur couvent. Ensuite : cadres des ministères, CRT, CDT, OT, labels, cabinets de conseil, gens de la filière rando et des stations vertes, l’intérêt fut réel. Avec, ce qui est important une véritable implication des hautes sphères. Si le ministre s’est décommandé au dernier moment, l’ancien ministre de l’environnement et actuel président de l’Agence de la Biodiversité, Philippe Martin, était là, qui a tenu un discours inspiré, affirmant qu’il ne saurait y avoir de slowtourisme sans un fort volet eco-touristique. Il y avait également des représentants des villes car si le Gers est en avance de ce côté avec ses trois « cita slow » de grandes villes peuvent aspirer à prendre cette allure plus plaisante : Bordeaux, Strasbourg, Metz par exemple y songent. Et les équipes de Carcassonne, haut lieu du tourisme de masse dans l’unique spot de la cité médiévale, se sont montrées très intéressées par cette nouvelle manière d’attirer à soi (et retenir !)  le visiteur.

VA : Quels expériences encourageantes voire enthousiasmantes proposées par les prestataires présents ont été mises en avant lors de cette journée ?

LM :Les spectateurs ont déclenché une véritable vague d’applaudissements à la fin de la présentation d’Alta Terra, prestataire proposant chambres d’hôte et remise en forme (Virginie) dans la Cantal avec des accompagnements en moyenne montagne (Stéphane). Ils étaient une incarnation vivante du meilleur de ce que le slow tourisme peut offrir. Et l’anecdote qu’ils ont racontée tellement significative, a beaucoup fait rigoler la salle. Comme ils faisaient le bilan financier de l’année écoulée avec leur banquier, celui-ci les a fixés en disant : « Ce sont de bons résultats, dites-donc. Avant d’ajouter il faudra faire encore mieux l’an prochain ! ». Ce à quoi, ils ont immédiatement répondu, de concert : « Non, non, pas question. On est très heureux comme ça. Et nos clients aussi ». CQFD. A un autre niveau, vous avez le Domaine Ribérach près de Perpignan : 27 salariés, écolodge, spa, restaurant et chef étoilé au Michelin… On y propose un luxe différent, naturel et qualitatif, et de l’incentive également différent assorti de visites et ballades éclairantes dans la région. Il y a des gens comme Olivier Hoareau créateur de Sud Randos qui a commencé tout petit et ensuite dealé avec de plus gros sans perdre son âme pour pouvoir se développer et est reconnu par tous pour son professionnalisme, notamment concernant la qualité d’immersion offerte. J’ai dit un mot déjà du magnifique parcours normand sur les Impressionnistes. Enfin, les représentants de destinations comme Carcassonne ou le Louvre Lens, assaillis de visiteurs effectuant chez eux des visites éclairs (vieille ville, musée), qui cherchent le moyen d’apaiser et faire durer la manière dont on les aborde, recherchant pour cela le soutien de l’état à travers des contrats de Destination, spott ou Grands sites de France.

VA : Sur quels constats ou quelles décisions s’est achevée la rencontre ?

LM : Je vais bien entendu proposer aux institutions nationales de prolonger ce travail. Lequel, parmi d’autres, a apporté sa pierre à l’évolution des mentalités politiques concernant le tourisme. Jusqu’à aujourd’hui, je l’ai dit, les politiques n’envisageaient le volet tourisme de notre économie que sous le seul regard des chiffres : rester n°1 mondial avec 100 millions de visiteurs. Point ! Il faut absolument que ce bilan puisse être mis en avant au moment des J.O. de 2024. Cela demeure leur objectif certes mais ils semblent avoir compris que l’on n’y arrivera pas non plus en faisant n’importe quoi ; qu’il est important pour l’avenir de donner de notre pays une image de grande qualité. C’est cette bonne intention qu’il faut travailler…

A lire :
Pour une bonne gouvernance du patrimoine mondial de l’Unesco
Territoires et tourisme durable: une série de témoignages (webinaires)


Slow devant ! | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Jerome Bourgine
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