Rencontre avec l’association le Kapokier
Il était une fois un arbre, une famille et un village. Puis un projet qui relia l’arbre, la famille, et le village. L’association le Kapokier a été créée en 2012. Elle tient son nom de l’arbre sacré de Bérégoudougou, l’arbre à palabres où les anciens se réunissent pour résoudre les problèmes et trouver des solutions. Rencontre avec Edouard et Brigitte, piliers de l’association, qui ont commencé une nouvelle aventure entre la France et le Burkina-Faso, Paris et Bérégoudougou, une aventure un peu à l’image de leur famille, unie et en lien avec ces deux mondes.
VA/ Comment est née votre envie de créer l’association Le Kapokier ?
Edouard : Il y a d’abord ce terrain, que mon père, Fako Sombié m’a légué à moi, mon frère et ma sœur, et qu’il a fait borner juste avant de mourir, afin d’éviter les jalousies et les histoires de voisinage. C’est à ce moment là qu’a commencé l’histoire de notre association, «Atteint d’un cancer, il avait souhaité nous amener dans son village natal : Bérégadougou, village où je n’étais pas allé depuis quinze ans et que mon frère Julien découvrait. »
Brigitte : Il y a aussi la situation du village, qui a abrité dans ses faubourgs une des plus grandes entreprises sucrières du pays, réduisant les terres alentours à une monoculture de canne à sucre, et multipliant la population du village par huit en l’espace de dix ans (entre 1970 et 1980), au détriment des surfaces cultivées et de la diversification alimentaire.
Edouard : Au cours de ce voyage, mon père nous a montré le terrain et nous a présenté les personnes susceptibles de nous aider à le mettre en valeur. Je n’étais pas retourné sur place depuis quinze ans, depuis mes 18 ans où j’avais alors entrepris seul un voyage initiatique de trois mois. Mais je savais qu’un jour je reviendrai.
Brigitte : Après avoir financé la mise en culture du terrain pendant trois ans, le débroussaillage, et devant l’ampleur de la tâche, l’association Le Kapokier est née l’an dernier. Edouard en est le président. Elle compte également son frère Julien, sa sœur Sophie, un ami d’enfance (Roman) et moi-même.
VA/ Quels sont les différents projets de l’association ?
Edouard : Le projet est ambitieux car nous avons hérité d’un terrain qui est très grand (près de 54 hectares). Et donc, l’idée est de créer de la production agricole, de l’activité économique qui soit la plus pérenne possible, un système autonome de production agricole. Nous souhaitons être auto-suffisant. Nous cultivons principalement du sésame, du karité – présents naturellement dans la région – et du haricot niébé. Nous cherchons également des débouchés pour ces produits, par exemple pour produire du beurre de karité.
Brigitte : Notre modèle économique est en deux volets, d’une part des cultures de rente pour l’exportation avec des produits naturels comme le sésame ou le karité, d’autre part des cultures vivrières pour les villageois qui vivent sur place et connaissent la malnutrition. La monoculture de la canne à sucre a beaucoup appauvri la terre, à présent il faut la revitaliser, diversifier, changer aussi des seuls arachides et maïs. En juillet prochain, nous repartons tous pour trois mois, avec déjà l’idée de créer un vrai potager sur place. Et si tout va bien, nous comptons planter 11 hectares et demi de sésame.
Edouard : Nous prévoyons deux cultures par an. Entre juin et fin aout, des haricots et du maïs, puis, de mi-septembre à mi-décembre, le sésame qui a besoin de plus chaleur et de moins d’eau. Notre objectif est de produire quatre tonnes de sésame cette année.
Brigitte : Le sésame fait partie de nos cultures de rente. Nous avons déjà quelques débouchés en France : un restaurant qui va nous en prendre, un magasin parisien d’épicerie fine, etc.
Edouard : Nous avons aussi quelques acheteurs sur place au Burkina, et notamment à Bobo-Dioulasso, la grande ville la plus proche de notre village. Mais évidemment, c’est plus rentable pour nous de vendre en France.
Brigitte : Nous nous renseignons aussi pour nous labéliser Ecocert, ce qui nous permettra d’entrer dans les réseaux du bio, mais pour cela, nous avons besoin d’une certaine surface visible. Cela va prendre un peu de temps.
VA/ Quels sont vos partenaires pour mener à bien tous vos projets ?
Edouard : Devant l’ampleur du terrain et des projets, nous avons mobilisé beaucoup de famille, d’amis, mais aussi de nombreux partenaires locaux. Ils ne sont pas forcément des sources de financement mais ils nous aident avec leur propre moyen. Par exemple, pour les récoltes vivrières du champ, ce sera la mairie du village qui se chargera de la distribution des repas dans les cantines scolaires. Notre famille nous aide également beaucoup. Chacun trouve sa place dans la dynamique. Mais nous avons également été obligés de mettre de l’eau au moulin…
Brigitte : Oui, depuis trois ans, ce sont principalement nos économies qui financent le projet. On a mis en culture le champ depuis trois ans mais pour l’heure, le produit de la vente ne couvre pas les frais engendrés. Cela nous a permis de toucher du doigt les limites de la rentabilité de l’agriculture.
Edouard : Il faut aussi dire que le débroussaillage et la mise en culture ont été longs. Il va nous falloir un peu de temps pour avoir un retour sur investissement. Nous avons également mis en place une formation aux techniques agricoles et à l’agroécologie (permaculture, compostage, etc.) en partenariat avec une congrégation catholique locale issue du réseau lassalien. Ainsi, nous proposons une formation à nos travailleurs saisonniers qui alterne entre alphabétisation et formation agricole. Le centre de formation est juste entre notre champ et le village. Avant, le centre assurait des stages de neuf mois pour former les villageois aux techniques agricoles (en leur fournissant la nourriture équivalent à l’année de récolte non effectuée) mais la mise en application était difficile une fois de retour au village. Depuis six mois, le centre a un nouveau directeur, un « ancien » du Cameroun. Il a audité la structure et vu ce qui n’allait pas. Il nous a tendu la main et vu notre potentiel de lien et d’intégration sociale avec le village. Nous allons donc proposer des sessions de formation plus courtes, en alternance avec les champs, et en lien avec le village. En outre, le nouveau directeur est ouvert à l’agroécologie et aux nouvelles techniques.
VA/ Avez-vous également pensé au volet tourisme, comme levier de développement local, pour vous aider à réaliser certains de vos projets ?
Edouard : L’idée nous séduit beaucoup, d’autant que nous avons la chance d’être dans la région la plus touristique du Burkina, la région des cascades de Karfiguela avec le lac de Tengrela, les pics de Sindou, les dômes de Fabédougou, le village de Gnassogoni, autant de sites qui reçoivent la visite de plusieurs centaines de touristes par an, des gens de Ouaga comme des Européens. Notre village est à peine à 5 kilomètres des premiers sites.
Brigitte : En plus, pour l’heure le tourisme est très peu développé et sur place, on peut aller à la rencontre des gens qui sont extrêmement accueillants, très peu insistants. Quand je me promène sur les marchés, je vais mes achats en toute confiance. En outre, dans la région, la cohabitation entre chrétiens et musulmans est très apaisée.
VA/ Sur place, quel est l’accueil et la vision des villageois quant à ces différents projets ? Vous sentez vous soutenus, jalousés, ou est-ce au contraire l’indifférence ?
Edouard : La moitié du village porte mon nom. Et quand je me suis rendu sur place en décembre dernier, j’ai dressé un état des lieux avec les villageois. On a discuté des problèmes que rencontre le village et on a réfléchi ensemble aux solutions à apporter. Les villageois ne sont pas du tout sensibilisés à l’environnement, ils sont dans une logique de court terme.
Brigitte : Au départ, les villageois lorgnaient un peu sur les champs, avec un peu de jalousie. Mais le père d’Edouard a assuré la transition et sur place, nous nous appuyons sur Solo, son cousin, une vraie personne ressource. C’est vrai que pour l’heure, l’agroécologie n’est pas du tout développée mais les constructions, les modes de culture ont encore peu d’impact sur l’environnement. On commence à voir apparaitre des pesticides et herbicides chimiques. Et la rapidité avec laquelle leur utilisation se généralise est très inquiétante, d’autant qu’elle se fait sans aucune précaution ou formation particulière.
Edouard : Et puis les gens se rendent bien compte que l’environnement change, qu’il y a moins de poissons, d’animaux, d’arbres. Le court terme reste la priorité, le progrès reste le sac plastique, mais la nature a une résilience, elle ne peut pas tout absorber. L’idée, c’est de les sensibiliser peu à peu. La permaculture fait partie de tout cela.
Brigitte : La permaculture prône l’alliance des plantes entre elles. Elle peut être très productrice, même plus productrice que les grandes exploitations, cela est prouvé. En Afrique, il y a peu d’outils mais beaucoup de main d’œuvre, là est le point fort. Et les gens ont encore l’habitude de travailler dur pour cultiver.
Edouard : Oui, chez nous, tout le monde travaille encore à la daba, une pelle à poignée courte.
VA/ Pour l’heure, quel serait le moyen le plus efficace pour vous soutenir ? Votre site mentionne qu’il est d’ores et déjà possible de venir sur le terrain pour mener des actions, pouvez vous nous en dire plus sur ce point ?
Edouard : Pour l’heure, chacun peut venir avec ce qu’il a et ce qu’il est. Sur place, nous louons une maison où nous pouvons accueillir quelques personnes. Par exemple, cet été, nous accueillons un ami et adhérent de l’association, Quentin, qui va nous aider à mettre sur pied le programme pédagogique de nos formations. Et pour les personnes intéressées à mettre la main à la pâte, il y a aussi un hôtel, à 5 kilomètres du village. Le mieux est de prendre contact avec nous.
Brigitte : Et sur place, c’est très paisible, on est en Afrique. On se sent bien. On trouve très facilement sa place.
————-
Il y a différents moyens de soutenir le Kapokier : en devenant adhérent, en apportant une aide financière ou en nature…
En savoir plus sur le site de l’association http://www.lekapokier.org
L’Association Le Kapokier organise aussi des après-midi ludiques autour de jeux de société pour petits et grands, afin de se rencontrer et de partage. La prochaine aura lieu le dimanche 28 février – au café Mésange. 82 rue de la Marre. Paris XXe. A partir de 6 ans.
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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