De l’empreinte du numérique au Green IT du tourisme
Ça fait longtemps que je m’intéresse au numérique responsable entre écogestes et analyse de cycle de vie, empreinte carbone du digital, … Pas facile pour une non-geek comme moi ! Mais des experts de la communication responsable prennent la parole et MERCI !! Retour sur les ateliers dédiés au numérique responsable des 18ème rencontres du etourisme de Pau : Sébastien Répéto, de l’agence My Destination (qui a été le 1er community manager du portail Voyageons Autrement <3) et Cédric Chabry de l’agence Think My Web. Ils viennent de lancer KAIRN, agence spécialisée dans les stratégies IT for good. Décryptage…
Derrière nos écrans de fumée
Les impacts négatifs du numérique sont multiples, il s’agit avant tout de les identifier pour pouvoir créer des opportunités correctives et vertueuses pour nos métiers.
POLLUTION
Nous savons que le secteur touristique représente 11% de GES selon une étude de l’ADEME de 2021. Le numérique (hors tourisme) représente quant à lui, 2,5% de GES (source : ARCEP, 2022), soit presque 20 millions de tonnes d’équivalent CO2, avec une particularité de croissance exponentielle de ces émissions. Cette pollution du numérique se répartit entre fabrication de nos outils digitaux (79%) et l’utilisation de ces outils (20%), il faut donc raisonner en analyse de cycle de vie du produit et pas uniquement consommation finale (extraction de matières premières, fabrication, transport, distribution, utilisation, fin de vie et valorisation).
ÉTHIQUE & MAL-ÊTRE
On peut noter le cadre éthique du numérique avec une réglementation qui s’endurcit grâce à la RGDP mais qui parait peu suffisante pour protéger nos données (même si pour nous les pros, c’est une aubaine toute cette data sur nos visiteurs).
Une déontologie parfois « limite » quand on constate le nombre de placements de produits via les contenus sponsorisés et autres pop-up publicitaires.
Autre mal lié au numérique : le bien-être, je dirai même la dictature du bonheur (en référence au livre Happycratie d’Edgar Cabanas et Eva Illouz) à l’heure où les réseaux sociaux prônent le beau et le branché, les spots « instagrammables », la vie idéale des influenceurs, l’addiction du like ou la quête d’une communauté grandissante de followers. Ce mal derrière nos écrans de fumée pour reprendre le titre d’un documentaire de Netflix sur le côté obscur des réseaux sociaux questionne notre rapport au numérique et l’usage que nous en faisons au quotidien.
Ces effets pervers ont un impact direct sur nos métiers : œillères sur la e-réputation, haine déferlante sur les réseaux – les fameux « haters » de Twitter, saturation et dégradation de certains sites patrimoniaux à cause d’une surfréquentation subit et liée à certains posts social média, …
PROGRÈS SCORE DE KAIRN
Afin de rendre compte de nos impacts avant d’agir, Kairn a créé son indicateur et outil pour analyser et piloter sa performance numérique au service d’un tourisme plus responsable. Différents éléments sont pris en compte pour calculer cet indice :
- Performance numérique : site, réseaux sociaux, publicités
- Engagement éditorial : prise en compte des enjeux du tourisme responsable dans les prises de parole
- Green IT : pollution numérique
- Ethique : accessibilité, inclusion, respect de la vie privée
Plus de 100 critères pour créer cet algorithme traduite en étiquette allant de A à F. Je vous invite à lire le « Hors saison » de My Destination sur la présentation de leur indicateur d’empreinte carbone du digital dans le tourisme, prémisse de progrès score (travaillé en concertation avec l’ADEME, Carbone 4 et Green IT).
Vers une sobriété du numérique
Ah la sobriété ! Ce terme a le vent en poupe ces derniers temps mais trop souvent utilisé de manière désuète (la « sobriété subie » ne veut pas-t-elle dire « précarité imposée » ?). Je préfère me référer à la vision défendue par l’économiste Eloi Laurent (dans ses travaux sur la planification écologique) de satiété, du passage du « trop pour certains » à « assez pour tous », en référence notamment à la sobriété dans nos usages (consommation) particulièrement pertinente pour les questions sur le numérique. Comment pouvons-nous réduire l’impact carbone de nos outils numériques ?
ACCESSIBILITÉ DE NOS OUTILS
L’inclusion, toujours ce parent pauvre du tourisme même dans nos usages numériques ! En effet, comme l’obligation d’accessibilité des ERP, nos supports de communication se doivent d’être inclusifs en atteste l’article 47 de la loi 2005 sur le handicap qui impose aux « services de communication publique en ligne des services de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics qui en dépendent d’être accessibles aux personnes handicapées, tous handicaps confondus ». Cédric Chabry nous avait brossé un état des lieux, des obligations et opportunités d’un numérique accessible dans une chronique du blog etourisme.info et en référence aux travaux du cabinet spécialisé Access42.
ÉCOCONCEPTION DE NOS SUPPORTS DIGITAUX
Un site web vit en moyenne 7-8 ans (avec des mises à jour évidement), c’est court pour « amortir » les investissements nécessaires à la refonte d’un site – environ 50 à 100 K € (accompagnement stratégique, création de site, stratégie et production de contenus) aussi faut-il bien penser à moyen terme dès la rédaction du cahier du charges et se poser les bonnes questions : pourquoi refaire son site ? (réducteur lorsqu’il s’agit d’une nouvelle patte d’un élu souhaitant un beau et nouveau site pour son OT, site qui sera probablement écarté, sans être supprimé – stocker dans un cloud oublié, par son successeur politique)
- Privilégier des agences spécialisées et engagées dans un numérique responsable (vous en aurez déjà une en tête et spécialisée dans le tourisme : Kairn) ;
- Créer des partenariats avec des entreprises du Green IT : hébergeurs et datacenters écoresponsables, logiciels libres comme « Dégooglisons internet », anti GAFAM (on dit MAMAA maintenant pour Meta, Alphabet, Amazon, Microsoft et Apple)
- Opter pour une simplicité et frugalité fonctionnelle et visuelle dans l’ergonomie et arborescence de son site ;
SOBRIÉTÉ ÉDITORIALE
Ça devrait être la base de nos stratégies de communication et de promotion !
- Une communication cohérente et en phase avec vos valeurs : si vous avez l’ambition de devenir leader en matière de tourisme durable, pensez-y à 2 fois quand vous faites la promo d’une nouvelle ligne low-cost près de chez-vous !
- Un contenu adapté aux besoins de vos cibles et une communication raisonnée : moins mais mieux (limitez les contenus superflus et privilégiez les mises à jour) ;
- Faites avec vos moyens et mutualisez : si vous n’avez pas de community manager, limitez vos médias ; si vous avez un petit budget promo, profitez d’un shooting photo pour créer des contenus vidéos ;
- Créez des contenus engagés pour inciter la prise de conscience et le passage à l’action (ex : initiative sympa de WWF à relayer pour protéger les sites naturels) ;
- Etc.
ÉCOGESTES DU QUOTIDIEN
Il existe plein de conseils pour limiter l’impact du numérique au quotidien :
- Lire les billets de Sophie Duprat Caouré sur les écogestes et démarches écoresponsables dans le numérique ;
- L’ADEME a édité un guide pour adopter des bonnes pratiques numérique ;
- Prôner la philosophie des 4R en référence à Zero Waste : refuser, réduire, réutiliser, recycler en privilégiant du matériel reconditionné, suivre l’indice de réparabilité (qui s’inscrit dans la loi pour l’économie circulaire et la lutte contre l’obsolescence programmée)
- Mes petits tips à moi : nettoyer ma boite mails et vider ma corbeille régulièrement (utiliser CleanFox), suivre mes conso de navigation avec Carbonalyser, utilisation de moteur de recherche éthique comme Ecosia, acheter du matériel numérique de seconde main (ex : Back market), paramétrer mes usages (veille rapide, éclairage sombre, économie d’énergie, …).
DIGITAL DÉTOX
Et si la déconnexion était la clef de toute sobriété numérique ? Probablement oui, mais il nous fera accepter de renoncer à certaines missions dans nos organisations car ça aurait un impact direct sur nos conditions de travail (vous vous verriez travailler sans ordinateur et internet plus de 48h ?). Le digital détox fait certes des adeptes dans les idées d’escapades « reconnexion avec la nature » mais au niveau pro, on est plutôt à l’opposé avec la tendance au digital nomade « champion du réchauffement climatique » comme nous le démontre Bon Pote dans un de ses articles.
Allé, petite pointe d’humour paradoxale, une série Netflix (d’où le paradoxe) : Détox : 2 copines qui font le choix de se sevrer pendant un mois de tout objet informatique et de leurs usages (téléphone, ordinateur, tablette et toutes les applications).
Réduire l’impact carbone des outils numériques, vous avez quelques billes pour prendre le virage de la transition. Le digital, certes est impactant, mais peut aussi être une opportunité pour réduire les impacts du tourisme par une information adaptée (et accessible) plus qu’une communication excessive. Clin d’œil à nos amis Les Oiseaux de Passage, faisant part d’un projet de recherche sur la dénumérisation du voyage et les travaux de Prosper Wanner sur « l’émergence de plateformes coopératives pour répondre à la « disruption » de l’industrie touristique par les plateformes d’intermédiation numérique », travaux à suivre donc, en attendant la soutenance de thèse de Prosper le 30 novembre 2022 😊
Aller plus loin
- Intervention de Sébastien et Cédric aux ET18 :
- Kairn https://projet-kairn.org/
- L’exemple de site frugal et éco désigné de My destination
- Blog Green IT : https://www.greenit.fr/
- Projet TAPAS sur la dénumérisation du voyage
- Ressources de l’ADEME sur le numérique responsable
- Actualités, rapports et MOOC de l’INR (institut du numérique responsable) https://institutnr.org/
Par Caroline Le Roy
Bretonne et fière de l'être, j'ai toujours été sensible aux enjeux du développement durable tant dans mon bénévolat associatif que sur mon rapport à la nature. J'ai pu évoluer dans le réseau des parcs naturels régionaux où j'ai eu la chance d'accompagner des acteurs touristiques du changement. Ma sensibilité a rapidement évolué en engagement puis en militantisme. Mon défi professionnel est de développer un tourisme respectueux de la planète et des hommes grâce à l'accompagnement et le conseil aux professionnels sur les nouvelles tendances touristiques et sur les attentes des clientèles toujours plus exigeantes. Enfin je souhaite faire prendre conscience d'une conciliation possible entre transition environnementale et besoin client appliquée au tourisme et au quotidien. Je suis actuellement en préparation d'une thèse doctorale sur le vaste (mais non moins passionnant) sujet de la performance environnementale du tourisme.
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