Remise en cause du système d’évaluation actuel
Tous ces systèmes d’évaluation à l’attention du public ne sont-ils pas construits collectivement par les acteurs impliqués pour se construire de l’activité ? Bien qu’élaborés à l’attention des consommateurs, on peut constater que, dans leurs critères de choix, les clients ne s’intéressent pas en détail au mode de certification, ni aux critères du référentiel, et encore moins au mode de contrôle.
Le contrôle, par le biais de la certification, base sa justification sur un ensemble d’hypothèses non vérifiées. Harold Goodwin, spécialiste du tourisme responsable, a notamment mis en lumière l’absence de preuve attestant du fait que la certification « tourisme durable » augmente la part de marché des entreprises certifiées. De plus, aucun élément ne prouve qu’il existe une demande des consommateurs pour la certification et que le tourisme soit rendu plus durable grâce à celle-ci, qui serait la garantie suprême, dans la mesure où elle est réalisée par un organisme indépendant, impartial et compétent. Ce système est problématique à bien des égards, notamment car la relation contrôleur/contrôlé est unilatérale, donc déséquilibrée.
Dans la relation Nord/Sud, la certification est envisagée comme une garantie à destination du consommateur, mais pas pour les parties prenantes. Les référentiels sont conçus au Nord, alors qu’ils sont censés s’appliquer dans les pays du Sud. On peut s’interroger sur la signification et la légitimité d’une grille de critères conçue en dehors de la culture de ceux auxquels elle est censée s’appliquer. Ce décalage entraîne de l’incompréhension, car les préoccupations de certaines populations du Sud sont souvent très éloignées de celles des pays du Nord.
Un autre risque réside dans le fait que le système d’évaluation exclut les pays les moins armés pour répondre aux exigences du référentiel : les acteurs incapables, par manque d’opportunisme ou pour des raisons financières ou techniques, de se mettre en conformité avec les critères du référentiel sont écartés du système. Mais que deviennent ces acteurs exclus ? Doivent-ils disparaître de la scène touristique ? Quelle est la légitimité du système qui les écarte ainsi ? Lors du Forum international tourisme solidaire et développement durable de 2006 au Mexique, ces questions ont été soulevées par les représentants des communautés, qui se sont opposés au système de certification, argumentant à juste titre qu’il exclurait certaines régions du monde.
S’agissant de la scientificité de la certification, celle-ci est également remise en cause, notamment par Jacques-Alain Miller, pour qui ce contrôle n’est pas scientifique, mais « proprement mystique ». Il ne servirait qu’à affirmer le pouvoir de l’administration accréditante. Michael Power, spécialiste anglais de l’audit financier, rejoint cette critique : selon lui, le contrôle correspond à un transfert de savoir et de pouvoir de l’acteur vers le contrôleur. En effet, le contrôleur transforme, par le biais d’une méthode prédéfinie, le savoir de l’acteur évalué en savoir organisé, chiffré, comparable. Le système de contrôle n’a pour objectif, selon lui, que de « faire de vous un parmi les autres évalués, loin de la masse crasseuses des non-accrédités, des discrédités ».
Une autre hypothèse relève du mythe : l’indépendance des contrôleurs. Dans les faits, ils sont rarement neutres. Des études, notamment dans le domaine du commerce équitable, ont montré la variabilité du contrôle selon les coopératives contrôlées et selon les contrôleurs. De plus, l’organisme certificateur dépend économiquement des professionnels évalués. Le contrôleur va toujours devoir trouver un équilibre entre le marché dont il a besoin et sa conscience professionnelle.
Par ailleurs, le système de certification, par le bais du passage obligé par une grille de critères, entraîne l’appauvrissement de la diversité des démarches existantes du fait de l’harmonisation des labels. Selon Harold Goodwin, pour défendre la diversité culturelle et écologique du monde, les systèmes d’évaluation doivent être variés et basés sur des préoccupations locales. Comment envisager une même grille de critères pour toutes les destinations ?
La certification telle que conçue actuellement est inapte à saisir l’éthique. L’évaluation porte sur un enchevêtrement complexe d’intentions, de décisions et d’actions. Cette totalité, complexe et vivante, n’est pas mesurable. Or la certification repose sur la mesure, ce qui oblige à décomposer cet ensemble en petites cases qui composeront la grille d’évaluation. L’initiative contrôlée devient alors une succession de cases isolées, ce qui lui fait perdre son sens. Idéalement, un nouvel outil, aux critères évolutifs, devrait être créé à chaque évaluation. Or, ce sont des grilles moyennes inadaptées aux cas uniques qui sont utilisées. Le projet contrôlé perd alors son état d’être unique et incommensurable pour devenir un parmi les autres. Pour Michael Miller, « c’est ce que le sujet perd dans l’opération : s’il accepte d’être comparé, il devient comparable, il accède alors à l’état statistique. »
La certification, basée sur des processus de contrôle standardisés, s’avère être un système adapté à la consommation de masse en visant un grand nombre d’opérateurs pour en rentabiliser le coût. La contrepartie en est l’exclusion des moins opportunistes et un appauvrissement de la richesse et de la diversité des démarches. Est-ce réellement souhaitable pour le tourisme durable ?
La déresponsabilisation du consommateur peut également constituer un travers de la certification en poussant celui-ci, enclin à la paresse d’esprit, à se fier uniquement au label, et à ne plus se poser de questions.
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