Urbex et street art : voyage au pays d’artistes engagés
Thèmatique : Acteur privé Éducation Insolite Itinérance Monde Portrait
L’art urbain est prétexte à voyager pour certains, à photographier pour d’autres, et à s’exprimer dans un langage international pour les artistes. Le street art, outil esthétique et visuel pour faire passer des messages, est présent aux quatre coins du globe. Certains artistes le traversent pour peindre, d’autres pour immortaliser oeuvres et lieux : en parallèle, certains voyageurs passent systématiquement par la case « urbex » ou musée à ciel ouvert lors de leurs pérégrinations. En compagnie des artistes Jonk et Dan23, nous avons fait un petit tour d’horizon de ce que représente le street art engagé aujourd’hui, et quels sont ses liens avec le voyage.
Quand le street artiste s’engage pour l’écologie avec Dan23
Initialement spécialisé dans les portraits liés au milieu musical, le graffeur Dan23, originaire de Strasbourg, a eu un véritable déclic le jour où, il y a cinq ans, son fils décide de ne plus manger de viande : « J’ai commencé à me renseigner, à comprendre le lien entre l’industrie agroalimentaire et l’écologie, puis entre l’écologie et tout le reste… Je me suis pris un sacré coup sur la tête, car j’ai réalisé que j’y connaissais rien, et ai vite compris qu’on était dans une sacrée mouise ! Je suis parti du premier sujet qui m’a interpellé, à savoir le déclin des abeilles, et de là, j’ai tiré le fil et vu tout ce qu’il y avait derrière… Pesticides, déclin des insectes, disparition des espèces… N’ayant pas voulu sombrer dans l’éco-anxiété, j’ai décidé d’agir, à ma manière.«
Pour Dan23, le virage vers l’art engagé se fait sans ménagement. L’artiste se détourne des humains et de la musique pour les animaux, et pare ses fresques de messages invitant à réagir. « A la base, le graffiti était mouvement d’insoumis, qui se levait contre les institutions… Avec les années, il est davantage devenu de la déco, mis à part quelques grands noms comme Banksy. Je constate que la réflexion y est de moins en moins présente. Depuis que je parle d’écologie, on ne m’invite plus dans les salons ou festivals ! Le message écolo ne plaît pas, d’autant que j’ajoute des punch-lines qui poussent à la rébellion, et rebutent donc encore plus (rires) »
« Je réalise souvent que les gens ne manquent pas de bienveillance ou d’envie, mais plutôt d’informations«
Devenu végétarien, se passant de télévision, s’intéressant à l’auto-construction ou à la permaculture, s’investissant dans la création d’un tiers-lieu à côté de Strasbourg, Dan23 tente de semer des graines et d’être fidèle aux valeurs qu’il défend. Au-delà de ses fresques, l’artiste a créé le site Soulution, un projet qu’il souhaite à la fois pédagogique et artistique. Il également à l’origine d’un livret papier, intitulé « Un autre monde est (im)possible », qu’il distribue au gré de ses pérégrinations, et en particulier au sein des écoles.
« Je ne me suis jamais autant ouvert au monde : je lis, je m’informe, je fuis le greenwashing. J’essaie de vulgariser mes propos afin de toucher le plus de personnes possibles. Je réalise souvent que les gens ne manquent pas de bienveillance ou d’envie, mais plutôt d’informations et de possibilités de se détacher des messages qu’on nous martèle à longueur de journée. Aujourd’hui, les écolos sont devenus des terroristes ! Médias mainstream et politiques ont réussi à inverser la normalité… En parallèle, beaucoup de gens rechignent à se priver d’une partie de leur confort personnel, que l’on considère souvent comme acquis, alors que c’est juste une chance incroyable et qu’on ne sait pas combien de temps cela va durer… Il existe une inertie générale dans laquelle les dirigeants essaient de nous endormir, et qui convient à beaucoup par peur de se réveiller. Si je parviens, à ma toute petite échelle, à faire réagir quelques personnes, c’est déjà formidable ! »
« Les animaux disparaissent partout sur la planète, la dégringolade n’a pas de frontière »
Avec ses animaux, locaux comme exotiques, Dan23 nous invite à traverser le globe à travers ses fresques. Colibri, abeilles, tigres, girafes… L’artiste a su s’approprier avec un talent et une force incroyables les expressions et particularités des animaux. Les peintures de Dan23 transmettent un message universel, comme celle récemment réalisée dans le cadre de l’arrestation et emprisonnement de Paul Watson. « Les animaux disparaissent partout sur la planète, la dégringolade n’a pas de frontière, conclut Dan23. En cela, je pense que le street art peut être un beau moyen de faire passer un message, à la fois esthétique et compréhensible par tous.«
Jonk : le voyage comme source de réflexion
Originaire de la région parisienne, Jonk a d’abord commencé sa carrière en tant qu’ingénieur. Passionné d’art urbain et voyageur dans l’âme, ses premiers liens avec le street art ont d’abord été ceux qu’un touriste curieux, revenant toujours de ses voyages avec un dossier photo entièrement consacré au street art : « J’ai longtemps parcouru le monde en mode stop, vélo, auberge de jeunesse et sac à dos, avec une passion, déjà, pour la photographie. Entre 18 et 28 ans, j’ai eu la chance de beaucoup voyager, avec de longues périodes en Amérique du sud et en Asie du sud-est. Que ce soit à Paris, au Brésil ou à Bali, je parcourais les rues à la recherche de graffitis et capturais sur pellicule ceux qui me plaisaient le plus. J’ai découvert les lieux abandonnés à ce moment-là, en réalisant que les graffeurs, s’ils voulaient vraiment produire quelque chose de beau, de travaillé, se rendaient dans des lieux à l’abri des regards. »
Jonk commence donc à fréquenter des friches, des lieux à l’abandon : tout d’abord pour y chercher des graffitis, puis pour réaliser que les lieux en eux-mêmes lui parlaient. « Au fur et à mesure, je me suis mis à photographier les lieux autant que les graffitis, puis les lieux seuls ont fini par prendre le dessus… Jusqu’à en devenir mon métier en 2018. » L’urbex, exploration urbaine consistant à visiter des lieux construits puis abandonnés, devient la spécialité de Jonk qui, au-delà de la simple visite, immortalise les marqueurs du passage du temps avec la nature qui reprend sa place.
« Voyageur dans l’âme, j’ai vraiment fait le tour du globe, traversant l’Europe, visitant Cuba, le Sri Lanka, l’Inde ou la Bolivie… Mais, à force, j’avais l’impression de reproduire toujours le même processus, de voyager toujours de la même façon : l’urbex m’a donné une nouvelle raison de voyager et de repartir à zéro. Je me suis concentré sur des pays qui tendent à être oubliés, comme le Kazakhstan ou la Moldavie, avec toujours une longue recherche en amont sur les lieux à voir une fois sur place. »
Jonk a grandi armé d’une très forte conscience écologique, qui l’a influencé dans ses choix de destinations et ses modes de voyage. Ce sont ses convictions qui l’ont poussé vers une photographie qui fait sens et qui témoigne de l’impact de l’Homme sur la Nature. En 2020, il est le vainqueur du concours international Earth Photo, puis de celui de Environmental Photographer of the Year en 2022. Quel que soit l’endroit visité, quelle que soit sa place sur Terre, le constat que fait Jonk à travers ses clichés est toujours le même : l’homme construit, abandonne, et la nature reprend. « Je pense que la composante philosophique de mes oeuvres plaît autant que leur esthétique, explique Jonk. Je souhaite que mes clichés puissent rappeler que la nature est plus forte que nous. Nous devrions prendre conscience de ce que nous sommes à l’échelle de la planète et apprendre à enfin faire preuve d’humilité. Nous ne faisons que passer ! La nature était là avant, et sera là après nous. »
De par ses clichés dénués de toute présence humaine vivante, Jonk décentre l’Homme et l’évince du champ. Il ne reste de lui que des souvenirs tangibles, abîmés par le temps et, lentement mais sûrement, étouffés par la nature. Quel que soit le pays visité, le continent exploré, le constat est sans appel : l’homme n’est que de passage, et il ne faut que peu de temps à la faune et la flore pour se réapproprier des lieux autrefois vierges de toute vie humaine.
L’art urbain, qu’il soit créé ou photographié, reste un beau prétexte au voyage et, en lui-même, une source d’évasion. Sa force évocatrice en fait un merveilleux outil de revendication, que les artistes utilisent pour faire réagir et nous rappeler que, où que nous soyons, nous partageons et devons protéger la même planète…
Par Mélusine Lau
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