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Emilie Bourgouin, rencontre avec la main verte de Village Jourdain

| Publié le 9 mars 2020
             
Emilie Bourgouin dans son Village@Célia Bonnin

Village Jourdain, Village Jardin, la rue du Jardin, Liane de rue, autant de petites graines plantées par Emilie Bourgouin dans son quartier de cœur, sur les hauteurs de Belleville. Et c’est ainsi qu’à force de plonger les mains dans la terre, Emilie Jourdain a transformé une expérience de végétalisation en une véritable aventure humaine, puis en un projet professionnel qu’elle porte aujourd’hui avec humanisme et passion.

VA/Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Suite à une école de communication, j’ai fait un master en économie & digital, et suis ensuite partie vivre quatre ans en Australie (grâce à un working holiday visa) pour découvrir une nouvelle culture. A mon retour, j’ai travaillé trois ans en entreprise, travail que j’ai arrêté à la naissance de mes enfants pour me consacrer à leur éducation… et à mon quartier. Les choses se sont faites peu à peu, dans un 1er temps en créant avec une maman du quartier une page facebook « Village Jourdain » pour favoriser le lien social et valoriser les talents de notre « Village ». Mais très vite, j’ai eu envie d’aller plus loin et j’ai fondé l’association Village Jourdain, qui m’a permis de donner un cadre à de nombreuses actions de quartier que j’ai alors entreprises et fédérées : l’organisation de Jour’Dingues autour de jeux, d’ateliers, la création d’une fête de quartier…

Pied d’arbre végétalisé@DR

VA/ Une sacrée fête, près de 250 artistes pour la 1er édition !

Oui, 250 artistes, des musiciens, comédiens, danseurs, street-artistes, clowns, et j’en passe, et près de 5 000 personne lors de la première édition, 10 000 lors de la seconde. C’est d’ailleurs pour pouvoir organiser cette fête comme il se doit que j’ai créé l’association Village Jourdain dès la fin de l’année 2016. Et c’est aussi grâce au succès de cette fête que j’ai pu catalyser d’autres animations et obtenir le soutien de la mairie pour d’autres évènements comme par exemple,  la fermeture de quelques rues de notre quartier les dimanche en lien avec l’opération Paris Respir’.

VA/ Et dans le même tempo la mise en place d’action de végétalisation et l’envie d’améliorer votre cadre de vie !

Tout à fait, j’avais envie de revaloriser le quartier où je vis et circule tous les jours, l’envie de créer un cadre de vie harmonieux favorisant le voisinage et la convivialité. Je me suis donc tournée vers la végétalisation en proposant à la Mairie du XXe, dès 2016, un projet de revitalisation de quartier. J’ai eu un accueil très positif au pôle démocratie locale et un accord de principe avec la possibilité de faire de l’animation de quartier, sans toutefois pouvoir toucher aux infrastructures en dur alors qu’à l’origine, mon projet intégrait un kiosque de jeu, un mini-parc, etc. Cela m’a permis d’obtenir mon 1er permis de végétalisation et d’entreprendre des actions vertes dans le quartier, relayées par la page facebook la rue du Jardin, sœur de Village Jourdain.

Pied d’arbre végétalisé@DR

VA/ La végétalisation, c’est important dans un quartier parisien ?

Complètement, d’ailleurs pour moi, le permis de végétaliser est un permis de cultiver le talent de chacun. En tout, sur une année, nous sommes une cinquantaine de personnes différentes à nous impliquer dans la végétalisation du quartier. Cela se traduit par des animations de jardinage qui réunissent à chaque fois 10 à 20 personnes. Ainsi, en trois ans, nous avons végétalisé 20 pieds d’arbres, et encouragé les commerçants à les parrainer par l’opération « Adopte ton pied d’arbre ». Cela a permis de les intégrer au projet afin qu’ils s’occupent de l’arbre qui jouxte leur commerce, avec même des « matchs-arbres » entre eux pour qu’ils fassent connaissance de façon ludique. Aujourd’hui, Patou, qui tient le salon de coiffure « Ca décoiffe » chouchoute jalousement son pied d’arbre et son banc fleuri. Quant à Frédérique, la gardienne de l’école, elle s’occupe de quatre pieds d’arbre et plus question que personne n’y touche.

VA/ Et vous avez également réalisé nombre d’animations annexes autour de cette végétalisation.

Tout à fait, comme notre stand de « Troc graines » pendant la fête du Village, mais surtout, nous avons associé les écoles du quartier en proposant des opérations de semis. Je me suis ainsi rendue dans quatre classes de maternelle et primaire où les enfants ont pu chacun planter leur graine. Un mois après, les enseignants sont venus avec les élèves les replanter sur l’espace public. Et au-delà de la graine plantée, ils ont ainsi planté une petite graine de citoyenneté en investissant l’espace public. D’autant qu’ensuite, les enfants reviennent avec leurs parents, qui sont fiers de voir les réalisations de leur progéniture, et respecteront d’autant plus ces nouveaux pieds végétalisés. C’est une forme de prise de conscience, là où on jetait son mégot sans prendre garde, on réalise qu’il y a un lieu que les écoles ont investi. En ce sens, on a même intégré certains sans-abris du quartier, comme Chico, qui se sont mis à leur tour à s’approprier ces plantations et à les faire respecter, un véritable cercle vertueux.

Le mur végétalisé@DR

VA/Et puis il y a eu l’opération du mur végétalisé…

Tout a commencé un jour où je participais au jury Décoflo et où j’ai pu prendre la parole pour raconter comme se passait la végétalisation dans notre quartier. J’ai été repérée et là-dessus, s’est greffée une commande de TF1 qui m’a suivi pendant une année sur le projet d’un mur végétalisé que j’ai entrepris de réaliser sur la place des Rigoles, au cœur du quartier. Il existe à présent un documentaire qui raconte toutes les étapes de ce projet. Comment on a réussi à installer des jardinières, des bancs, une boite à livre, mais aussi une grande fresque végétale réalisée par un artiste respecté du quartier, Seaz, que j’ai peu à peu identifié grâce à tout un travail de terrain et d’approche. A l’origine, j’aurais souhaité que la fresque et la végétalisation se mêlent et j’avais même appelé ce projet « l’Art-Mur végétal », forme d’armure contre la pollution, un objet à la fois végétal et artistique. Cela ne s’est pas tout à fait réalisé comme cela mais Seaz est si respecté que depuis 2 ans que la fresque existe, elle n’a pas été recouverte par les graffeurs.

VA/ Et ce qui était alors un hobby vert est devenu peu à peu une véritable petite entreprise.

Complètement, d’autant que j’ai vécu la végétalisation de mon quartier comme un véritable laboratoire, un terrain d’ expérimentation de tout ce que l’on peut imaginer. On a par exemple testé les wicking bed, un système de bâche, de billes d’argile et de géo-textile que l’on met au fond des bacs avec de l’eau, pour éviter d’arroser les plantes. C’est utilisé en permaculture et complètement autosuffisant en eau, d’autant qu’en irriguant par la racine, on renforce la plante en développant son système racinaire. On a même fait des tests dans des bacs avec une moitié de bac en wicking bed, l’autre sans, et on a vu que cela marchait. On a aussi testé les bacs en palette, le treillage en plessis avec de l’osier vif pour faire des haies et encadrer l’arbre, le paillage en faisant pousser du foin dans un pied d’arbre. On a réalisé du compost avec de la drèche (résidu de bière récupéré chez le brasseur du coin), du café, du lombri compost, etc. Enfin, on s’est essayé à tout type de plantations, par thème, que ce soit des plantes médicinales, aromatiques, comestibles, etc.

Des plantes en veux-tu en voilà @DR

VA/ Et comment a été reçu tout ce travail fait dans un quartier populaire du XXe arrondissement ?

En fait, il faut vraiment réaliser que la végétalisation dans la rue, l’espace public, n’a rien à voir avec le jardinage en milieu fermé dans un espace privé. On est aussi là pour cultiver les mauvaises herbes, les herbes folles, et on est aux prises avec tout type d’incivilités, les vols, la pollution, les critiques, etc. Cela joue dans le choix des plantes, dans la façon de végétaliser. Si on travaille à ras du sol on se prend les pipis de chien. Si on choisit des plantes trop précieuses on s’expose à des vols, alors que les fougères par exemple, n’attirent pas trop les convoitises. Il faut aussi éviter les arbustes qui agresseraient l’arbre, et privilégier les plantes qui recouvrent le sol ce qui permet de masquer les nombreux mégots, déchets…. car le déchet appelle le déchet. Mais on reçoit aussi de nombreuses marques de soutien, des coups de pouce, de jolis cadeaux végétaux, et dans l’ensemble, le travail accompli est bien reçu.

VA/ Et c’est ainsi qu’après toutes ces années d’expérimentation et de bénévolat, tu as conçu un véritable projet professionnel.

Effectivement, d’un hobby passion j’ai eu envie de faire un projet professionnel plus construit, et c’est ainsi qu’en janvier 2019, j’ai créé Liane de rue, avec pour idée de proposer la végétalisation de rue comme outil de lien social. A la base, je pensais m’adresser à tous les acteurs d’un quartier, que ce soit la collectivité, les associations, les écoles, les commerçants, mais très vite, j’ai compris que pour créer de l’économie dans ce secteur, il faudrait me tourner vers les entreprises. J’ai donc eu l’idée d’une pause verte, une proposition dédiée aux entreprises sous forme de team building avec la végétalisation comme lien social. Pour les salariés, c’est une façon de collaborer en sortant de l’entreprise ; en lien avec la politique RSE. Avec Liane de rue, nous suivons une équipe ressource de l’entreprise en lui fournissant un pied d’arbre en bois de robinier produit en France, conçu et fabriqué en banlieue. On accompagne ensuite les volontaires dans la construction du pied d’arbre, la mise en terre avec du compost, et on propose des visites mensuelles pour les épauler afin de péréniser le projet. L’idée était aussi de propose une alternative à la pause clopes qui exclut les non fumeurs. Là, tout le monde est bienvenu et, en sus, on met en relation l’entreprise avec une association de quartier qui va aussi prendre le relais sur l’entretien de l’arbre, créant à nouveau du lien social et des interactions entre acteurs du quartier.

VA/La végétalisation comme lien social ?

Tout à fait, pour moi, la végétalisation de rue répond à trois enjeux fondamentaux. L’enjeu écologique, avec le besoin de préserver la planète, de faire sa part et de respecter notre biodiversité. L’enjeux du vivre-ensemble, en créant de la convivialité dans le voisinage, le quartier, en favorisant la mixité et l’échange car la végétalisation est un acte inclusif, à la portée de tous, au-delà des codes et des hiérarchisation. Enfin, il y a l’enjeu du cadre de vie, la propreté, l’esthétisme d’un quartier, le fait d’être citoyen de sa ville, de participer à sa beauté. En ce qui me concerne, c’est ça qui m’a fait décoller.

Emilie et Hélène Pennaneac’h de Liane de rue@DR

VA/ Et quels sont les prochaines étapes pour Liane de rue et sa pérennité ?

Déjà, depuis septembre dernier, nous sommes deux. Hélène Pennaneac’h m’a rejointe dans cette aventure. Pour l’heure, nous essayons de nous faire connaître auprès des entreprises. Nous avons par exemple monté des partenariats en MVP (minimum viable product) pour nous tester. En février dernier, nous avons également intégré une couveuse, BGE Paris, et gagné un appel à projet organisé par la Cité Fertile de Pantin autour des 12 ODD (Objectifs du Développement Durable). Le challenge : organiser sur le temps d’un week-end, entre le 26 et le 28 juin, « Les rencontres de Lianes de rue : végétalisation urbaine pour communauté durable ». Concrètement, il s’agira du 1er salon de la végétalisation urbaine avec de nombreux invités, stands, exposants mais aussi tout un cycle de conférences, de débats, tables ronde. Pour cela, nous bénéficions de la mise à disposition de la Cité Fertile. Nous sommes donc en train d’imaginer tous types d’animations : concours de végétalisation les mains dans la terre, marché aux plantes, aux producteurs, kokédamas. On pense aussi à une rue verte scandée d’experts qui pourront donner des conseils de végétalisation avec des organismes comme la Main Verte (sur les permis de végétaliser), l’association des jardins partagés, etc. Bref ; c’est un véritable challenge qui nous attend et nous ne sommes que deux pour organiser tout cela….

A suivre, forcément !!!!!!!!!!!!!


Emilie Bourgouin, rencontre avec la main verte de Village Jourdain | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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