Pierre Torrente, dix vies au service d’un tourisme ancré aux territoires !
Enseignant, directeur adjoint de l’ISTHIA (Institut supérieur de Tourisme hôtellerie et alimentation) de l’Université TOULOUSE JEAN JAURÈS, responsable du site de Foix (Ariège), directeur du Centre de valorisation « tourisme, alimentation et développement durable », Pierre Torrente a également coordonné de nombreux programmes de recherche et, depuis début 2013, participe à la mise en place du réseau Defismed pour une valorisation du tourisme « vertueux » dans le bassin méditerranéen. Rencontre avec un homme de terrain et d’action engagé.
VA/ Vous avez récemment participé à un colloque au Mexique sur « Développement durable et gastronomie », quels en ont été les principaux enseignements ?
J’ai tout d’abord été impressionné par l’importance de la gastronomie au Mexique et le lien très fort qu’il existe déjà entre le patrimoine gastronomique, l’identité culturelle des territoires et les populations. Ils ont tout à fait compris la relation entre patrimoine gastronomique et activité touristique, combien cela pouvait être un élément de valorisation de leur identité. C’est une prise de conscience très claire qui existe du plus haut sommet de l’état jusqu’au territoire. En outre, ce colloque était organisé dans le cadre d’échanges dans l’enseignement supérieur et la recherche à l’initiative du MAE français, et sur cette thématique, l’offre de formations au Mexique est très riche. Cela peut donc tout à fait faire écho avec ce qui se développe dans certains centres de recherche en France, les points de synergie sont importants. Un collègue de l’Institut européen d’histoire et des cultures alimentaires de Tours était présent et travaille sur ce terrain commun. En France, on est certes très avancé sur la recherche mais beaucoup moins sur l’application terrain, sur la relation entre patrimoine et gastronomie. Un inventaire de notre patrimoine gastronomique reste à faire dans bien des cas, cela permettrait de redynamiser nos territoires, cela bénéficierait aux agriculteurs, aux populations qui pourraient ainsi être plus autonomes. Le tourisme doit, dans ce cadre-là, être utilisé comme un outil de valorisation.
VA/ Comment s’est déroulée la conférence de Marrakech en vue de la Cop22 et quels ont été les principaux messages et décisions ?
Là aussi les avancées sont significatives. Nous sommes à une phase charnière de la réflexion autour du tourisme. Aujourd’hui, le modèle du tourisme de masse que l’on a cru être une bonne réponse pour la rive sud du bassin méditerranéen a atteint ses limites. On voit bien que les nouvelles expériences de tourisme solidaire, équitable ou durable tentent de donner des réponses. Mais elles ne suffisent plus car le tourisme ne cesse d’augmenter dans ces zones et la transition touristique en Méditerranée va également demander de relever de le défi du tourisme de masse, de le rendre plus accueillant, capable d’accueillir les flux et plus respectueux des territoires et des populations. Ainsi, au lieu d’opposer tourisme durable et tourisme de masse, il va falloir favoriser les projets de territoires durables tout en réfléchissant à l’accueil de flux plus importants. Ces deux formes de tourisme sont donc complémentaires et indispensables sur un territoire. C’est sans doute le plus grand défi du 21ième siècle pour cette activité.
VA/ Quid du changement climatique et de la place du tourisme dans la réduction des gaz à effet de serre (GES) ?
Le tourisme contribue à hauteur de 5% au GES mais l’idée n’est pas d’arrêter de voyager car au-delà du climat, l’activité touristique comprend aussi des enjeux sociaux, culturels nécessaire sans doute à l’épanouissement humain et peut être à la paix dans le monde. Il est donc important de réfléchir différemment. Personne n’a de réponse miracle mais à Marrakech, où étaient présents de nombreux décideurs et bailleurs de fond de la Méditerranée, on a toutefois pu noter un vrai changement dans le discours. Il a notamment été préconisé de revoir les modes de financement de l’accompagnement au développement qui se traduisent trop souvent par des programmes fleuves et des enveloppes qui se chiffrent en millions de dollars. Aujourd’hui au contraire, les décideurs sont conscients de l’importance de distiller des petites sommes pour des micros interventions afin de repenser la répartition des pouvoirs et des modes de financement sur l’ensemble du territoire et être au plus près des préoccupations des populations. Différents ateliers ont permis et poussé à cette prise de conscience. Cela permettra aussi d’accompagner la stratégie de la Méditerranée à l’horizon 2030. Toutefois, la somme de petites initiatives locales ne suffit pas à bâtir une politique, et pour cela on a également besoin d’un cap, des politiques, mais l’important reste de ne pas tout standardiser.
VA/ Pouvez vous nous dire un mot de votre engagement auprès de Defismed ?
Mon engagement auprès de Defismed est justement en ce sens. Aujourd’hui, on considère que l’on doit s’engager dans cette direction, vers une transition touristique des territoires, un axe fort. Le tourisme doit être vu comme une activité complémentaire sur le territoire, à côté de l’agriculture, l’artisanat, etc. Cela remet profondément en cause l’approche des pays du sud du tout tourisme. En outre, on essaie également de travailler sur la question de la définition d’une valeur territoriale, avec pour idée une réforme des financements. Aujourd’hui, le tourisme est uniquement analyser par le prisme de sa valeur économique, au contraire, nous pensons qu’il existe également une valeur territoriale et environnementale. Par exemple, un litre d’eau pris dans les Pyrénées ou en Méditerranée ne sera pas utilisé de la même façon, n’aura pas la même valeur. On connait le gaspillage en eau que peuvent générer les hôtels de luxe sur des territoires fragiles.
VA/ Le projet CHEMIN, nouvel outil pour la mise en tourisme durable des territoires, a-t-il été lancé officiellement et intéresse-t-il les régions ?
Il est justement dans sa phase de consultation et de finalisation. On attend les premières signatures de contrat (PACA / Midi- Pyrénées, etc.). On devrait démarrer à l’automne, pas n’importe comment, on voudrait travailler sur des projets pilotes qui seront exemplaires. On est en train de montrer l’outil pour récupérer l’avis des utilisateurs, l’améliorer, qu’il fasse son chemin… L’idée du projet : proposer un auto diagnostic afin de permettre à de petits territoires reculés, qui disposent de peu de technologies, de pouvoir accéder à des diagnostics digne d’experts qu’ils ne pourraient pas s’offrir. Pour ceux qui travaillent déjà avec des bureaux d’étude, c’est aussi une façon d’avoir un autre niveau de connaissance de leur territoire et l’idée n’est pas de concurrencer les bureaux d’étude puisque l’on s’adresse aux petits territoires, mais d’aider à générer de l’information pour faciliter le travail des donneurs d’ordres.
VA/ L’ISTHIA forme depuis plusieurs années des étudiants à des métiers en lien avec le tourisme durable – ces derniers arrivent-ils ensuite à bien s’intégrer dans le tissu professionnel ?
Nous venons justement de redéposer nos diplômes au sein du Ministère de l’Enseignement et de la Recherche et donc en ce sens, nous avons pu actualiser notre vision du placement des étudiants. Il en ressort que 80% de nos promotions arrivent à trouver des postes en lien avec leur formation. Toutefois, du fait de la morosité du marché de l’emploi, ce qui prenait alors entre six mois et un an, prend à présent entre un à deux ans. Toutefois, nos étudiants arrivent à trouver des postes à responsabilité dans des ONG, des régions, sur la stratégie des territoires. Mais trouver un emploi est devenu un travail à part entière… C’est un des critères qui nous a permis lors de ses habilitations de recevoir un avis favorable pour nos diplômes qui seront de nouveau en place dès la rentrée 2016.
VA/ Un mot, un projet que nous n’avons pas évoqué ?
Oui, un projet que nous portons avec l’ISTHIA et Defismed : celui d’un observatoire partagé des pratiques touristiques. On a besoin pour penser la transition touristique, de redéfinir les indicateurs et les modes de collectes de la donnée, on a pas mal d’outils, surtout une analyse de la demande. On sait ce que veut le marché. Atout France et de nombreuses études ont identifié les attentes des clients. Toutefois, notre idée est de construire un observatoire partagé des pratiques touristiques via une application smartphone, géolocalisée et datée, pour recueillir l’avis des touristes mais aussi des acteurs sociaux-professionnels et des populations locales, afin que les décideurs puissent avoir, pour un même lieu, une vision partagée des enjeux et des envies. Car aujourd’hui, lorsque les décideurs lancent un projet, ils connaissent rarement l’avis de la population quant à ce dernier. Cet observatoire nous mènerait également à mettre en place un dispositif de traitement de l’information pour réinterpréter la donnée et fournir ainsi au décideur une analyse la plus complète possible sur les attentes du territoire. Ce projet pourrait ensuite être développé sur plusieurs filières, dans différentes espaces, et pourrait ainsi se généraliser à toute l’activité touristique.
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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