Rencontre avec François Piot, PDG de Prêt à Partir
Entreprise familiale née en Lorraine juste après la seconde guerre mondiale, Prêt à Partir est issu du monde de l’autocar et constitue un acteur important du transport de voyageurs avec près de 20 000 personnes transportées quotidiennement. En outre, le groupe représente un réseau d’environ 100 agences de voyages implantées dans toute la France, qui organisent et distribuent des voyages et gèrent les déplacements professionnels de sociétés et d’administration. Nous étions donc curieux de les rencontrer pour sonder comment un acteur important du tourisme et du transport appréhende le tourisme responsable au sein de son entreprise.
Dans quelle mesure le tourisme responsable est-il important pour vous ?
Le développement durable est omniprésent dans notre stratégie : notre entreprise prend ses décisions dans une perspective de long terme. C’est le propre d’une entreprise familiale qui se transmet de génération en génération. Nos priorités en termes de tourisme responsable consistent à sensibiliser nos clients à l’empreinte carbone de leurs voyages, en particulier nos clients entreprises. Nous soutenons également l’association Niger ma Zaada, aux côtés de laquelle nous œuvrons depuis 8 ans. Enfin, nous faisons en sorte de proposer des voyages différents, respectueux des populations locales et axés sur l’échange et l’ouverture vers l’autre.
Avez-vous, ou avez-vous eu, la tentation du label et pouvez-vous nous citer vos partenaires « durables » ?
Notre engagement dans le développement durable est plus une histoire d’entreprise qu’un argument marketing. Nous sommes conscients que nos actions sont limitées et fragiles : mais avec peu ici, nous faisons beaucoup, au Niger, par exemple. Notre branche « transport de voyageurs » fut la première entreprise de Lorraine adhérente de la « Charte CO2 » de l’Ademe. Adhérer à cette charte, c’est prendre deux engagements : mesurer notre empreinte carbone ; et nous engager à la réduire via un plan d’actions pluri-annuel. Nos partenaires durables sont peu nombreux et ces voyages représentent une part infime de nos ventes. Nous organisons nous-mêmes, tous les deux ou trois ans, un voyage « responsable » au Niger, qui allie tourisme, commerce équitable, protection de l’environnement et découverte de l’autre et de l’ailleurs.
Votre clientèle se montre-t-elle sensible au durable et avez-vous le sentiment qu’une demande se dégage en ce sens ?
Nos clients sont prêts à « acheter durable », tant que cela ne leur coûte pas plus cher ! Si le développement durable est dans toutes les bouches, cette notion est beaucoup trop vague pour nos clients. Attention aussi à ne pas tomber dans la culpabilisation : nos clients viennent acheter des loisirs et du rêve, ils ne viennent pas s’acheter une conscience.
Comment concilier une activité fortement polluante et le souci de la planète et de l’environnement ?
En parallèle de notre activité d’agent de voyages et de celle d’autocariste, par nature très polluante, nous avons lourdement investi dans la production d’énergies renouvelables (photovoltaïque, éolien, méthanisation, hydro-électrique). Objectif : compenser 100% du CO2 émis par nos autocars avant la fin de la décennie ! Actuellement nous compensons 25% de nos émissions de CO2, en exploitant 30 000 m2 de panneaux solaires.
Vous proposez des voyages pour toutes les gammes – mais êtes-vous allé voir l’envers du décor quant aux voyages à prix cassés de vos partenaires ?
Le prix n’est pas le bon critère : les 5* de Las Vegas assèchent les régions environnantes et le « logement chez l’habitant » est à la fois responsable, solidaire et environnemental. Les enjeux majeurs sont : la pollution liée au transport et la bonne gestion de l’eau.
Comment choisissez vous vos réceptifs dans les destinations proposées ? Etes-vous au courant de leurs pratiques salariales, de leurs engagements quant à l’environnement ?
Nous n’avons pas mis en place d’audit de nos prestataires à destination : notre objectif premier est de choisir des réceptifs qui prennent soin de nos clients, et à qui nous puissions verser de l’argent, avant le voyage, sans prendre trop de risques. Des différenciations sociales et environnementales sont aujourd’hui extrêmement difficiles à valoriser aux yeux de nos clients. La différenciation se fait plutôt par la destination (le Bhoutan par exemple, ou le Costa Rica).
Les salariés de Prêt à partir sont ils régulièrement valorisés et formés au tourisme responsable ?
Oui, bien sûr ! Nos actions au Niger occupent une place constante dans notre journal interne. Nous y parlons beaucoup d’environnement et de développement durable. Encore une fois, c’est une histoire collective que nous écrivons, pas un scénario marketing ! Il y a 4 ans, une de nos responsables d’agence est partie 6 semaines au Niger, mission totalement financée par l’entreprise, pour donner des cours de français dans un village. Notre partenaire nigérien vient régulièrement à la rencontre de nos équipes, tout comme l’association Niger ma Zaada.
Vous utilisez souvent le mot « solidaire » pour définir votre entreprise, comment cela se traduit-il dans les faits ?
Solidaire signifie : responsable envers le tout. Ainsi travaille Prêt à Partir : nous respectons nos collaborateurs, nos clients, nos fournisseurs. Nous leur faisons confiance et nous attendons d’eux qu’ils fassent de même. Au sein de l’entreprise, nous favorisons l’entraide entre les équipes, par exemple par l’échange d’informations (forum interne lancé en mars 2014).
Prêt à partir est une société qui investit beaucoup, dans le e-commerce, avec le rachat récent des autocars Langrois… n’avez-vous pas peur, à terme, de trop vous disperser et de perdre la proximité avec vos équipes ?
Prêt à Partir n’est pas seulement une entreprise avec des collaborateurs, des clients, des fournisseurs : c’est aussi une (seconde) famille. Notre entreprise s’est fortement développée dans les 10 dernières années : c’est grâce à la diffusion de ce management de proximité, basé sur la confiance et la responsabilisation, que nous pouvons accompagner nos collaborateurs, même à distance, plutôt que de dépenser de l’argent à les contrôler. Nous donnons à nos collaborateurs le droit de se tromper : c’est la contrepartie nécessaire de leur devoir d’innovation. Nous passons du temps à expliquer notre stratégie d’entreprise à nos collaborateurs ; nous donnons du sens à nos projets, c’est ce qui explique la motivation et la fierté de nos collaborateurs.
Un projet solidaire à nous citer ?
Nous allons prochainement proposer à nos conseillers-vendeurs de passer quelques jours dans une autre agence de notre réseau. L’idée est que cet observateur « extérieur », puisse échanger librement avec ses collègues sur la façon d’améliorer l’accueil de nos clients, l’entretien de vente, les opérations marketing, la gestion des vitrines etc., sans avoir une quelconque pression hiérarchique ou des objectifs chiffrés à atteindre. Tout en favorisant des contacts internes à l’entreprise, entre des équipes de sites différents, nous incitons nos collaborateurs à s’informer mutuellement, à s’entraider, et finalement à grandir ensemble, de façon durable et ludique. Ces améliorations continues seront communiquées à l’ensemble de nos équipes par l’intermédiaire de notre forum et d’un « tuteur extérieur », dont le rôle sera de synthétiser et de diffuser ces expériences.
———————————- Aller plus loin———————-
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- Prêt à Partir
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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merci la recontre est magnifique