Bain de forêt : réveiller ses sens et s’apaiser
Thèmatique : Bons plans Initiative régionale Territoire
Amoureuse de la forêt depuis toujours, Anne-Lise Mommert est guide de Shinrin-yoku ou bain de forêt. Elle a choisi cette pratique japonaise pour « emmener d’autres personnes avec elle » dans les bois et partager sa passion. Par un bel après-midi frais et ensoleillée, j’ai eu la chance de plonger dans l’un des bains qu’Anne-Lise guide et accompagne dans la forêt de Grimbosq au sud de Caen. Récit d’une immersion apaisante, en pleine conscience, où l’on renoue avec ses sens et avec la nature.
Se sentir dans « l’ici et le maintenant »
Il est 15h, samedi 28 août. Nous sommes trois femmes à retrouver Anne-Lise sur un des parkings de la forêt de Grimbosq aux portes de la Suisse normande. Il fait beau, enfin. L’accueil fort sympathique de notre guide attise ma curiosité et mon envie de plonger dans la forêt. Elle nous donne quelques recommandations – notamment pour se protéger des tiques -, puis nous partons tranquillement nous enfoncer dans la forêt. « Le Shinrin yoku, c’est une pratique de pleine conscience, l’idée c’est d’essayer de se sentir dans l’ici et le maintenant, de laisser toutes ses pensées, ses bons et mauvais moments à l’entrée de la forêt« , explique Anne-Lise sous un grand arbre protecteur qu’elle a choisi pour abriter première étape de notre bain de forêt.
La jeune quarantenaire – qui est aussi graphiste de métier – résume ensuite joliment l’histoire du Shinrin yoku, initié au Japon dans les années 1980. « Tout a commencé sur l’île de Yakushima, une île couverte à 95% de forêt avec des villes au milieu. Il y avait une intuition du ministère de la forêt qu’aller dans les bois pouvait être bénéfique pour la santé », commence Anne-Lise. Les Japonais sont encouragés à y retourner pour s’y immerger. Deux pratiques naissent alors : le Shinrin yoku qui relève de la détente, de la médecine préventive et holistique; et le Shinrin ryoho, une cure forestière, encadrée par des professionnels, avec des hôpitaux en forêt. Des études sont menées et confirment la véracité des intuitions des autorités sur les vertus thérapeutiques des forêts. « Plein de choses y sont bénéfiques. La forêt régule la pression artérielle, le rythme cardiaque. Elle agit aussi beaucoup sur le cortex, en apaisant vraiment le cerveau. Elle joue sur les cellules NK (Natural Killers), qui luttent contre les infections dans le corps », poursuit Anne-Lise avant de préciser que pour que les vertus d’un bain de forêt se fassent ressentir, il faut y rester au moins deux heures et renouveler l’expérience toutes les trois semaines pour des bienfaits au long cours. Quant à la forêt choisie, « elle doit être assez grande, héberger une large variété d’essences, héberger des arbres de plus de 50 ans et être accessible pour que le bain soit ouvert au plus grand nombre », ajoute notre guide. A propos de chiffres, Anne-Lise révèle qu’elle peut emmener jusqu’à 15 personnes avec elle mais que la taille moyenne de ses groupes, presque toujours mixtes, est de 8 personnes.
L’appel de la forêt
Puis Anne-Lise parle d’elle, modestement. Elle évoque une enfance et une adolescence au coeur de la forêt de Lyons-la-Forêt où ses parents avaient une exploitation forestière : « Les bois, c’était mon domaine, j’y jouais, j’y faisais des cabanes. Puis je suis partie faire mes études en ville. Je n’ai pas tout de suite mis des mots sur ce qui me manquait. Il m’a fallu des années pour réaliser que c’était elle, la forêt, qui me manquait« . Y retourner devint alors à la fois intuitif, naturel et nécessaire. Mais le besoin de partager sa passion la taraudait : « Je me suis dit que ce serait dommage d’y retourner toute seule et que si je pouvais emmener des gens, ce serait beaucoup plus sympa ». Anne-Lise découvre le Shinrin yoku et s’y forme en 2019 auprès de Bernadette Rey, la seule francophone au monde à être certifiée Shinrin Yoku par des Japonais. Elle n’a plus qu’à pratiquer dans les forêts voisines de son lieu de vie, près de Caen.
Reconnecter avec ses cinq sens
Nous reprenons le sentier qui nous emmène encore plus loin dans la forêt. Anne-Lise choisit un endroit pour s’arrêter. Nous nous installons en cercle, debout. Elle lance sa première invitation, celle du Gokan, une expérience pendant laquelle on se reconnecte doucement avec ses cinq sens. « Je vous invite à profiter du paysage qui nous entoure, à essayer d’alterner le premier plan, l’arrière-plan, de profiter de ce qui est vertical, horizontal, de ce qui est prêt du sol puis en haut, en-dessous de la canopée, de ce qui est immobile et de ce qui est en mouvement ». Je me laisse bercer par les phrases d’Anne-Lise, sans sourciller. J’inspire tout doucement quand notre guide le suggère, j’étire mes bras en arrière pour ouvrir d’avantage ma poitrine et j’expire. Je me sens partir en voyage et il me semble que mes voisines vivent la même aventure dans une sorte de communion. Nous nous penchons ensuite pour nous rapprocher du sol. Anne-Lise nous invite à nous concentrer sur nos autres sens, le toucher puis la dimension sonore du lieu : « Vous pouvez peut-être entendre l’air, le vent qui passe tout près et continue sa route, sentir comme il caresse votre peau, vos mains, vos joues, comme il fait bruisser les feuilles dans la canopée des arbres », souffle-t-elle. Nous nous relevons doucement, réalisons des cercles autour de nous-mêmes, les yeux fermés, puis chacune s’arrête selon l’orientation qui lui convient le mieux. Il s’agit de mettre tous nos sens en commun, de constater comment ils ont gagné en force depuis que nous nous sommes ancrées dans le sol.
Je me rends compte que Michèle, ma voisine également novice dans la pratique du Shinrin yoku, fixe l’horizon dans la même direction que moi. Nous avons en effet doucement rouvert nos yeux. « Laissez-vous bercer par toutes les nuances de vert », ponctue Anne-Lise avant de nous proposer de restituer nos ressentis de cette première invitation. « Le premier mot qui me vient à l’esprit, c’est « gratitude« , oui de la gratitude pour toute cette merveille qui nous entoure et dont j’ai l’impression de profiter pleinement jusqu’à en faire presque partie », commence Michèle. Axelle, autre baigneuse, qui, elle, en est à son deuxième bain évoque une grande émotion : « J’étais plus en présence que la dernière fois. Quand j’ai rouvert les yeux, j’ai eu une forte émotion« , révèle-t-elle les larmes aux yeux. Pour moi, c’est le mot « connexion » qui résonne en premier : la sensation de faire aussi partie du lieu, au milieu des autres arbres, et de presque prendre racine.
Prendre le temps de voir le riz pousser
Nous quittons cet endroit, qui, grâce à cette première invitation, a pris pour moi une toute autre dimension, à la fois charnelle et sensorielle. Nous continuons à nous enfoncer dans la forêt. Puis Anne-Lise reprend la parole : « Je vous invite à nous séparer. Mais rassurez-vous, on part toutes tout droit, dans la même direction. Essayez de marcher tout doucement, en serpentant, en essayant de jouer les botanistes en herbe, en se laissant divertir comme un enfant qui découvre la forêt pour la première fois ». Pour cette invitation invitant à l’exploration solitaire, « il s’agit de prendre le temps de voir le riz pousser« , souligne Anne-Lise. J’aime cette image qui incite à prendre son temps. Je le prends donc, comme mes camarades que j’aperçois parfois au loin, à la fois figées et ébahies par ce qu’elles découvrent. Au moment du partage des ressentis, je dévoile ce qui m’a le plus marquée lors de cette invitation : la beauté des tâches de lumières sans cesse en mouvement que le soleil projette à travers la canopée. Anne-Lise, elle, révèle qu’elle ne se lasse pas du spectacle des lianes et des petits arbres tout frêles qui arrivent à monter en s’appuyant les uns sur les autres, comme une équipe.
S’immerger dans le vert
« Midori » signifie la couleur verte en japonais, une couleur aux vertus apaisantes. La troisième invitation de notre bain lui est consacrée. « Il s’agit d’explorer les lieux, de profiter de cette errance pour faire des photographies mentales qui nous serviront plus tard en cas de « crise de besoin de calme », en fait, on part se fabriquer des images apaisantes« , explique Anne-Lise avant de nous lâcher dans la forêt, chacune à la recherche de son petit coin de paix. Si nos errances nous entrainent hors de vue les unes des autres, qu’importe ! Anne-Lise s’est munie de son petit gong pour nous faire retrouver notre chemin. Je choisis un petit bout de semi-clairière où humus et mousse m’offrent un beau tapis où m’allonger. Je suis bien, m’imprégnant de la bonne énergie de la terre. Je regarde la canopée et le ballet incessant des feuilles aux innombrables dégradés de vert. Je fabrique mes images apaisantes jusqu’à ce que le gong me ramène à un espace temps à des années-lumière de celui dans lequel je m’étais embarquée.
La cérémonie du thé
Il est l’heure du thé. Nous avons déjà passé près de deux heures dans les bois. Ensemble, nous dressons une « petite table » à même le sol. Anne-Lise nous invite à aller chercher des choses dans la forêt pour la décorer. Puis elle prépare le thé Matcha en utilisant une jolie vaisselle et des ustensiles japonais. Le tout me fait penser à une dinette sophistiquée et je me réjouis de finir sur cette note de goût. Il y a cinq tasses. Pourtant, nous ne sommes que quatre. La cinquième, c’est pour la forêt, Axelle et Michèle se partagent la tâche de lui offrir sa tasse de thé.
Nous baignons dans la tranquillité et l’équilibre quand un groupe de joggeurs passe à quelques mètres de nous. Le meneur s’exclame en nous regardant : « Les sorcières, elles sont là ! » Nous ne relevons pas, nous sommes dans un autre univers, chacune sur son petit coin de forêt, nous racontant ce que nous ressentons. Axelle commence par un grand « merci », sincère et reconnaissant : « Je me sens beaucoup plus dedans qu’en février quand j’ai fait mon premier bain. Aujourd’hui, je suis rentrée dans tous les exercices, à 200 %« . Pourtant, elle révèle qu’elle était très émotive avant de venir et qu’elle était sur le point d’annuler. « Là, je me sens apaisée, j’ai l’impression de respirer. Je reviendrai », conclut-elle. Michèle, elle, se sent à sa place à la fois dans la forêt mais aussi avec nous toutes : « On est un bon groupe toutes les quatre, c’est émouvant. C’est comme une évidence que je sois là avec vous ». Anne-Lise enchaîne, émue et ravie d’avoir accompli sa mission : « La forêt, je sais ce que c’est et c’est là que je voulais emmener les gens. Quand on est habité par quelque chose, on veut le partager. Et ça me fascine toujours que les groupes se fassent naturellement, qu’une gentillesse, une confiance s’installent à chaque fois, qu’il en sorte toujours une bonne énergie ». Et moi, je parle de magie et de paix : j’ai laissé tout ce qui me pesait à l’entrée de la forêt. Et je sais ce que j’ai à faire quand la charge mentale me rattrapera. En attendant j’ai les images que je me suis fabriquées pour m’apaiser.
Pour réserver votre bain de forêt avec Anne-Lise, visitez cette fiche du site Normandie Tourisme
Par Elisabeth Blanchet
Ancienne prof de maths, je me suis reconvertie dans le photo journalisme en 2003 à Londres où je vivais. J’ai travaillé pour différents magazines dont Time Out London et j’ai développé des projets à longs termes dont un sujet les préfabriqués d’après-guerre, une véritable obsession qui perdure, les Irish Travellers -nomades Irlandais- dans le monde, les orphelins de Ceausescu - je suis des jeunes qui ont grandi dans les orphelinats du dictateur depuis 25 ans -. Je voyage beaucoup et j’adore raconter des histoires en photo, avec des mots, en filmant, en enregistrant… Des histoires de lieux, de découvertes mais surtout de gens. Destinations de cœur : Royaume-Uni, Irlande, Laponie, Russie, Etats-Unis, Balkans, Irlande, Lewis & Harris Coup de cœur tourisme responsable : Caravan, le Tiny House Hotel de Portland, Oregon – Mon livre de voyage : L’Usage du Monde de Nicolas Bouvier – Le livre que je ne prends jamais en voyage : L’oeuvre complète de Proust à cause du poids – Une petite phrase qui parle à mon cœur de voyageur : « Home is where you park it »
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superbe reportage.
Très belle expérience
Bravo
Je partage
Michèle