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Visionnaire, la littérature chinoise avait-elle anticipé le coronavirus ?

| Publié le 11 mars 2020
             

Est-ce un hasard, un coup du destin, ou la preuve que les grands auteurs savent lire la marche du temps voire prédire les évènements à venir…. Une chose est sûre, deux ouvrages magnifiques viennent coup sur coup de sortir chez Picquier, deux ouvrages et deux récits haletants qui content chacun à leur manière le développement puis la propagation d’un « virus »… sans lien aucun avec le covid-19 si ce n’est cette troublante synchronicité. L’un puise dans le passé, « Neige et Corbeau », et raconte sous l’éblouissante plume de Chi Zijian l’épidémie de peste qui se répandit comme la foudre à Harbin en 1910. L’autre regarde vers l’avenir et sonne plutôt comme un conte apocalyptique quand…. dans « La mort du soleil », Yan Lianke nous livre le récit d’une nuit cauchemardesque où se développe peu à peu une effrayante épidémie de somnambulisme….

Neige et Corbeaux

Dans cet ouvrage extraordinairement documenté, Chi Zijian réussit à faire revivre Harbin telle qu’elle était au début du siècle dernier, avec ses 100 000 habitants, ses rues, ses odeurs, son auberge, ses tavernes, ses maisons closes, son entrepôt à grain, sa pâtisserie, son magasin de bonbons, de chaussures, la pharmacie, la distillerie, autant de lieux habités et incarnés par des personnages hauts en couleur, l’ensemble situé dans l’insalubre quartier de Fujiadian, fidèle à la cartographie de l’époque, où la ville comprenait trois grandes zones :  le quartier des Quais, la Nouvelle ville et Fujiadian donc ; une cité effervescente peuplée principalement de russes mais aussi de japonais, de chinois, ville frontière où le chemin de fer arrivé sept ans plus tôt avait adoubé du nom d’Harbin ce qui était alors le vaste bourg de la rivière Songhua. Et dans ce lieu bruissant de mille histoires, Chi Zijian nous raconte l’histoire de la grande peste du Nord-est qui sévit de l’automne 1910 à l’hiver 1911. Sous sa plume vive de conteuse, on suit la propagation du virus avec la même acuité que la population dont les vies déjà difficiles viennent peu à peu se heurter au mal. Plus de 5 000 personnes moururent de la peste alors, soit trois personnes sur dix, et telle l’histoire, implacable, le récit haletant de l’auteur nous amène à découvrir peu à peu les personnages clés d’un ballet funeste. Parmi eux, anges, démons ou simples mortels, la pâtissière Yu Xingxiu et son incroyable énergie positive, l’eunuque Zhai Yisheng, Wang Chunshen le cocher de l’auberge des Trois Kangs, Xisui le jeune garçon innocent qui distribue les journaux ; et tant d’autres. Enfin, héros de cette histoire, le docteur Wu liande, qui réussira à identifier le mal, une nouvelle forme de peste, pulmonaire, se propageant d’homme à homme. Ce médecin chinois formé à Cambridge, soutenu par Pékin, prendra les mesures nécessaires (masques respiratoires, mises en quarantaine, confinement de la ville….)  pour vaincre, non sans difficultés, une épidémie dévastatrice.  Un ouvrage prémonitoire qui, à l’heure du coronavirus, résonne avec une contemporanéité troublante.

La mort du Soleil

Contrairement à « Neige et corbeau », la mort du Soleil ne doit rien à l’histoire mais tout à l’imagination de son auteur, Yan Lianke, qui nous conte via Li Niannian, jeune garçon mi-idiot mi-prophète, la propagation progressive d’une épidémie de somnambulisme au cœur du village de l’auteur. Témoin privilégié de cette nuit de folie, Niannian aime à lire les ouvrages de son maitre, Yan Lianke, quand il n’aide pas ses parents qui tiennent la boutique de papiers funéraires pour les morts. Or en cette nuit torride, tout s’accélère. Les morts, les somnambules, les exactions, la folie des hommes, leur envie d’assouvir, sous l’emprise du sommeil, leurs frustrations les plus morbides. D’heures en heures, engrainées comme un chapelet diabolique, le récit se meut en cauchemar, une véritable histoire glaçante où au-delà du destin d’un village, c’est véritablement le destin d’une certaine Chine que Yan Lianke interroge. Avec à nouveau, une étonnante résonnance avec l’actualité présente…

Et c’est ainsi qu’en ces temps troublés où le covid-19 continue à sévir, deux des plus grands auteurs (autrices) chinois contemporains, Yan Lianke et Chi Zitian, pointent du doigt combien l’histoire se répète, combien l’homme est vulnérable, non sans donner une porte de salut, porté par l’humain, au-delà du soleil et des dieux.

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Neige et corbeaux – Chi Zijian – Editions Picquier, Mars 2020, 21,50 €.

La mort du soleil – Yan Lianke – Editions Picquier, Février 2020, 22,50 €.


Visionnaire, la littérature chinoise avait-elle anticipé le coronavirus ? | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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