Les Chalets de Philippe : bientôt un site classé pour un homme inclassable ?
Thèmatique : Acteur privé Bons plans Conseils Ingénierie Initiative privée
Au pied du Mont Blanc, sur les contreforts de Chamonix, Philippe Courtines a bâti un hôtel-musée étonnant, un hameau de chalets qu’il a démonté puis remonté avec son équipe planche après planche pour abriter une collection exceptionnelle de meubles et d’objets savoyards chinés pendant quarante ans. Cet homme du monde, auteur, réalisateur, producteur, qui a travaillé avec les plus grands noms du cinéma, du théâtre, de la musique (…) s’est établi ici il y a près de vingt ans, décidé à faire de ce lieu son dernier refuge, un site inclassable à la fois hôtel, table d’hôtes, musée, spas, cinéma, un village féérique aussi lieu de mémoire, une ultime création !
La vie rêvée de l’ange Philippe
Table de bergers, lit clos (cabuche), buffet en arolle, barattes, rouets, tarare à riz, double arche à grains, coffre de mariage, poêle de bagne, moule à gâteau, vierges de bois, tableaux de montagne, les chalets de Philippe exaltent la mémoire savoyarde, un monde rustique aux objets finement choisis, une allégorie d’un monde paysan revisité par les anges, des anges omniprésents comme autant de clin d’œil taquin à cet autre monde qui a éprouvé la montagne et les hommes, des anges qui s’immiscent dans chaque espace pour nous faire partager le temps d’un séjour fugace la vie rêvée de l’ange Philippe. « Quand je suis arrivé dans la région en 1983, j’ai découvert ces meubles émouvants de simplicité. Je suis tombé amoureux de ce mobilier alpin et j’ai commencé à fréquenter la plupart des antiquaires et des brocanteurs. J’ai rempli un garage, puis deux, puis trois. Et ne sachant plus où les mettre, je me suis mis à chiner les chalets. De vieux chalets de montagne démontés puis remontés et restaurés ici sur place, au Lavancher. Je n’ai donc pas meublé les chalets, j’ai construit les chalets autour des meubles que j’avais déjà… »
Pour l’heure, il y a neuf chalets, des mazots (nom vernaculaire) issus de Haute Savoie bâtis pour la plupart sur trois niveaux, chacun avec une architecture différente. Les Clarines et les Barattes viennent de la vallée de Morzine et du lac Léman, d’autres du massif des Aravis, de Viuz-en-Sallaz, etc. Chacun est nommé en clin d’œil à une singularité savoyarde. Le Clopet (chalet deux places) évoque le petit vieux qui a bu un petit coup de trop, les Clarines ces petites cloches en bronze que l’on suspend au cou des vaches, le Lavaret un poisson des lacs de Savoie, le Fenil la grange aux foins, etc. « Je tapais aux portes des paysans, on buvait un coup de génépi mais j’ai aussi dû faire tous les antiquaires de la région. Je chine au coup de cœur, il faut que cela me touche. » Philippe a encore trois chalets à plat (prêts à être monté) qu’il a récupérés dans la montagne, des chalets du 18e et 19e siècle démontés par son équipe en commençant par le toit. « Le toit est protégé par une coquille en bois. On la récupère puis on démonte planche par planche. Tout est numéroté. Les planches s’emboitent en queue d’aronde. Le remontage se fait en colonne, les planches coulissées. »
Un balcon sur le Mont Blanc
Lors de notre venue, les Dieux de la montagne se sont montrés taquins. La veille, déjà, un tremblement de terre (coup de tambour pour convoquer les anges ?) avait secoué la vallée et fait frissonner les chalets heureusement prévus pour ces secousses décennales. Le lendemain, un mélange de brume et de pluie masquait le Mont Blanc, les Aiguilles Rouges, le pic du Midi et ces nombreux pics déchiquetés qui créent un véritable cirque de montagne autour du Lavancher. Alors, en attendant que les nuages se dispersent, nous nous sommes plongés dans les jacuzzis, saunas, hammam…, éprouvant combien ce lieu peut aussi se savourer tel un cocon, quand les bains chauds pris sur le balcon se transforment en contemplation des filets de pluie qui jouent avec les sapins et la brume. La soirée s’est ensuite poursuivie au restaurant, où le chef bulgare, Teodor, avait préparé un véritable banquet en dix plats d’une créativité digne des plus grands étoilés (ci-dessous). Puis, une bonne fée, Sophie, conteuse savoyarde, nous a confié combien ici, en Haute Savoie, dans cette vallée de Chamonix et du Mont Blanc, les fées et sirvens ont encore le pouvoir de transcender la réalité quand l’âme humaine est bonne et pure.
Était-ce le cas ? Quoi qu’il en soit, au petit matin, sous les coups de 10h, la brume s’est écartée et le Mont Blanc et ses sbires, majestueux sont apparus dans un rayon de soleil fugace. Il y aurait encore beaucoup à dire, à conter, à faire, au cœur de ce havre montagnard perché à 1300 m et qui contemple les sommets quand demain tant d’interrogations se bousculent. A 1h30 de marche du chalet, la Mer de glace n’en finit pas de reculer, à l’image de ces glaciers qui s’effritent, de ces stations de montagne qui s’interrogent, d’une vallée qui résonne des échos d’un réchauffement climatique de plus en plus prégnant. « Les guides ne veulent plus faire le Mont Blanc en juillet-août. Dans la vallée de Chamonix, il y a plus de cent couloirs d’avalanche, de plus en plus de terrains inconstructibles (…). » Gardien de la mémoire et de ces traditions populaires qui le touchent tant, Philippe Courtines est aussi un amoureux des montagnes. Ce lieu, il l’a aussi choisi pour ses immenses pistes de ski, les Grands Montets à Argentière où l’on passe de 3000 à 1000 m en quelques coups de spatules, les Houches et son panorama exceptionnel sur les Aiguilles de Chamonix mais aussi Le Brévent, la Flégère, la Vallée Blanche, etc.
Neuf chalets et bientôt un hameau… classé ?
Philippe Courtine n’a jamais aimé les classements. Enfant, il n’aimait pas l’école, il détestait les notes. Hôtelier, il refuse les étoiles, les panneaux de signalisation, les plateformes de réservation, etc. « J’ai tout misé sur l’accueil, les habitués qui reviennent. Je suis resté sur le bouche à oreille. Je crois que je suis le seul de la vallée à ne pas être sur Booking.com ». De fait, l’homme est un hôte adorable, généreux, un conteur passionné qui anime de ses mille vies les grandes tablées qu’il aime à voir se former et se déformer au fil des jours qui passent. Et s’il refuse tout classement, il est cependant un lieu qu’il souhaite vivement réussir à « classer », ce hameau de chalets qu’il espère achever en remontant ses trois chalets à plat, mais aussi une chapelle baroque du 18e, un four à pain, un lac naturel. Le dessin du projet, réalisé par un aquarelliste belge, est visible sur un tableau reproduit sur son site. « Je songe à passer la main. Je ne veux pas la passer à quelqu’un qui pourrait détruire 40 ans de travail. C’est une mémoire universelle. On a des clients qui viennent du Japon, d’Afrique du sud, du monde entier. Ils sont extrêmement sensibles à plonger dans la culture et le patrimoine savoyard. Je souhaite donc protéger ce hameau. »
Consciente de ce patrimoine exceptionnel et de la valorisation que ce hameau pourrait apporter à toute la vallée, la mairie de Chamonix soutient le projet. Jean-Michel Couvert, adjoint à l’urbanisme et au patrimoine : « Nous avons une excellente relation avec Philippe et cherchons une solution pour accompagner sa demande. Nous avons fait un inventaire du patrimoine extérieur et intérieur du site, et nous pensons à le faire classer comme Site patrimonial remarquable. Pour cela, nous avons besoin de l’accord des services de l’état, de l’architecte des Bâtiments de France, du préfet de région. » De nombreuses démarches sont donc en cours. La fondation du Patrimoine a également été contactée. Le chantier est vaste et les derniers orages de grêle doublés de l’augmentation des coûts de l’énergie ne facilitent pas la tâche au maître des lieux. Philippe Courtine : « Je dois trouver La bonne personne. Et pour cela, je vais protéger ce hameau, me protéger, pour que ne soit pas détruit ce qui a mis 40 ans à être construit. Et donc, avec le soutien de la mairie de Chamonix, j’ai vraiment envie d’obtenir le classement « Bâtiment de France » de la Fondation du Patrimoine afin que personne ne puisse casser ce qui est notre mémoire à tous ».
—————– Aller plus loin —————————–
A noter : Le restaurant compte aussi un jardin alpin, un potager, des ruches, et une bonne fée Judith un peu chamane quand même ;-) Hotel Les Chalets de Philippe Chamonix – Restaurant, Jacuzzis (chaletsphilippe.com)
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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