Egypte : Suivez la guide !
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Depuis maintenant dix ans, Amira Riad fait découvrir aux visiteurs étrangers les merveilles de son pays. Au départ, c’est pour répondre à un véritable « appel intérieur » que cette mère de famille s’est formée au métier, désireuse de faire partager à ses hôtes la profondeur et la pertinence de la philosophie des Anciens d’Egypte. Dans un pays dont elle sait qu’il représente pour beaucoup LE voyage d’une vie. Rencontre avec une passionnée passionnante…
VA : Depuis combien de temps êtes-vous guide ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce métier ?
Amira Riad : J’aime dire que j’ai eu deux vies. La première de simple mère de famille, puis, depuis dix ans, celle d’une véritable ambassadrice de son pays et de sa culture. Tout a commencé lorsque j’aidais mon fils à faire ses devoirs. J’ai redécouvert à ses côtés la fabuleuse richesse culturelle et intellectuelle que nos Anciens nous avaient laissée en héritage et j’ai ressenti un véritable appel intérieur… il fallait absolument que je devienne le messager de ces trésors, que je les fasse découvrir au plus grand nombre. C’est ainsi que je me suis moi-même remise aux études : trois ans, pour devenir guide historique. Puis, après avoir fait ce métier quatre années de manière classique, j’ai découvert la philosophie ancienne, profonde, qui sous-tend cette formidable culture. J’ai alors continué d’apprendre et d’approfondir pour transmettre les grandes idées humanistes et spirituelles de l’Egypte ancienne.
VA : Quels sont les côtés difficiles et les côtés plus plaisants du métier ?
AR : Bien sûr, rencontrer des gens du monde entier, échanger avec eux et établir avec certains une véritable relation constitue l’un des grands bonheurs de ce métier. Mais moins encore que de voir s’installer sur les visages la surprise, l’admiration et l’émotion lorsqu’ils découvrent certaines merveilles locales. Concernant les côtés moins plaisants, il y a ces mille petits problèmes pratiques et inattendus que tout guide est amené à régler au quotidien et que l’on ne surmonte sans stress qu’avec une longue expérience du terrain. Enfin, personnellement, je ressens réellement comme le poids d’une certaine responsabilité dans l’accomplissement de ma mission ; ce n’est pas juste un job. Je suis là pour transmettre des choses que je trouve importantes et qui peuvent l’être pour d’autres aussi, nous en reparlerons…
VA : Qu’est-ce que vous aimez faire découvrir aux visiteurs par-dessus tout ?
AR : La profondeur de la philosophie des anciens penseurs égyptiens, à travers notamment les témoignages qui nous restent de cette culture : la grande pyramide et l’entrée de la chambre funéraire nord par exemple. La vallée des Rois qui donne de bons repères sur le niveau artistique de l’époque ; les temples d’Abidos et Damdara ; Abou Simbel bien sûr qui offre un intérêt à la fois historique et spirituel et enfin le Sinaï qui permet de sentir l’atmosphère spirituelle de l’époque de Moïse. Mais, quel que soit le lieu, c’est l’empreinte et le sens de la civilisation unique qui se tient derrière qui importe le plus.
VA : En plus de ce qu’ils voient de merveilleux, qu’essayez-vous de transmettre de votre pays aux visiteurs ?
AR : Les anciens Egyptiens représentant d’une certaine façon les ancêtres de l’Humanité – qui inspirèrent entre autres les grands penseurs grecs – il me parait important de transmettre leur point de vue sur les rapports de l’Homme et du cosmos. Nos Anciens se faisaient une idée très précise de l’organisation de l’univers : ce qui se trouve dans le ciel, ce qui se trouve sur terre, et comment établir une relation éternelle entre les deux. Notamment en construisant certains temples dont on remarque qu’ils se trouvent tous aux mêmes endroits, depuis la nuit des temps… J’essaie de faire comprendre que derrière ces témoignages de pierre extraordinaires, se tient une conception du monde non moins fantastique qui leur a donné naissance…
VA : Quels points d’intérêt les visiteurs préfèrent-ils en général ?
AR : Le plateau de Gizeh et ses pyramides, Louxor, le temple d’Isis où il est beaucoup question de magie et de médecine, et puis la vallée des Rois, bien sûr. Les Français constituant un public particulièrement passionnés, ils poursuivent souvent jusqu’à Abou Simbel, Fayoun, la vallée des Baleines… Surtout, ils empruntent de plus petits bateaux pour circuler, les dahabiyas, lesquelles permettent d’accéder à un certain nombre de sites moins connus, inaccessibles aux gros bateaux. Ensuite, selon leurs centres d’intérêt, les gens vont ajouter telle ou telle visite comme celle des carrières où l’on découvre un temple construit pour que les ouvriers puissent s’adonner à leur religion sans perdre trop de temps. Ou bien les visiteurs curieux voudront jeter un œil sur la montagne des Chaines où sont actuellement effectuées des fouilles sur les derniers pharaons…
VA : Qu’est-ce que l’on ne voit pas en général et qui est vraiment dommage ?
AR : L’Osirion d’Abidos (la tombe d’Osiris) accessible seulement sur demande spéciale et où les parois gravées supportent des textes d’une grande portée. Abou Sir où se trouvent les pyramides de la 5ième dynastie et le premier obélisque jamais imaginé par nos ancêtres ; un moment clé de notre évolution. Divers temples de la rive gauche également ou encore la tombe de Ramsès 3 qui contient un texte fondamental, « Le chemin de la lumière », plus connu sous le nom de « livre des morts » et dans lequel, via 12 chapitres, il est expliqué à la personne qui va quitter cette vie quel chemin suivre dans l’au-delà pour parvenir à coup sûr à la Lumière… Etonnant.
VA : Selon leur origine, les visiteurs ne sont pas intéressés par les mêmes choses, non ? Quelles différences remarquez-vous entre les différentes nations ?
AR : Il y a le flux des touristes qui sont là comme ils seraient ailleurs et qui se contentent de suivre le mouvement et puis, les visiteurs véritablement passionnés, de toutes nationalités en fait, qui, au cours de leur vie, ont été amenés à se cultiver, s’intéresser à l’Histoire et à l’évolution du monde. A la spiritualité aussi, et pour qui la visite de l’Egypte n’est pas tout à fait un voyage comme les autres, mais un « rendez-vous » plus important. Ce, d’autant que ce qui caractérise notre tourisme est qu’il attire peu une clientèle « loisirs » mais plutôt culturelle. 80 à 90% de nos visiteurs étant des adultes, d’au moins 40 ans. Le regard qu’ils portent sur le monde, la vie, l’univers n’est donc pas le même…
VA : Dans certains pays très touristiques comme l’Italie, l’Espagne ou même la France, les gens commencent à en avoir assez des touristes, disant que c’est « trop ». Est-ce un peu le cas chez vous aussi ?
AR : Non, car en dépit du fait que nous soyons une destination très touristique (plus de 10 millions de visiteurs en 2018 et l’on devrait retrouver bientôt notre chiffre historique de 12 millions), les centres d’intérêt sont éparpillés dans tous le pays et accessibles par des moyens de locomotion divers (air, terre ou fleuve). Ce qui fait qu’il y a très peu d’embouteillages par exemple ou de caravanes de cars collés les uns aux autres. La pression locale sur l’habitant n’est jamais considérable et le tourisme tellement important pour notre économie que tout le monde ici souhaite que les choses se passent au mieux avec les visiteurs.
VA : quel est votre meilleur souvenir en tant que guide ?
AR : On peut dire « vos » meilleurs souvenirs et j’en suis ravie. Sans chercher rien d’extraordinaire, évoquons simplement le nombre de personnes – des femmes le plus souvent – qui se sont mises à pleurer au spectacle des pyramides. Un nombre vraiment important. Cela m’émeut toujours autant, au point que je ne peux alors m’empêcher de les embrasser. On imagine mal en réalité le nombre de personne pour lesquelles ce voyage en Egypte représente quelque chose de très important ; LE voyage de leur vie souvent, la réalisation d’un rêve d’enfant ou d’un désir porté toute leur vie. A un niveau plus anecdotique, il m’est arrivé récemment quelque chose d’amusant. Je faisais visiter le temple d’Horus à deux femmes d’affaires canadiennes. Nous empruntions l’escalier par lequel les prêtres, à chaque nouvel an, montaient les statues pour les exposer au soleil et les « charger » en énergie pour l’année. Les parois, richement ornées, représentent précisément ces prêtres en action. « Mais il y a également un prêtre assis sur les marches » me souffle l’une des deux femmes en me retenant par le bras. « Un prêtre sur les marches… Comment cela ?! ». « Je suis medium, explique à ce moment la femme, et je vois très bien, là, devant nous, un prêtre assis sur les marches… ». Elle s’arrête alors de parler et sort un appareil photo de son sac ; « il est extrêmement sensible » explique-t-elle. Elle prend alors une photo des marches vides et lorsqu’elle me la montre, je suis bien obligée d’apercevoir une forme verte n’existant pas du tout à l’œil nu ! No comment…
VA : Avoir un « bon » guide qui vous transmet avec passion l’amour de son pays et vous ouvre à la réalité intime d’un endroit est un élément essentiel dans la réussite d’un voyage, non ?
AR : Définitivement. Et si vous participez à un voyage en groupe où il faut, de plus, canaliser et harmoniser les élans de chacun, on peut même dire que de la qualité du guide va représenter pas loin de 100% de la réussite de votre voyage. Par chance, la grande majorité des guides de ce pays sont des experts, non seulement des tour-leaders possédant les trucs et astuces qui facilitent votre périple physique, mais des ambassadeurs culturels conscients de l’importance, pour vous, de cette rencontre avec leur pays. Conscients d’abord de l’unicité de la civilisation qu’ils font découvrir : pourquoi, comme en Chine ou en Inde, pays où la civilisation a surgi de grands fleuves, voit-on se développer ici une telle civilisation. Quel est son rapport à la nature ? Au cosmos ?… C’est là qu’il est important d’être accompagné d’un guide qui vous ouvre à la dimension profonde, essentielle, mystique de la civilisation égyptienne. Qui en possède quelques « secrets » et ne reste pas en surface. Car je pense personnellement que beaucoup de personnes ont une sorte de rendez-vous spirituel avec l’Egypte, venant répondre chez eux à un véritable appel du cœur, de l’âme…
VA : Vers quelle destination aimeriez-vous, vous, vous laisser guider et pourquoi ?
AR : Je suis déjà venue trois fois à Paris, mais c’était encore comme guide, pour mes compatriotes. Je n’en ai pas vraiment profité, donc. J’aimerai bien m’y promener, seule, et également, de la même façon, dans Rome, histoire de « sentir » ces villes anciennes. Quant à un voyage guidé, il serait comme je l’ai indiqué, tourné vers l’Inde ou la Chine, civilisations très anciennes, proches de la nature, et nées, comme la nôtre, de la présence d’un grand fleuve.
Par Jerome Bourgine
Ecrire et voyager. Voyager et écrire... Depuis 50 ans.
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