Viel Audon : 3 questions à Béatrice Barras
Auteur de « Chantier ouvert au Public – Le Viel Audon, village coopératif »*, Béatrice Barras a fait partie de ce groupe de jeunes qui, dans les années 1970, s’est lancé dans la restauration du hameau du Viel Audon. Engagée dans différentes structures de l’économie sociale et solidaire, elle est également une des fondatrices de la Scop Ardelaine dans laquelle elle travaille toujours. Elle a également publié aux éditions REPAS : «MOUTONS REBELLES – L’histoire d’Ardelaine, la fibre développement local. »
(voir l’article sur le Viel Audon, hameau coopératif dans les gorges de l’Ardèche)
VA – Lorsque vous, votre compagnon Gérard et vos amis, vous êtes lancés dans la reconstruction du hameau du Viel Audon, quel était votre but ? Qu’est-ce qui vous animait à cette époque ?
Béatrice Barras – Notre projet était de redonner vie au hameau, totalement abandonné et oublié de (presque) tous… Mais nous n’avons pas imaginé ce projet pour nous-mêmes. D’ailleurs, nous n’y avons jamais habité. Nous voulions en faire un lieu atypique au bénéfice de la jeunesse et de l’éducation. Dès le départ, l’idée d’un chantier de jeunes a émergé. En 40 ans, ce sont plus de 10 000 jeunes bénévoles qui ont permis de restaurer entièrement le Vieil Audon. Il y a deux volets au chantier : la restauration du hameau lui-même et l’aménagement de son environnement (sentiers, terrasses). Il reste encore des ruines dans le hameau, de quoi continuer à organiser ces chantiers encore un bon moment ! Cette dimension de restauration s’est également enrichie d’activités d’éducation à l’environnement, de la création d’une ferme…
Ça n’a pas été facile pour en arriver là : nous n’avions pas un sou en poche ! Mais, notre technique pour contourner cet obstacle a été assez simple : nous avons été patients. Nous avons remplacé l’argent, qui nous faisait défaut, par du temps… Cette aventure démontre que, même sans moyens, si chacun s’y met, on peut faire de grandes choses. Nous avons fait le chemin en marchant, nous avons construit le projet avec les gens qui le faisaient. Rien n’était planifié, rien n’était anticipé…
Mais ces chantiers ne sont pas un simple moyen pour restaurer le hameau : ils sont un but en soi.
VA – En quoi le chantier de jeunes est-il un but en soi ?
Béatrice Barras – Il ne s’agit pas d’une colonie de vacances. Les jeunes se prennent en main, ils s’organisent pour réaliser les projets, gérer les matériaux (il n’y a pas d’accès routier), faire les courses, préparer les repas, organiser leurs loisirs. Il n’existe pas tant d’endroits que ça où les jeunes font un réel apprentissage de l’autonomie. Cela leur permet de se confronter à l’apprentissage de la coresponsabilité. Apprendre à faire avec les autres n’est pas si facile, c’est un art ! Cette démarche correspond à l’éducation populaire telle qu’elle existait autrefois. Mettre les jeunes ensemble, autour d’un projet, en les laissant s’organiser. On est bien loin de la tendance actuelle où on se laisse plutôt porter par les événements, on les subit. Le Viel Audon permet un vrai apprentissage de la responsabilité.
Une autre dimension de ces chantiers, toute aussi importante : la mixité sociale. Les participants ont des parcours de vie très différents : des jeunes handicapés, des jeunes des quartiers de Marseille, des élèves du Lycée Français de Londres (avec des enfants de diplomates)… Il existe très peu de lieu où cette mixité est possible aujourd’hui. Ces rencontres entre jeunes issus d’horizons très différents est pourtant une vraie richesse : elles leur apportent beaucoup, car ils découvrent la société telle qu’elle est.
La revalorisation de « l’agir », du « faire », est également une dimension fondamentale. A l’école, on développe la pensée. L’agir est très dévalorisé en France. Dans le cadre du chantier, on lie l’action à la pensée. L’action permet de découvrir le monde : au Viel Audon, on peut agir sur son environnement, même avec de petits moyens. Avec du savoir-faire, on y parvient. Et la démarche permet justement de passer du « faire » au « savoir-faire ». Qu’ils soient issus de Sciences Po ou d’ailleurs, se confronter à l’action est bénéfique pour chacun de ces jeunes.
Actuellement, les jeunes sont très sensibles à tout ce qui touche à l’alimentation… Ils ont créé un grand potager, ils récoltent, cuisinent… Une vraie réflexion sur le rapport à l’alimentation est à l’œuvre.
VA – Vous avez écrit le livre « Chantier ouvert au Public » en 2008. Qu’est-ce qui vous a motivée ? Comment s’est passée la rédaction de cet ouvrage ?
Béatrice Barras – La première motivation a été que les pierres ne parlent pas ! Quand des visiteurs arrivent aujourd’hui dans le hameau, ils le trouvent « beau » et «merveilleux ». Mais les pierres ne peuvent pas leur raconter que chacune d’entre elles est là où elle est, formant des murs, des ponts, des arches, grâce à plus de 10 000 jeunes bénévoles ! Ce livre est un témoignage de l’originalité du lieu et du projet.
La rédaction de l’ouvrage s’est faite en lien avec Yann Sourbier, qui est un des plus anciens de cette aventure, et qui y participe toujours puisqu’il est le directeur de l’association Le Mat, dont l’action est axée sur l’éducation à l’environnement, au développement durable et à la coopération.
Ensuite, j’ai recueilli beaucoup de témoignages des jeunes qui sont passés, à un moment de leur vie, au Viel Audon. A l’occasion des 30 ans de l’association gérant les chantiers de jeunes, une fête a été organisée, et beaucoup d’entre eux ont répondu présents à l’invitation. Cette rencontre m’a permis de renouer le lien avec eux, et ensuite de « récolter » leurs témoignages. Lors de cette fête, c’était très émouvant de les voir tous, avec beaucoup d’années en plus pour certains, se souvenir précisément avoir construit tel mur, aidé à rebâtir tel pont ou telle arche… Tous ont témoigné que ce passage par le Viel Audon les a aidés à se construire, qu’il leur a été utile pour leur vie personnelle et professionnelle. Cette expérience les a beaucoup marqués. Elle les a aidés à « se construire en construisant »…
* Editions REPAS, coll. Pratiques Utopiques
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