#TourismeDurable
Slow Tourisme Catalogne

Faudra-il se montrer plus radical pour un tourisme plus responsable ?

| Publié le 13 octobre 2021
Thèmatique :  Innovation   Tourisme de masse 
             

S’il est un débat qui sourd depuis quelques années dans le petit monde du tourisme durable, c’est bien celui de la radicalité. Vitrines vertes, discours en boucle, colloques à répétition, impression de déjà vu, réinvention de l’eau chaude (…) ; pour une frange des acteurs engagés, il est temps de franchir un cap et d’accélérer plus avant les prises de décisions et surtout les actes face à l’urgence climatique. Les Universités du Tourisme Durable tenues au Havre cette année ont montré une fois de plus cette volonté de rompre avec certains modèles, entamées par un discours coup de poing de Lamya Essemlali, Présidente de Sea Shepherd France, visant à alerter sur l’urgence d’agir voire de « dés-agir ». L’intervention de Benoit Laignel du GIEC normand a également attesté que le monde change et qu’il va falloir bousculer nos modes de vie jusqu’à l’aménagement de nos territoires. Des prises de parole de plus en plus musclées qui font débat auprès des territoires et d’une partie des professionnels du tourisme mais qui n’ont pas manqué d’ébranler l’auditoire. Alors que le monde du tourisme sort à peine la tête de l’eau après deux années difficiles de Covid, la question de la radicalité semble faire écho à cette volonté de se réinventer que l’on a beaucoup entendu, mais était-ce juste un refrain pour se redonner de l’élan ou un mantra à intérioriser dans l’ensemble des pratiques. Dilemme….

Intervention de Sea Shepherd – Universités du tourisme durable 2021

Un constat implacable

Il a lancé la journée avec sa gouaille militante et sa volonté de secouer le cocotier du tourisme, Guillaume Cromer, après sept ans à la tête du réseau ATD (Acteur du Tourisme Durable), a quitté la présidence (repris par Caroline Mignon) sur un discours percutant, rappelant que le dernier rapport du GIEC nous prévoit une planète à +2,7°, et qu’à cette température, le tourisme deviendra le cadet de nos soucis. « Chaque dixième de degré va compter. Le tourisme a un sacré rôle à jouer. Je vais être binaire, soit on lâche, on fuit, on suit le mouvement général, soit on se bat, on agit, on assume notre responsabilité en tant que professionnel du tourisme. Cette transformation, que l’on appelle de nos vœux, elle nécessitera de la radicalité. On va devoir explorer de nouvelles pistes, continuer à ouvrir des brèches, intégrer une vision transversale avec de nouveaux indicateurs, de nouveaux outils. » La radicalité, c’est aussi l’un des modes de fonctionnement de Sea Shepherd, fondé par Paul Watson (ancien de Greenpeace) qui mit en pratique son Manuel de l’éco-guerrier, avec en fer de lance ces fameux navires pirates battant pavillon sur toutes les mers ; connus pour avoir coulé des baleiniers qu’aucun recours n’avaient réussi à stopper. Lors d’une conférence visant à réfléchir au « tourisme comme un outil de conservation et non de destruction », Lamya Essemlali (Sea Shepherd France) a rappelé que la radicalité n’est pas forcément un gros mot et qu’en ce qui concerne l’extrême, il faut plutôt regarder du côté de la destruction d’une planète exsangue. « Nous sommes arrivés il y a une fraction de seconde et nous avons déjà détruit la majorité de la vie. » Pour Lamya Essemlali, le tourisme doit être plus ambitieux qu’un simple label tourisme durable : « Nous n’avons plus le droit de perdre du temps. Il faut identifier les impacts, qu’est ce qui fait mal, les facteurs premiers. Nous, en tant qu’ONG, on tient un discours sur ce qui est dans l’assiette, sur la surpêche, (…) nos bateaux sont végans. » Elle concède toutefois un rôle positif au tourisme, citant Mayotte où les visiteurs ont un rôle à jouer pour faire fuir le braconnage qui décime les tortues. « Sans le tourisme, il est plus difficile de préserver les réserves. », ou cette dimension de sensibilisation à la biodiversité qu’apportent aussi certains voyages. « Tout est question de dosage. Il est important de faire connaitre ces trésors de biodiversité sans les détruire. La ligne est très fine. » Quand la radicalité se heurte à l’ambivalence du tourisme, éternel débat de la limite et du dernier pas à ne pas franchir, quand l’activité touristique peut se révéler à la fois prédatrice d’un environnement fragile mais aussi formidable ambassadrice de la cause du vivant.

Guillaume Cromer dans son ultime intervention en tant que
président des Acteurs du Tourisme durable – #UTD2021 au Havre

Des territoires en question

Ce débat ou cette réflexion sur un impératif de radicalité (ou pas), est d’autant plus tangible qu’il se heurte parfois à un principe de réalité indéniable. Lors de la table ronde qui a suivi – « S’adapter pour préparer le tourisme de demain » -, Benoit Laignel (Université de Rouen Normandie) a présenté l’initiative du GIEC normand mis en place par la région. Son analyse a mis en lumière un constat « glaçant », confirmant l’augmentation des jours de forte chaleur mais aussi des précipitations, des tempêtes, etc. « Notre dernier rapport tend à montrer toujours plus d’élévation des eaux, avec un impact sur le tourisme, sur le littoral, plus d’inondations dans les zones basses et des tempêtes plus régulières ». Pour s’adapter à ces phénomènes, il est question de sacrifier certains espaces du territoire normand qui serviront de zone tampon pour absorber le trop plein. « Relocaliser les populations est une question qui va se poser. En France, nous sommes déjà très en retard sur l’adaptation or nous avons dix ans pour agir. Dix ans, c’est court, il faut que ce soit tout de suite !» Un discours alarmiste et engageant qui a également trouvé écho chez Aude Andrup, Coordinatrice nationale Tourisme à l’ADEME, dont la dernière étude publiée l’été dernier vise à mieux identifier les facteurs d’émission des GES dans le tourisme (11%) pour servir à des plans d’actions pertinents sur le territoire français : « Le tourisme n’est pas compatible avec les engagements des Accords de Paris, il va falloir être assez radicaux sur nos modèles. » Sans surprise, la part du transport reste le point noir, avec 64% des GES liés au tourisme réceptif, les touristes étrangers venant de plus loin, et surtout de plus haut… « L’avion représente 40% des 60% des GES liés aux trajets pour venir sur le lieu de vacances. » Alors, pour aider professionnels et institutionnels à repenser leurs modèles, l’ADEME a intégré à son étude tout un volet sur les pistes d’action propres à chaque territoire, avec trois leviers principaux dont la sobriété (réduire, faire autrement, moins souvent), nouveau pendant à l’efficacité énergétique et à la décarbonation.

Aude Andrup (Ademe) © DR

Faudra-il bientôt marcher sur deux jambes avec une canne ?

Et demain ? Allons-nous tous devoir chausser des lunettes radicales pour aider le tourisme à faire sa mue ? Les choses ne sont malheureusement pas si simples. Et d’ailleurs, les nombreux étudiants qui ont eu la chance d’avoir un module « tourisme durable » lors de leur cursus se rappelleront peut-être ces fameux trois piliers qui forment les trois jambes d’un tourisme durable ; l’environnemental, certes, mais aussi le social et l’économique…. Et c’est là où le bât blesse. Quid des emplois ? De l’humain ? Des territoires ? Des échanges ? De l’ouverture ? A-t-on encore le droit de penser « tourisme » sans se voir taxer d’odieux défenseur de la croissance ? Mais en même temps, ne faut-il pas arrêter de percevoir la croissance qu’à travers les chiffres, la course à la performance, le nombre d’entrées, les recettes enregistrées. Penser complémentaire et non concurrent. Jouer sur les saisons, les espaces, les décalages, les solidarités. Car si la France est belle, l’urgence est bien là, et il ne faut pas se voiler la face, il va falloir dessiner des moins là où on aimait ajouter des plus, savoir décroitre là où on aimait grossir. L’idée n’est évidemment pas de sacrifier le social et l’humain sur l’autel de l’environnemental mais d’avoir à l’esprit que l’on peut penser autrement, réduire parfois (ce qui ne veut pas dire « arrêter »), limiter quand c’est possible, et surtout se montrer toujours et encore plus créatif pour élargir le cadre de l’expérience voyageuse avec le maximum de plaisir (pour tous) et le minimum d’impacts (pour tous aussi). Certes, depuis vingt ans, beaucoup a déjà été initié, de nombreux acteurs sont au travail, l’effet domino de la crise a mis un à un tous les acteurs et territoires en mouvement. Il n’y a qu’à lire les 5 000 articles en ligne sur notre portail (pourtant en décroissance #lemodèleéconomiquesdesmédiasindépendantsonenparle ?) pour voir que ces réflexions ne datent pas d’hier. A voir à présent comment amorcer ce nouveau virage, sachant que l’on n’a pas de planète B et qu’il est urgent d’agir (ou de dés-agir !).

————————————– Aller plus loin (ou plus près, c’est selon)

Etude de l’Ademe à retrouver ici !

Lamya Essemlali, Présidente de Sea Shepherd France © CRT Normandie

Faudra-il se montrer plus radical pour un tourisme plus responsable ? | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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2 réponses à Faudra-il se montrer plus radical pour un tourisme plus responsable ?

  1. Frédéric GILBERT a commenté:

    Qu’il est bon d’entendre que la radicalité puisse être un mode de fonctionnement et qu’elle contribue à faire changer aussi les tendances… Elle est si souvent pointée du doigt comme incompatible avec la bienséance. Merci pour ces interventions.

  2. Van thai nguyen a commenté:

    La radicalité est la seule preuve concrète qui différencie un engagé d’un praticien de greenwashing. La radicalité nécessite non seulement le courage mais aussi l’innovation et l’esprit start-up. Oser échouer pour apprendre et avancer. C’est un risque qui flippe la plupart des acteurs

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