Les « casas particulares » de Viñales
A l’ouest de La Havane, la vallée de Viñales déroule un paysage fantasmagorique, un chapelet de collines de karst qui se déploient tout autour de la ville sur la terre rouge si fertile où pousse le tabac, le maïs, et les nombreux potagers que cultivent les guajiros, paysans du cru. Depuis une dizaine d’année, ces derniers ont vu leur vie changer peu à peu avec l’introduction d’une nouvelle espèce : le touriste !
Quand les touristes poussent plus vite que le tabac…
A quelques 150 km de La Havane, Viñales c’est la campagne après la ville mais aussi une plongée au cœur d’un des grands ensembles karstiques que compte la planète tel Guilin en Chine du sud, la baie de Halong au Vietnam ou plus proche de nous Montpellier-Le-Vieux dans le sud de la France. A Viñales, ces buttes de karst en forme de dôme prennent le nom de mogotes et après le tabac, ont fait la fortune de la ville, qui a vu peu à peu des milliers de touristes envahir ses rues tranquilles. Evidemment, au début, les locaux n’étaient pas vraiment habitués à ces hordes de visiteurs sillonnant rues et sentiers. Mais très vite, ils s’y sont fait. Ils leur ont trouvé des occupations, ballades à cheval, randonnées en campagne, visites des plantations, des grottes, baignades, flâneries dans les fincas ; et comme il fallait aussi les loger – ils ont ouvert leurs portes, leurs maisons, les fameuses « casas particulares »…
Les « casas particulares » se reproduisent comme des petits pains
Aujourd’hui, dans la ville, les « casas particulares » ne se comptent plus… il y a bien quelques hôtels sur les hauteurs mais la majeure partie des touristes ont fait le choix de séjourner chez l’habitant, une solution économique mais aussi plus chaleureuse, car c’est toute une expérience que d’être au cœur de la vie cubaine. Elle permet des échanges privilégiés, de gouter à la cuisine paysanne, et de profiter aussi du charme de ces maisons de bois coloniales, souvent admirablement restaurées avec leurs porches et leurs vérandas à colonnes. Et puis, il n’y pas vraiment d’autres choix, à l’image de tout un pays qui s’est peu à peu ouvert au tourisme, Viñales a du trouver un moyen de loger ces milliers de visiteurs. En 2011, face à une capacité hôtelière limitée, Cuba décide de libéraliser les chambres d’hôtes. Toute la région respire. Reste que pour obtenir une licence afin de pouvoir louer en toute légalité, il faut payer entre 150 à 300 CUC*, auxquels s’ajoutent chaque mois une « taxe gastronomique » mensuelle – 100 CUC par chambre – et un impôt annuel sur les bénéfices. Pas évident pour tous. Certains y arrivent, d’autres tirent la langue, quand le pays se remplume…
Pas facile d’être en équilibre sur un fil tendu…
Un célèbre homme politique chinois disait de la transition vers l’économie socialiste de marché… : « On a ouvert la cage, l’air frais y est entré, les mouches et les moustiques aussi ». Alors, pas facile de faire la part des choses tant ces dernières années, l’afflux massif de touristes et la multiplication exponentiel des « casas particulares » ont bouleversé l’écosystème de ce petit coin de nature. Guide locale dans la vallée de Viñales, Daily en convient : « Après des années de privation, le tourisme a permis de souffler, il a crée des emplois dans la vallée, permis d’augmenter le niveau de vie de la majorité des familles. En revanche, il a aussi engendré des effets pervers. Par sa faute, les prix ont augmenté et à présent, certains ne peuvent plus suivre. Quant aux relations entre les gens, elles sont moins sereines, il y a de la jalousie, et même certaines familles qui se divisent à cause de l’argent, des clients… ». Pour l’heure, Viñales n’est pas totalement tombé dans la marmite du tourisme. Les gens vivent de leur travail, continuent à cultiver la terre, et s’ils louent une chambre, ils n’ont pas tout abandonné pour le tourisme – car malgré tout, la concurrence est rude – et il n’y a qu’à avoir les dizaines de paysans se précipiter à l’arrivée des bus touristiques – le Viazul qui arrive de La Havanne par exemple – avec force panneaux pour vanter leur casas particulares…
Alors, certes, les devises du tourisme ont permis de restaurer nombre de maisons, de les rendre plus résistantes aux typhons, mais la solidité des constructions prend parfois le pas sur leur identité, exit les « maisons de bois » aux toits en feuilles de palme. Comme partout, la roue tourne, le béton et les tuiles rouges sont désormais légions. De même, le tourisme a permis de développer la créativité, la dynamique des initiatives privées permet de diversifier l’offre, à l’image des nouveaux restaurants qui se sont créées dans la grande rue, mais Daily déplore la perte de certaines valeurs traditionnelles : « Avant, dans ma famille, quand on tuait un cochon pour la fin de l’année ou pour le 26 juillet**, on en donnait toujours un morceau aux voisins, on échangeait. Aujourd’hui, c’est fini. Avec l’enrichissement général, on tue plus souvent des bêtes, et on ne peut pas donner à tous à chaque fois. »
La pression monte
Et la pression touristique ne cesse de monter, les prix avec, et les effets induits itou. Pour l’heure, une chambre en « casas particulares » coûte entre 20 et 30 CUC, tout dépend de la période. Les prix ont doublé en dix ans. Daily : « Les touristes ont commencé à venir en 1995, puis Vinales a été inscrite sur la liste du patrimoine de l’Unesco. Cela a crée un appel d’air. Aujourd’hui, le tourisme est un bassin d’emploi pour toute la région de Pinar del Rio ». De fait, dans la vallée, plus de 800 « casas particulares » sont à louer. Et chaque semaine il s’en ouvre de nouvelles. Certains séjournent une semaine, voire un mois, d’autres se contentent de passer. Les Français et les Allemands adorent le site. Les asiatiques ne sont pas encore très présents. Mais les choses évoluent. Déjà, certains jeunes ont arrêté de travailler pour se consacrer à leur clientèle touristique. Pour l’instant, cela se passe bien, mais si les touristes ne viennent plus, ils se retrouveront sans emplois.
D’ores et déjà, sur les forums internet où les voyageurs s’échangent des informations, certains commencent à pointer quelques abus : « Pratiquement tous les villageois ont ouvert leur casa, à un point qui selon moi dénature complètement la ville. Et on trouve tout et n’importe quoi, pourvu qu’elles aient l’agrément, elle se fiche de savoir si l’hôte est satisfait. Nous avons changé de casa car la notre était au bord de la route avec du bruit et en plus, c’était la chambre du propriétaire car la « vraie » casa était déjà louée par ailleurs… »
Difficile d’imaginer le futur de Viñales dans un pays tel Cuba, où rien ne se passe vraiment comme ailleurs. Pour l’heure, l’expérience reste forte et attachante, mise à part les petits tracas de quelques voyageurs. Et tout le monde n’est pas non plus prêt à vendre son âme au touriste. Daily : « Je connais des gens qui ont changé, d’autres non. C’est souvent un problème d’éducation et de personne. Certains louent des chambres pour manger. D’autres ont des projets culturels pour enseigner aux enfants la danse, le théâtre, et pour eux, il est important de maintenir la culture, de faire le lien avec la jeunesse. On a besoin d’argent, c’est un fait. Mais il faut être centré, c’est le plus important. »
* Peso cubain convertible
**La date du 26 juillet c’est une vraie célébration à l’esprit révolutionnaire cubain et tout le pays se fait beau avec des consignes révolutionnaires. L’attaque à la caserne Moncada dirigé par Fidel Castro le 26 juillet de 1953 c’est une des dates les plus importantes du pays.
————– ALLER PLUS LOIN ————–
Lors de nos échanges à Cuba, Daily m’a parlé d’un projet culturel : « Ventana al vallé » – « Fenêtre sur la vallée », qui est mené par des personnes éduquées de la vallée qui ne veulent pas perdre les traditions culturelles de notre région.
Voir : http://www.ventanaalvalle.org/
Contacter Daily pour découvrir Vinales avec elle : dailypotter@nauta.cu ou 58 34 29 22.
Ballades à cheval avec le meilleur destrier de la vallée : Carlos
Carlos Manuel : 54 30 25 58
Casa : 01 52 23 35 53
La casa où séjourner / Casa de Manolo. 48 68 12 19 & Mobil : 52 70 07 8
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Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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