Pour une bonne gouvernance du patrimoine mondial de l’Unesco
Lorsqu’un site, une région, une ville obtient son inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, il est amené par la suite à recevoir de nombreux touristes, pour le meilleur ou pour le pire… Se pose alors la question de la gouvernance, question posée lors du séminaire organisé le mardi 9 octobre par l’IREST et l’Unesco autour de plusieurs cas concrets.
L’avant et l’après Unesco
En 2010, la cité épiscopale d’Albi obtient son inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Depuis, cette ville moyenne de 52 000 habitants accueille 700 000 touristes à l’année. A Bordeaux, le label Unesco date de 2007. Avec 1 810 hectares sur 4 500, la ville compte le plus vaste espace urbain classé. Là aussi, la fréquentation touristique a explosé, et pas uniquement dans la cité, puisque les visites dans les vignobles voisins ont bondi de 82 %. Dans le Bassin Minier du Nord Pas-de-Calais, l’inscription est beaucoup plus récente puisqu’elle date de juin dernier mais l’émotion n’en est pas moins vive après dix ans de travail acharné pour donner à toute une région (87 communes !) un nouveau visage. Enfin, si le Canal du Midi est sur la liste depuis 1996, il se doit aujourd’hui de trouver un nouveau souffle suite à un champignon microscopique qui dévaste l’ensemble des platanes. Atteint par le chancre coloré, ces derniers seront peu à peu abattus et aurons tous disparu d’ici dix à quinze ans, posant clairement la question de l’après.
Un label inscrit dans l’histoire
Quatre sites, tous inscrits sur la liste du patrimoine mondial, et quatre histoires différentes pour des gouvernances et des objectifs distincts. De fait, quand en 1972 la Convention Unesco décide d’inscrire des sites remarquables sur une liste du patrimoine mondial, la problématique du tourisme est loin d’être prégnante. Le tourisme de masse n’a pas encore frappé et les sites ne sont pas encore saturés par des hordes de voyageurs. A l’époque, il s’agit surtout de permettre à des pays pauvres de sauvegarder leur patrimoine en s’appuyant sur la communauté internationale pour assurer une coresponsabilité. Aujourd’hui, si l’argument touristique est parfois mis en sommeil, on a toutefois l’impression que la quête du « label », de part la notoriété qu’elle donne à un site, est souvent synonyme d’une quête du Graal visant à attirer les foules voyageuses. La réalité est toutefois plus complexe et les systèmes de gouvernance mis en place pour gérer l’avant mais surtout, l’après « Unesco », montrent que l’inscription à la liste est aussi un véritable défi pour faire travailler de front des décideurs extrêmement divers.
Des villes distinguées
Stéphanie Guiraud-Chaumeil, adjointe au maire d’Albi, précise combien le fait d’avoir été inscrit sur la liste du patrimoine mondial a surtout été un point de départ. Pour gérer au mieux son nouveau statut, la ville a mis en place un plan de gestion extrêmement ambitieux avec un comité de bien intégrant professionnels, scientifiques, décideurs politiques, acteurs du public et du privé. L’idée : ne pas transformer Albi en enclave touristique mais, au contraire, intégrer le tourisme à toute une économie régionale. De fait, des sites voisins comme le musée Ingres de Montauban ou le vignoble gaillacois ont également profité de cette dynamique.
A Bordeaux, l’impact de l’inscription à la liste du patrimoine mondiale se confond avec l’établissement d’un nouveau Bordeaux déjà en cours depuis les années 2000. De fait, depuis 2007, la ville s’est dotée d’un tramway, a réhabilité ses quais, augmenté son secteur piétonnier, aménagé de nouvelles places, ravalé ses façades, le tout, coordonné par un plan de gestion à trois volets (urbain, culturel, économique). La ville dispose toutefois d’un comité local « Unesco Bordeaux » car, comme le précise Laurent Hodebar, chargé de mission tourisme pour la ville : « L’inscription sur la liste du patrimoine mondiale nous oblige à rester dans l’excellence. » Depuis, Bordeaux a également été labellisé « Villes et pays d’art et d’histoire », et « Ville Ecotouristique » avec une forte sensibilisation de ses hébergeurs aux démarches Ecolabel et Clef Verte, l’édition de TopoGuide, le développement de navette fluviale, et tout un travail sur l’accessibilité des personnes handicapées.
Des espaces salués
Dans le Bassin Minier, le label, tout frais, est vécu comme une victoire dans une région que le charbon et le travail de la mine ont marqué de leur empreinte. L’avenir des grands sites miniers du territoire était en jeu, comme trouver un nouvel usage à ces cathédrales industrielles ou recomposer un visage à un territoire souvent dévalorisé dans les médias. Toutefois, là aussi, pour Catherine O’Miel, Directrice de Bassin Minier UNI, pas question de transformer la région en un musée à ciel ouvert : « L’idée est de faire travailler des acteurs très divers ensemble et de s’appuyer sur les compétences de chacun pour les entrainer dans l’aventure. Il a fallu dix ans et une présence pragmatique à nombre de réunions locales pour instiller peu à peu l’étincelle Unesco à toute une région. » A présent, se pose clairement la question de l’après et de l’ingénierie relais dans un Nord Pas-de-Calais où le tourisme reste un épiphénomène et où les infrastructures afférentes ne sont pas toujours au rendez-vous.
Enfin, c’est un tout autre défi qui attend le Canal du Midi, obligé d’abattre ses platanes et de penser le paysage différemment. Valérie Mura, responsable du mécénat – Plantations du Canal du Midi voies navigables de France – explique que la disparition des platanes est peut-être aussi une opportunité pour penser le tourisme différemment, en travaillant par exemple sur l’épaisseur du territoire pour rendre de nouveaux paysages visibles. Pour elle, l’inscription sur la liste du patrimoine mondial n’est pas vécue comme un aboutissement mais plutôt comme un renouvellement permanent.
Vivre le label, aujourd’hui et demain
Le problème de la gouvernance apparait donc bien fondamental auquel s’ajoute, pour certains des sites, celui de la maitrise d’ouvrage. Qui doit effectivement porter ces questions quand on sait que le Canal du Midi traverse trois départements et court sur 241 kilomètres ? Catherine O’Miel, du Bassin Minier, avec une configuration similaire à la croisée de plusieurs départements et communes, s’interroge également. A Bordeaux, ce n’est pas tant le maitre d’ouvrage qui pose problème que l’accumulation de plans et de directives qui finissent par former un millefeuille pas toujours facile à digérer. Autant de questions et de problématiques qui n’échappent pas à la ville d’Albi, toutefois aidée par sa taille moyenne et le périmètre limité de son champ d’intervention.
Il y aurait encore beaucoup à dire et à écrire sur cette problématique de la gouvernance tant elle est centrale tout en restant propre à chaque site, à chaque acteur. Dans la salle, un dernier doigt se lève, un responsable du tourisme marocain, qui s’interroge et interroge l’Unesco sur la pertinence d’une charte possible, forme de ligne de conduite édictée par l’institution pour aider les acteurs à trouver des points de convergence. Il explique : « Au Maroc, nous avons quatre médinas classés, et beaucoup d’intérêts divergents. Si l’Unesco édictait une telle charte, cela permettrait d’avoir une autorité extérieure pour mieux gérer les intérêts des uns et des autres et éviter ainsi certaines pressions ». La question est intéressante, le temps trop limité pour bien y répondre. Mais cet acteur, de part son intervention, ouvre aussi tout le débat du champ des possibles suite à un label Unesco. Si l’on revient sur les chiffres, si l’on pense au Machu Picchu aujourd’hui obligé de limiter ses visiteurs à 2500 par jour, au Mont Saint Michel dont la structure en granit s’effrite sous les piétinements visiteurs, on comprend là aussi toute l’importance de la bonne gouvernance, des plans de gestion rigoureux, et, pourquoi pas, d’une charte Unesco, indépendante et neutre.
EN SAVOIR PLUS
Ce séminaire qui s’inscrit dans le cadre de la 3e journée de la chaire Unesco « Culture, Tourisme, Développement ».
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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