Sylvain Tesson, la reconquête de la liberté
C’est l’histoire d’un baroudeur intrépide qui chute d’un toit haut de huit mètres et qui s’en sort. Survivre oui, mais ensuite il faut recommencer à vivre. Un an après, comment Sylvain Tesson, nomade allergique au repos, va-t-il reprendre du poil de la bête ? En partant à pied sur les chemins oubliés de la France rurale.

Sur les chemins noirs ©Thomas Goisque
« J’étais tombé du rebord de la nuit, m’étais écrasé sur la Terre. »
Un avant-propos touchant et rempli d’humanité nous donne tout de suite le ton. Sylvain Tesson a très envie de respirer l’air pur, loin de celui des maisons de rééducation. On imagine le calvaire de ces quelques mois d’hôpital pour cet écrivain-voyageur qui a toujours souhaité échapper au renoncement des sédentaires. Il n’a plus à nous convaincre des vertus du voyage et de ses qualités d’explorateur, lui qui a sillonné depuis plus de vingt ans les chemins de l’Himalaya, de la Sibérie, les steppes d’Asie centrale, à vélo, à pied, à cheval et même en side-car…
Il se l’était promis « Si je m’en sors, je traverse la France à pied ». Du 24 août au 8 novembre 2015, Sylvain Tesson part du Mercantour, pour remonter jusqu’au Cotentin, en passant par le Massif central. Son itinéraire s’inspire d’un rapport gouvernemental français identifiant les zones de « l’hyper ruralité » du territoire, ces départements enclavés, abandonnés, à l’écart du développement urbain, ces chemins noirs. Il traverse la diagonale du vide, la France oubliée, rurale, celle des paysans qui ont façonné le territoire. Ce même territoire aujourd’hui de plus en plus marqué par la laideur et l’absurdité de l’aménagement, les zones périurbaines, les ZAC et les pavillons de banlieue qui s’étalent au pied des montagnes. Sa rééducation se déroule entre son rapport fusionnel à la nature et ses préoccupations de géographe.
Pour réaliser son périple, il s’appuie sur les cartes de l’IGN au 1/25000e, « cartes au trésor qui nous révèlent les chemins de traverse, des merveilles !». Géographe dans l’âme et passionné de géologie, son rapport au terrain est omniprésent, habilement alterné par des voyages au cœur de sa géographie intérieure. Sans jamais s’apitoyer sur son sort et sur son accident qu’il appelle « mon petit pépin de santé », il oscille entre courage et légèreté. Très diminué physiquement, il ne perd jamais de vue son objectif premier : aller jusqu’au bout pour retrouver ses forces.

Mon itinéraire à pied © Sylvain Tesson
Adepte du « Slow Travel » et de la marche, pendant son trajet en train le menant au départ de son périple, il s’étonne déjà : « Le TGV ? A quoi servait-il de voyager si vite ? » Lever le pied, prendre le temps, c’est la marche à suivre selon Tesson : voyager autrement, prendre nos pieds et nos cartes pour partir sur les chemins de traverse. « Pour peu qu’on lise les cartes, que l’on accepte le détour et force le passage ». Grâce à lui, on rêve de (re)-découvrir la France, d’aller à la rencontre de son territoire, de partir en rando’ et de dormir en bivouac.
Au détour des sentiers cachés, on assiste à plusieurs rencontres, atypiques, brèves et parfois cocasses. Un ermite qui n’accepte que le pain rassis et les livres, un grand type en treillis sur le plateau de Païolive, qui lui rappelle qu’il n’a pas encore retrouvé sa condition physique de jeune homme ou encore un groupe de cyclistes américains vers le Mont Ventoux qu’il traite d’animaux roses… Il reçoit la visite ponctuelle de sa sœur et de quelques amis, dont le photographe Thomas Goisque, grand camarade d’aventure depuis toujours.

Sur les chemins noirs ©Thomas Goisque
Ses chemins noirs le mènent aussi au silence, c’est une manière de disparaître, de vivre autrement. « Défendre le monde que l’on aime en se dissimulant ». Lui qui avait déjà fui six mois dans une cabane au bord du lac Baïkal, exprime encore plus ici son souhait de « disparaître dans la géographie », un moyen d’échapper à tout ce qui lui déplaît dans notre frénésie urbaine. « Une journée à verser au crédit de la disparition désirée, antidote contre la servitude volontaire ». Et pour étancher sa soif de déconnexion et d’isolement, rien de mieux que « les nuits dehors qui dilatent les rêves ». Il oublie ainsi les écrans et sûrement ses blessures, et nous montre l’essentiel à travers le spectacle d’un ciel étoilé ou le vol d’un vautour.
Véritable oiseau de feu qui renaît de ses cendres, Sylvain Tesson nous irradie d’humour et de sagesse. Il n’a rien perdu de sa rayonnante écriture, vivement le prochain voyage !
« Sur les chemins noirs », de Sylvain Tesson, éd. Gallimard
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