Sécurité et tourisme en débat au Maryland
De quelles façons les évènements politiques impactent-ils le développement du tourisme, d’un point de vu social et économique ? Tel était le thème du café du voyage qui s’est tenu au Maryland lors du Festival Icare 2011, un débat intéressant qui s’est peu à peu décliné et décalé vers d’autres questions : la pertinence de notre présence dans certains pays du Sahel, les rapports sains et plus malsains entre tourisme et développement et finalement la question de la raison d’être du tourisme dans certains pays d’Afrique. Retour sur un débat enflammé.
Stéphane Canarias (directeur O.T Brive) : « Au vu des évènements récents dans les pays arabes, peut-on continuer à aller partout aujourd’hui ? »
Jean-luc Gantheil (Croq’Nature) : Depuis la loi Kouchner, les agents de voyage sont pénalement responsables en cas de problème. Ils peuvent même aller en prison. Jusqu’à il y a deux ans, Terre d’Aventure, Allibert… se rendaient en Algérie. Aujourd’hui, tout le monde a abandonné.
Stéphane Canarias : De nombreux pays du Sahel ont également été abandonné comme la zone nord du Mali. Mais le tourisme peut aussi être un point de négociation entre états. On retire la zone rouge si vous rapatriez vos migrants…
Xavier Van der Stappen (ethnographe) : Le monde a changé. Les touristes ont-ils leur place dans ce type de région ? Certains T.O ont bradé le désert. Ils ont mis la pression sur les salaires des guides, des chameliers. Ce n’est pas très solidaire. L’office de tourisme mauritanien ne veut plus de ce tourisme bas de gamme qui ne pratique pas le juste prix et ne soutient pas la formation des guides. Il faut sortir de ce romantisme des années 50. Les otages, effectivement, cela peut être tentant. Et si on se revendique d’Al Qaïda, on aura d’autant plus d’impact…
Sandrine Mercier (journaliste) : Oui mais en arrêtant le tourisme là bas, tu rentres dans leur jeu.
Xavier Van der Stappen : Le premier problème est que les populations locales bénéficient des ressources locales. On veut résoudre le problème de tout le monde. Est-ce que ces gens là sont demandeurs de tourisme ? Quelles retombées cela implique-t-il ? Beaucoup d’agences de voyage ont voulu « faire le bien ». « Le blanc va s’occuper du noir ». Mais les locaux ne maitrisent pas les clients. Ils ne maitrisent pas le catalogue. Et quand tout s’arrête…
Stéphane Canarias : Le débat est lancé…
Jean-Luc Gantheil : Je vais parler en mon nom mais aussi au nom de Point Afrique. En Mauritanie, je suis dans la structure. La principale raison du sous-paiement des locaux, c’est l’exploitation de la « bourgeoisie locale ». A Chinguetti, le gars qui loue les dromadaires exploite les loueurs de chameaux. L’exploitation est avant-tout locale. On a voulu court-circuiter ces canaux et il a fallu beaucoup de relationnel. (…) En 1985, en Mauritanie, il y avait 90% de nomades pour 10 % de sédentaires. Aujourd’hui il y a 10% de nomades pour 90% de sédentaires. A Atar, capitale de la région de l’Adrar, la zone souffrait d’un terrible manque d’eau pour l’agriculture. Le tourisme est venu comme un complément de revenu. Beaucoup de gens de Nouakchott sont venus d’installer. Entre rien du tout et un peu, ce n’est pas pareil.
(…)
Aujourd’hui il n’y a plus de touristes. Les gens d’Atar ont fui, beaucoup sont partis, il faut bien vivre. D’autres ont rejoint des mouvements fondamentalistes. Le discours sur place est : « Tant que ça va bien, les Blancs viennent. Après, ça vous jette. » De plus en plus de mouvements fondamentalistes sont sur place. La zone n’est pas sûre.
Xavier Van der Stappen : Cela ouvre des perspectives aux nouveaux aventuriers.
Jean-Luc Gantheil : Si tu vas au Mali maintenant, tu verras que les Touaregs voient avant tout l’intérêt de leur tribu. Si une ONG leurs apporte de l’argent, ils seront être pragmatiques et aller vers leurs intérêts. Si les opérateurs avaient financé des projets de développement locaux en lien avec les gens sur place. Mais certains disent, on n’est pas l’Etat…(…) pourtant grâce au tourisme, on peut faire un peu. Par exemple, je trouve tout à fait normal de payer des impôts sur place. Le pourcentage que notre association reverse pour des projets de développement correspond à la TVA que l’on devrait payer.
Xavier Van der Stappen : Il ne faut pas mélanger les secteurs. Au Sénégal, le tourisme, c’est tout et n’importe quoi. On achète la paix sociale avec des chèques. Or mener une activité touristique ne revient pas à acheter une paix sociale.
Jean-Luc Gantheil : Mais les gens décident sur place. Chaque pays est un cas. Au Sénégal, depuis un an, on fait la chasse aux fraudeurs. C’est une bonne chose. Cela veut dire que le pays se construit. Au Maroc, avant on achetait les impôts… un pays qui commence à récolter ses impôts se construit… (…).
Xavier Van der Stappen : Pour être corrompu il faut un corrupteur. Les activités touristiques sont souvent maquillées avec les activités de développement. Pour moi, le tourisme est un business, le développement c’est autre chose. J’ai un problème avec ces microprojets. C’est un déni de la structure de l’Etat. Cela n’aide pas à renforcer les structures étatiques.
Jean-Luc Gantheil : Je suis conseiller municipal dans une commune du Nord Mali. On débat beaucoup. La commune n’a aucune confiance dans son Etat (…).
Xavier Van der Stappen : J’ai vécu trois ans avec des Massaïs envahis de touristes alors qu’ils ne le voulaient pas…
Jean-Luc Gantheil : Le premier développement est le développement alimentaire. Or il n’est pas toujours facile de transformer une société nomade en une société d’éleveurs. Au Mali, l’agriculture est une activité de noirs, qui sont considérés comme inférieurs. Il y a un vrai blocage : « Nous on ne veut pas faire le travail de nos captifs ». On me dit souvent : « Vous, les Français, vous nous avez privé de nos captifs. Pourquoi t’es venu ? ». Les rapports entre peuples sont donc déjà très compliqués et hiérarchisés.
(…)
Xavier Van der Stappen : Souvent, on refuse d’admettre la réalité des gens, comme le fait que les Dogons soient christianisés aujourd’hui. C’est du déni de l’évolution des gens.
Jean-Luc Gantheil : Pour revenir à ce qu’on disait, je crois que l’idée principale n’est pas le développement. Il faudrait plutôt parler d’un peu d’argent sur un lieu précis, une somme qui aide les gens à améliorer leur situation.
Des choses toutes simples, toutes basiques. Quand on travaille dans une zone, on choisit les gens qui ont le plus besoin.
En guise de conclusion :
Le débat a continué quelque peu et aurait encore pu continuer des heures. C’est un débat complexe, riche, et pas facile. Je laisse au lecteur le soin de se faire son idée. C’est aussi cela, Icare, des rencontres riches et intenses où l’on touche du doigt la complexité de la mise en tourisme des territoires. Faut-il aller partout ? La question reste ouverte…
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Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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