Tourisme & Handicap, où en est-on ?
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Avril, c’est le mois du handicap que l’on fêtait cette année avec la 14e édition des Journées Nationales Tourisme et Handicap (JNTH). Après deux années d’interruption, cet évènement a aussi pour vocation de rappeler aux professionnels du secteur qu’il reste bien des efforts à accomplir pour permettre aux personnes mal entendantes, mal voyantes, déficiente mentalement, handicapées moteur (…) de pouvoir partir en vacances comme tout le monde. Militante de la première heure, Annette Masson (présidente de Tourisme & Handicaps) œuvre depuis plus de vingt ans pour la prise en compte de l’accessibilité dans le secteur du Tourisme. Rencontre avec une femme de cœur et d’action.
VA/ Pouvez-vous revenir sur les débuts de Tourism & Handicaps pour nos lecteurs ?
A la fin des fin des années 1990, des associations de personnes en situation de handicap sont venues vers l’UNAT et la Fédération Française des Techniciens et Scientifiques du Tourisme (FFTST) dont j’étais alors présidente, nous expliquant combien il était important qu’ils soient enfin considérés par le secteur du tourisme. A cette époque, la question du handicap moteur était parfois évoquée mais les autres types de handicap (( auditif, mental et visuel ) complètement exclus des problématiques du secteur. Ces associations souhaitaient interpeller les prestataires touristiques afin que les personnes handicapées soient accueillies au même titre que les valides et puissent partir comme tout un chacun avec leurs amis, personnes handicapées, famille ou pas. Elles mettaient l’accent sur le besoin de vacances intégrées en complément des seules vacances encadrées organisées par les centres spécialisées. Nous nous sommes donc réunis et avons identifié un certain nombre d’écueils, d’états des lieux et de recommandations, qui ont débouchés sur le rapport Michel Gagneux, membre de l’Inspection Générale des Affaires Sociales, visant à étudier les conditions générales de l’offre touristique en direction des personnes en situation de handicap. Une fois en connaissance de ce rapport, Michelle Demessine, alors secrétaire d’Etat au Tourisme dans le gouvernement Jospin a décidé de nous soutenir. C’est ainsi qu’en mars 2001 a été créée l’association Tourisme & Handicaps, sous l’égide de la FFTST et de l’UNAT. L’association a ensuite créé la Marque Tourisme & Handicap et l’a cédé à l’Etat, afin que la marque survive à l’association, si jamais…
VA/ Comment se porte l’association plus de vingt ans après ?
Aujourd’hui, l’association se porte très bien. Nous avons une centaine de membres, des associations de professionnels du tourisme (ADN Tourisme, UMIH, EDV, FNHPA, etc.) ; des associations de personnes handicapées (AVH, APF France handicap, CNLTA, etc.) ; des prestataires et des organismes de formation. Nous avons également 4 000 prestataires touristiques labélisés à ce jour. Je précise qu’en tant que marque d’Etat, la labélisation est exigeante et évalue les professionnels avec des critères par activités. Pas question donc de déclaratif ; la visite d’un évaluateur formé est obligatoire. En revanche, il ne s’agit pas d’un label payant mais d’une marque gratuite donnée pour cinq ans. Nous demandons juste la prise en charge des frais de déplacement de l’évaluateur, souvent bénévole. On avance donc avec pédagogie. Pour l’heure, 18% des prestataires touristiques ne prennent en compte que deux handicaps. On essaie d’expliquer les choses mais aujourd’hui encore, il reste de nombreux établissements qui ne respectent pas la loi du 11 février 2005 (qui stipule entre autres que les ERP doivent être accessibles aux personnes handicapées).
VA/ Certains sont-ils plus avancés que d’autres ?
Il faut noter que 54,27% des hébergements touristiques sont aujourd’hui aux normes et les plus proactifs sont souvent les meublés de tourisme et les chambres d’hôtes (plus de la moitié sont labélisés !) alors qu’ils ne sont pas assujettis à la loi de 2005. On se retrouve donc avec le paradoxe de petits acteurs indépendants qui vont vers l’accessibilité quand de grosses chaines hôtelières sont encore à la traine et réussissent à obtenir des reports à l’image d’ACCOR, qui fait beaucoup d’affichage vert, mais qui a obtenu neuf années de report (le maximum possible !) pour la mise en conformité de ses hôtels. Les franchisés font un peu mieux mais beaucoup d’hôtel de cette chaine se disent accessibles alors que ce n’est pas le cas. Nous avons ensuite 14,45 % des structures d’informations touristiques labélisés, 14, 14% des lieux de visites, 11, 77% des sites de loisirs, et à la traine, la restauration, avec uniquement 5,36% des établissements labélisés.
VA / Le handicap est souvent associé au handicap moteur mais que peut entreprendre un acteur du tourisme pour des déficiences visuelles ou auditives par exemple ?
Les possibilités sont nombreuses et je réalise souvent des formations pour aider les prestataires touristiques à s’organiser. Il peut s’agir par exemple de mettre à disposition (offices de tourisme, guichets d’accueil, etc.) des documents en grands caractères ou en braille pour les mal ou non voyants. Pour aider les personnes illettrées, l’association du texte et de l’image avec des pictogrammes par exemple (logo du couteau et de la fourchette pour indiquer un restaurant) peut être une solution adaptée, qui va également rendre service à tous ceux qui ne parlent pas notre langue. Pour les mal entendants, nous préconisons l’installation d’une boucle à induction magnétique (logo oreille barrée sur fond bleu) dans les musées, sur les sites, les OT. Certaines grosses chaînes d’hôtel vous refuseront pourtant de financer cette boucle (300 € !) alors qu’il s’agit du plus gros handicap en France avec 7 millions de personnes concernées. Le principal souci reste que tout le monde parle du handicap moteur alors qu’il y a trois fois plus de personnes empêchées pour des raisons auditives, et jeunes souvent ; certains ont vingt, trente, quarante ans et ont perdu une partie de l’audition. Il faut en sus prendre en compte que beaucoup d’aménagements fait pour les personnes handicapées servent à tous. Dans nos interventions en collège ou lycée (mallette pédagogique), nous expliquons aux élèves que la télécommande a été développé par une personne handicapée dans les années 1960 car elle ne pouvait pas éteindre son téléviseur. Aujourd’hui tout le monde l’utilise…
VA/ Avez-vous le sentiment que la prise en compte des personnes à mobilités réduites ou handicapées progresse chez les acteurs du tourisme ?
Oui et non. Oui parce que l’on en parle de plus en plus. Au début de nos démarches, nous étions obligés de pousser les portes. Aujourd’hui, pas un jour ne passe sans que nous soyons sollicités par des personnes qui s’intéressent au sujet, qui nous demandent des conseils, cherchent des financements. Je viens de réaliser deux formations pour des OT et je constate une vraie volonté de faire bouger les choses. C’est parfois très prenant mais tant mieux. En revanche, nous sommes supplantés par le tourisme durable. Tout le monde s’intéresse au climat, à l’environnemental et oublie la partie humaine du développement durable, son pilier social. Certes, cela évolue quand on va dans des colloques engagés mais certaines chaines comme Best Western ne vous parle que de l’axe environnemental et quand vous souhaitez évoquer l’accessibilité, c’est plus dur. En sus, il y a une mauvaise compréhension de certaines contraintes qui n’en sont pas. Par exemple, les hôteliers n’ont pas encore saisi que quand ils n’ont plus de chambres disponibles, ils peuvent aussi louer leur chambre adaptée à des valides sans être obligés de la garder pour des personnes à mobilité réduite. Il suffit de prévenir les clients et souvent, les familles sont très contentes de disposer d’une chambre adaptée plus grande et où on peut se doucher à l’italienne. Si une personne handicapée se présente, l’hôtel pourra préciser qu’il est complet, c’est l’égalité de traitement, il n’y a aucune obligation de les garder au cas où. C’est le même principe pour les campings et les mobil home pour personnes handicapées que les personnes âgées seront également ravies de réserver, avec des barres pour se maintenir qui peuvent éviter des accidents. Les professionnels du tourisme ne doivent pas hésiter à argumenter et à les mettre en vente comme les autres.
VA/ L’état joue-t-il pleinement son rôle ?
A nouveau oui et non, et je ne suis pas Normande ! Jusqu’à aujourd’hui, on peut dire que ce gouvernement a compris que le handicap était transversal. Par exemple, ces dernières années, beaucoup de choses ont été faites pour les handicapés mentaux. C’est bien, mais c’est parfois au détriment des autres handicaps, souvent en lien avec une situation personnelle précise, une personne en responsabilité qui a un enfant trisomique par exemple. Or c’est parfois à double tranchant car on pense ensuite que les seules les personnes concernées de façon personnelles se mobilisent autour du handicap. Dans cette même logique, dans une mairie, on aura tendance à désigner une personne handicapée comme conseiller municipal dédié à ces questions ; comme si un valide ne pouvait pas s’occuper du handicap et un handicapé des écoles ou de l’environnement. Il faut arrêter de catégoriser. Certes, beaucoup d’associations de personnes handicapées ont été créées par des personnes concernées ou par leurs parents pour les défendre mais il faut aller au-delà. Or nous manquons encore du soutien de l’état pour aller plus loin, notamment au niveau du tourisme, nous ne nous sentons pas soutenu ces dernières années. On n’ose pas toujours nous dire non mais les fonctionnaires de Bercy sont très réticents à s’engager plus avant, et surtout pour des territoires touristiques accessibles (Marque Destination pour Tous).
VA / Combien d’éditions déjà pour les Trophées du Tourisme Accessible que vous organisez chaque année ? Avez-vous reçu de nombreux dossiers pour cette nouvelle édition ?
Nous avons recueilli près de 300 candidatures pour l’édition des trophées du tourisme accessible 2022. Le palmarès sera publié le 1er juin prochain lors du salon Handica à Lyon.
VA/ Une initiative ou un exemple vertueux que vous souhaiteriez porter à la connaissance de nos lecteurs et qui pourrait en inspirer d’autres ?
A ce sujet, il faut noter qu’ont lieu en ce moment et tout au long du mois d’avril les Journées Nationales de Tourisme & Handicap avec l’organisation de portes ouvertes, de jeux et concours entre labélisés pour partager les bonnes pratiques. Le programme est disponible sur notre site et nous avons également un magazine qui met régulièrement en valeur de nombreux acteurs engagés pour le handicap comme les meublés de tourisme ou les chambres d’hôtes. Les restaurants sont plus difficile à mobiliser en revanche. Par exemple, ils n’ont pas encore compris qu’ils peuvent rassembler une grande toilette adaptée qui servira à tout le monde. C’est d’ailleurs le problème des toilettes adaptées que certains n’osent pas utiliser mais qui ne sont pas réservées uniquement aux personnes handicapées. Si je prends l’exemple des musées à présent, il peut s’agir de visites en langue des signes. Le MUCEM à Marseille fait plein de choses ; le quai Branly à Paris également, en dépit d’un bâti pas simple à l’origine. On arrive à trouver des architectes qui comprennent la difficulté et imaginent des solutions. Le château de Nantes a réussi à mettre un ascenseur dans une tourelle afin que tout un chacun puisse visiter chaque étage. Au Louvre, la mise en place d’une galerie tactile sert à présent autant aux personnes handicapées qu’aux enfants et scolaires.
VA/ La question de l’accessibilité se pose également au niveau des transports. Les choses progressent-elles sur le front de la SNCF, de l’aérien ?
Notre souci en France est que le Transport et le Tourisme ne dépendent pas des mêmes ministères. Nous avons essayé d’intervenir auprès de la SNCF mais cela reste très compliqué. Une rame de TGV doit être gardée trente ans pour s’amortir et donc tout est très long. Les nouvelles rames ont toutefois pris en compte le handicap avec de nouvelles opportunités de places. Dans les TER, cela commence également à venir mais là aussi c’est très long. Il existe parfois des solutions de compensation, des services d’assistance mais le fait de faire appel à des prestataires extérieurs souvent très mal formés pose problème. Je suis d’ailleurs très surprise par le manque de formation et d’empathie de ces employés pour les personnes handicapées. C’est un peu le même problème avec les aéroports. J’ai été témoin d’assistants refusant de prendre le bagage d’une personne handicapée. Et il existe aussi l’effet pervers des « faux handicapés » qui demandent une assistance pour passer devant tout le monde avant de se révéler parfaitement valides…. A Disney, de nouvelles règles ont été mises en place pour éviter ces fraudes. On note aussi beaucoup d’incivilité dans les transports en commun. A Paris, dans les nouveaux bus accessibles, les chauffeurs ne peuvent parfois pas descendre leur rampe car des automobilistes sont garés sur les zébras et empêchent les bus de se rapprocher du trottoir.
VA/Pour conclure, auriez-vous un projet en cours à porter à notre connaissance ?
Tout à fait, nous allons tester en mai prochain un e-learning pour les musées grâce au soutien financier de Make.org. L’idée : que ne soit plus seulement le bâti qui soit accessible mais aussi la prestation. Soit éviter des cartels ou des objets trop hauts, trop bas, etc. On a donc créé deux modules généraux de formation avec des points spécifiques par corps de métier (scénographie, médiation, accueil, etc.). Ils seront gratuits et dispensés à plus de 2 000 musées en France. Notre credo : donner accès à la culture, à la prestation, faire de l’accessibilité pour tous une priorité. Ensuite, nous essaierons également de sensibiliser les salons, les colloques ((Horizonia et UNIMEV), qui eux aussi doivent se rendre accessible. D’autant que ce confort d’usage est ensuite utile à toutes les populations, les personnes âgées, les femmes enceinte, les plus jeunes, etc. Il s’agit vraiment d’un projet gagnant-gagnant car si un lieu ou un site n’est pas accessible, le visiteur ne vient pas. Aux professionnels d’apprendre ensuite à communiquer sur ces points forts !
———— Aller plus loin ————–
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Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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