Quels résultats après la randonnée What’s Alp?
Thèmatique : Acteur associatif Espaces protégés Initiative privée
Tout l’été des hommes et femmes ont parcouru, à pied tout l’arc alpin. L’occasion de voir sur place dans quel état se trouve le massif et quel en sera l’avenir.
Voici leurs conclusions : édifiant!
« Sous le nom de « whatsalp » nous, un groupe de spécialistes des Alpes, avons traversé à pied le massif alpin de Vienne à Nice entre le 3 juin et le 29 septembre. Le long de ce périple de 1800 km, 70 rendez-vous et événements locaux ont jalonné notre route en Autriche, en Suisse, en Italie en en France, attirant au total plusieurs centaines de participants. Pendant ces trois mois nous avons rencontré de nombreuses personnes et organisations qui œuvrent pour les Alpes. Quelque 200 personnes nous ont également accompagnés pendant une ou plusieurs étapes. L’objectif du projet était de documenter l’état actuel des Alpes et d’échanger avec les personnes rencontrées dans les lieux traversés et en chemin. Un autre objectif était celui d’établir une comparaison avec les résultats de la traversée des Alpes « TransALPedes », organisée en 1992 avec plusieurs membres de l’équipe cœur de whatsalp. La rétrospective s’accompagne d’un regard prospectif : à quoi ressembleront les Alpes dans 25 ans, en 2042, pour un groupe de randonneurs qui effectuera peut-être une nouvelle traversée des Alpes ? Où est-il le plus urgent d’agir à l’heure actuelle ? Notre projet s’inscrit dans le cadre de la Convention alpine, dans laquelle les pays alpins se sont engagés à œuvrer en faveur de la protection et du développement soutenable des Alpes. Lors de notre périple nous avons été régulièrement confrontés à l’hétérogénéité des Alpes, et constaté de grandes disparités entre les différentes régions en ce qui concerne a la situation initiale et aussi la situation actuelle. La CIPRA et l’Initiative des Alpes sont partenaires du projet whatsalp. Dans le présent document nous présentons un aperçu en sept points des principaux résultats du projet whatsalp. Ces conclusions sont le fruit des expériences et des constats recueillis pendant notre voyage. Les étapes et les différents événements sont documentés en détail dans notre blog sur le site www.whatsalp.org.
Des conséquences visibles d’un climat qui évolue très vite
Le réchauffement climatique a continué de progresser et ses conséquences sont de plus en plus visibles. Encore relativement peu discuté dans les Alpes en 1992, le changement climatique est devenu un défi central. Au cours de notre randonnée, nous avons observé de nombreuses traces du réchauffement planétaire et de son impact sur la nature et les humains. L’un des phénomènes les plus visibles est l’accélération du recul des glaciers (p.ex. le Pasterze , le glacier du Rhône , le massif du Mont-Blanc , la Grande Motte). Peu après notre visite dans la Val Bregaglia, un glissement de terrain s’est produit dans la Val Bondasca, qui nous a beaucoup marqués. Dans notre périple nous avons régulièrement observé les traces de phénomènes naturels extrêmes : inondations, éboulements rocheux, coulées de boue. Nous avons aussi vu des ouvrages de protection volumineux qui n’existaient pas encore en 1992. Un autre signe du changement climatique est le développement massif de l’enneigement artificiel dans de nombreuses destinations de ski (p.ex. Amadé Skiarena , Tarentaise, Bardonecchia ) et l’apparition de nouvelles pratiques aujourd’hui largement répandues comme le snowfarming ou la pose de bâches sur les glaciers (p.ex. le Dachstein , Andermatt , Val d’Isère ). De nombreuses petites stations de moyenne montagne sont à l’opposé durement touchées par le manque de neige et n’ont plus d’avenir. Les stratégies à déployer contre le réchauffement climatique et ses conséquences sont aujourd’hui beaucoup plus discutées qu’en 1992, mais nous n’avons observé sur le terrain que très peu de démarches sérieuses pour un développement des Alpes respectueux du climat (p.ex. à Ramsau, dans la Val Poschiavo , à Obergoms , en Maurienne). La canicule qui cet été a affecté les plaines a eu un effet important sur le tourisme en montagne, et en faisant registrer des chiffres record dans certains lieux. Les Alpes sont particulièrement touchées par le changement climatique et ses impacts. Les pays alpins ont un besoin urgent d’une politique plus cohérente pour la protection du climat, avec des stratégies adaptées à cet espace de vie, de nature et d’activité économique sensible.
Le tourisme alpin a un tournant!
De nouvelles formes de tourisme proches de la nature s’opposent à un tourisme intensif et non écologique, orienté vers une clientèle mondiale. Au cours des 25 dernières années, de nouvelles activités se sont développées, essentiellement dans le domaine du tourisme d’été proche de la nature (p.ex. VTT, randonnées thématiques, offres d’aventure). Les destinations touristiques misent de plus en plus sur les produits régionaux, avant tout dans la gastronomie. Nous avons observé des pratiques touristiques douces et proches de la nature par exemple dans la vallée de Rauris, dans la vallée de Binn, à Bonneval-sur-Arc et dans la vallée de la Clarée, parfois combinées à des stations de ski locales de petite ou moyenne taille. Les grandes destinations touristiques globales représentent aujourd’hui une concurrence beaucoup plus forte pour le tourisme alpin qu’en 1992. En visitant certaines grandes destinations (p.ex. Amadé Skiarena , Andermatt-Sedrun, Valle di Susa, Tarentaise), nous avons constaté que les aménagements ont fortement augmenté avec des extensions et fusions de domaines skiables, nouvelles pistes de ski, enneigeurs, constructions de retenues collinaires, pistes de VTT de descente. Traverser ces paysages technicisés et sans identité a été pour nous une expérience choquante : ils n’ont plus grand-chose à voir avec l’expérience de la nature. Au vu de l’augmentation des coûts, on peut se demander si ces stations de ski aménagées à outrance pourront encore être exploitées de façon rentable dans le futur. Dans les régions que nous avons traversées, nous avons souvent constaté une progression du mitage du paysage par les résidences secondaires. En Suisse, nous avons eu l’impression que la nouvelle loi sur les résidences secondaires n’avait pas encore véritablement commencé à faire ses effets. Nous avons aussi vu plusieurs fermes rénovées et reconverties, en particulier en France et en Italie (p.ex. Tarentaise, Valle Varaita, Valle Maira). Le tourisme alpin a besoin d’une réforme urgente pour mieux répondre aux objectifs du développement durable , à travers l’écologisation du tourisme intensif ou par le biais d’une promotion plus efficace d’un tourisme proche de la nature adapté aux conditions locales.
Le trafic routier, fléau alpin
Le transit des marchandises par la route a continué d’augmenter, et le trafic de loisir motorisé s’est lui aussi fortement développé au cours des 25 dernières années. Whatsalp a traversé en Autriche, en Suisse, en Italie et en France neuf grandes routes de transit transalpines. Le trafic de marchandises a fortement augmenté sur la plupart de ces axes, dont certains ont été aménagés après 1992. En Autriche et en Suisse, il a pratiquement doublé, une évolution que nous avons particulièrement ressentie en marchant le long de certaines routes de transit. La Suisse est le seul pays où la part du fret dans le trafic ferroviaire transalpin est relativement élevée, à savoir 68 %. En France, elle n’atteint que 5 %, et en Autriche 28 %. Cela entraîne non seulement des nuisances élevées pour les vallées alpines affectées par les polluants atmosphériques et le bruit, mais aussi une consommation croissante des sols par les voies de circulations, dans des territoires qui, pour des raisons topographiques, ne disposent que de très peu de terrains utilisables. La politique suisse de report modal du transit de marchandises semble avoir un certain impact, mais l’objectif ancré dans la constitution et dans la législation n’est pas encore atteint. Dans les autres pays alpins et au niveau de l’UE, on ne dispose toujours pas à ce jour d’instruments efficaces pour le report du transit de fret vers le rail. Le trafic de loisir motorisé sur la route semble avoir au minimum doublé depuis 1992. Nous avons relevé en particulier une forte augmentation du nombre de motos de grosse cylindrée. L’augmentation du trafic n’est pas seulement liée à la motorisation croissante, mais aussi à la construction de nouvelles routes de montagnes et à l’amélioration des routes existantes (p.ex. en Basse-Autriche, dans le Tyrol du Sud, dans le Piémont ). Malgré une série de projets destinés à encourager la mobilité douce (p.ex. le chemin de fer de Mariazell, la vallée de Rauris, le Val Ferret , Termignon), les efforts pour réduire la flambée du trafic de loisir dans les Alpes restent globalement sans effets. Les pays alpins et l’UE doivent créer de nouveaux instruments de régulation et de soutien pour endiguer le trafic de transit, favoriser le report du trafic des marchandises vers le rail et réduire le trafic de loisir motorisé. Les modèles déjà mis au point pour la régulation du trafic de marchandises comme la bourse du transit alpin ou la redevance pour le transit alpin doivent être mis en place concrètement pour éviter que la qualité de vie le long des axes de circulation ne se dégrade encore plus.
La question de l’énergie divise
La transition énergétique entraîne de nouveaux conflits entre les projets énergétiques et la protection des paysages. Nous avons constaté avec soulagement que la plupart des projets de centrales à pompage/turbinage que nous avions visités en 1992 ont été abandonnés depuis. De nouveaux projets de centrales hydrauliques justifiés par l’impératif de la transition énergétique sont en discussion (p.ex. Sellrain, Trift). Leur contribution à l’approvisionnement énergétique de l’avenir est toutefois relativement faible. La destruction programmée des derniers paysages de montagne intacts pour la production d’énergie renouvelable entraîne de nouveaux conflits dans les milieux de protection de la nature, en particulier en Suisse. Dans tous les pays traversés, nous avons été frappés par le grand nombre de nouvelles microcentrales. Elles ont souvent été construites avec peu de respect des paysages alpins sensibles (p.ex. le Briançonnais). Nous n’avons pas vu beaucoup de nouvelles éoliennes, mais constaté en revanche la présence de nouvelles installations solaires sur les toits des bâtiments, essentiellement en Autriche et dans le Tyrol du Sud. L’exploitation des énergies renouvelables dans les Alpes ne doit pas se faire au détriment des dernières vallées alpines encore non aménagée. Parallèlement aux mesures de soutien, la politique énergétique doit également prévoir des mesures incitatives pour empêcher la consommation d’énergie d’augmenter.
Une agriculture et une protection des espaces très héteroclites
Pour les nouveaux parcs et les grands espaces protégés, une question se pose : protéger les paysages ruraux ou la nature sauvage ? De nouveaux parcs nationaux et parcs naturels ont été créés depuis 1992. Nous en avons traversé quelques-uns en Autriche, en Suisse, en France et en Italie. Les parcs nationaux, en particulier, permettent de protéger à long terme le paysage face aux projets énergétiques (Gesäuse) et aux domaines skiables (p.ex. Hohe Tauern , Vanoise). Le choix entre la protection des paysages ruraux et celle de la nature sauvage est une question qui se pose à beaucoup de parcs. Dans la zone centrale des parcs nationaux, le développement libre de la nature (nature « sauvage ») est une priorité (p.ex. Parc national de Gesäuse, Parc national Suisse , Parc national du Mercantour). Le rôle des parcs naturels régionaux est principalement de contribuer à préserver un paysage rural proche de la nature (p.ex. Steirische Eisenwurzen, Pfyn-Finges ). La discussion sur la nature sauvage est liée aux questions de la biodiversité et à la population des territoires concernés. En Suisse, depuis 1992, la population locale a rejeté plusieurs projets de création d’un nouveau Parc national dans différentes régions. La problématique des grands prédateurs comme l’ours et le loup, qui ne s’arrêtent pas aux frontières des États ni aux limites des espaces protégés, a également été régulièrement abordée par nos interlocuteurs. Un débat ouvert doit être engagé sur le développement futur de la nature sauvage dans les grands espaces protégés et au-delà dans l’ensemble de l’Arc alpin, sur la base des constats scientifiques et des expériences recueillies jusqu’à présent, en impliquant la population. L’agriculture biologique est devenue depuis 1992 une réalité dans de nombreuses vallées, tandis que d’autres territoires restent dominés par une agriculture et une exploitation forestière intensives et non écologiques. Depuis 1992, l’agriculture de montagne biologique s’est imposée dans de nombreuses vallées des Alpes. Elle se concentre essentiellement sur la production de lait et de viande ainsi que sur la culture d’herbes aromatiques et médicinales et de variétés spéciales de céréales et de fruits (Parc naturel Steirische Eisenwurzen , Ramsau, Mals, Val Poschiavo). Mais nous avons également traversé des territoires encore dominés par l’agriculture intensive, non écologique, avec de vastes monocultures et l’utilisation de pesticides (Basse-Autriche, Val Venosta, Valais ). Nous avons observé en particulier les impacts de la sylviculture intensive sur le paysage, avec de nombreuses coupes à blanc et la présence de grandes routes forestières (p.ex. en Basse-Autriche, en Styrie). Mais nous avons aussi vu de nombreuses forêts naturelles et des réserves naturelles forestières (p.ex. Dürrenstein, Val Müstair , Valle Varaita). La situation de l’agriculture de montagne varie beaucoup d’un pays à l’autre et d’une région à l’autre. Elle a presque complètement disparu dans de nombreux territoires des Alpes occidentales françaises et italiennes, entraînant l’enfrichement du paysage rural (p.ex. Maurienne , Valle Varaita, Valle Maira, Valle Stura). Dans certaines parties de l’Autriche, du Tyrol du Sud et de la Suisse nous avons en revanche trouvé une agriculture de montagne dynamique. Mais là aussi, on observe une dévalorisation croissante du paysage liée à la progression de la forêt dans les terrains difficiles à exploiter (p.ex. vallée de Gastein, Val Pusteria , vallée d’Urseren). La politique agricole des pays alpins et de l’UE doit encourager l’écologisation de l’agriculture de montagne et viser à étendre la pratique de l’agriculture biologique à tout l’Arc alpin. La coopération entre l’agriculture et le tourisme doit être renforcée.
Populations et migrations : questions d’actualités
La population des Alpes croît rapidement, mais de nombreux territoires sont touchés par un dépeuplement massif ; et l’arrivée de réfugiés par l’Italie confronte les régions alpines à de grands défis. La population des Alpes a fortement augmenté au cours des 25 dernières années, même si les chiffres exacts ne concordent pas toujours. Nous avons toutefois constaté que la dynamique de la population varie beaucoup d’une région à l’autre. Alors que la population a fortement augmenté dans les bassins urbains (p. ex. Vienne, Zurich, Bolzano, Grenoble) et dans de nombreuses grandes vallées longitudinales des Alpes (p. ex. le Val Venosta , le Valais, la Tarentaise), la population stagne ou continue de décliner depuis 1992 dans les territoires enclavés (p.ex. la Mölltal, le Val Bregaglia, le Queyras , les vallées occitanes). La capacité d’influence politique des régions de montagne en est parfois affectée (p.ex. la province de Turin). L’âge moyenne a elle aussi évolué dans de nombreuses régions. Dans les territoires périphériques, nous avons par exemple rencontré beaucoup moins de jeunes qu’il y a 25 ans. Les Alpes sont une grande région marquée depuis toujours par l’itinérance et les migrations. L’arrivée massive en Europe de réfugiés fuyant les régions en guerre et en crise pose de nouveaux défis aux régions frontalières des Alpes. La population est souvent dépassée par l’arrivée de nombreux réfugiés, principalement en Italie. Dans plusieurs régions, nous avons rencontré des initiatives locales engagées dans l’aide aux réfugiés (p. ex. à Chiavenna, Briançon). De nouvelles stratégies et de nouveaux modèles adaptés à la situation de chaque pays et de chaque région doivent être mis en place pour freiner la forte croissance des villes alpines et redonner une nouvelle attractivité aux territoires périphériques en tant qu’espaces de vie et de travail. Dans le cadre de la politique européenne des réfugiés, les défis spécifiques auxquels sont confrontées les régions frontalières périphériques doivent être pris en compte. Des aides financières et techniques sont nécessaires pour que les communes de montagne souvent mal dotées financièrement puissent assurer l’intégration des nouveaux arrivants.
L’espace alpin peut être façonné de manière plus soutenable dans les 25 prochaines années, avant qu’un autre groupe n’entreprenne une nouvelle traversée des Alpes. Dans les Alpes nous avons trouvé de nombreuses ressources naturelles intactes : des paysages naturels et des paysages ruraux traditionnels, des lieux de vacances, des ruisseaux, des rivières même s’il n’existe pas une volonté politique en ce sens, ces ressources peuvent être protégées et utilisées de façon soutenable grâce à des stratégies et des mesures adaptées. En revanche, le maintien à tout prix de structures et de concepts dépassés entièrement focalisés sur le tourisme de ski, le trafic individuel motorisé et l’agriculture industrielle n’est pas une recette d’avenir. Nous avons besoin d’idées innovantes et créatives proposées par les locaux et les nouveaux arrivants, et devons leur donner l’espace nécessaire pour se développer. Nous avons observé plusieurs exemples encourageants, par exemple dans la Ramsau en Allemagne et dans le Val Poschiavo en Suisse. Les propositions de nos jeunes compagnons de route du projet « whatsalp youth » vont elles aussi dans ce sens.
L’équipe de whatsalp Christian Baumgartner Dominik Siegrist Harry Spiess Gerhard Stürzlinger »
Par Guillaume Chassagnon
Amoureux des montagnes, des hommes y vivant. j'aime les parcourir, les photographier, les découvrir et donner envie de les fréquenter. Sac à dos, livres et appareil photos sont mes outils quotidiens. Je travaille aussi pour de la presse quotidienne pour notamment montrer le dynamisme culturel et associatif de mon territoire. A bientôt sur les sentiers, autour d'un bon verre de vin, d'un plateau de fromage ou dans une librairie! Et à la fac d'Avignon of course
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