#TourismeDurable

Entretien avec Jean-Christophe Guérin, nouveau président d’ATR.

Personnalité engagée qui travaille dans le tourisme depuis ses 18 ans, président du groupe « Les Compagnies du Voyage » qui rassemble Vie Sauvage, Fika (qu’il a fondé), Aventure et Volcans  et un réceptif tanzanien ; associé à Evi Hob, la marque d’hôtellerie qui souhaite revitaliser les zones rurales, Jean-Christophe Guérin n’a jamais eu peur de multiplier les casquettes. Dernière en date, la présidence d’ATR, prise officiellement en août dernier à la suite d’Antoine Richard (fondateur de Double Sens). Une association qu’il connaît bien puisqu’il l’a vu naître en 2004 quand il travaillait chez Atalante et pour laquelle il s’implique activement depuis plusieurs années. Un passage de relais entre deux hommes engagés pour un nouveau virage ? Nous avons eu envie d’en savoir plus…

Passation entre Antoine Richard et Jean-Christophe Guérin avec Julien Buot et Julie Geoffroy©ATR

VA / ATR, c’est un engagement de longue date pour vos marques, qu’est-ce qui vous a donné envie de rejoindre l’association à l’origine ?

Quand ATR a été fondé en 2004, j’ai trouvé ses motivations et réflexions très intéressantes. Je découvrais alors les impacts positifs et négatifs de nos voyages. Nous étions un petit groupe souhaitant réfléchir et agir ensemble. Par la suite, étant sur un segment du tourisme légèrement différent, je me suis éloigné de cet univers que j’ai retrouvé des années plus tard lorsque j’ai pris la tête de Vie Sauvage, une marque très orientée nature que je souhaitais référente sur ces questions de biodiversité et tourisme responsable. J’ai donc repris mon adhésion chez ATR, l’occasion de replonger dans une association qui avait pas mal évolué. Au fil du temps, j’ai été impliqué sur certains sujets qui me tenaient à cœur, des problématiques importantes à l’image du carbone. En outre, c’est un collectif dont j’ai plaisir à retrouver les personnes.

VA/ Vous prenez donc la suite d’Antoine Richard, qu’est-ce qui va changer ? Ou pas ?

Déjà, je tiens à insister sur la notion de continuité. Nous avons beaucoup travaillé avec Antoine et le bureau et mis en place courant 2023 la stratégie 2030 d’ATR. Il s’agit d’une vision partagée avec tous les membres. Or nous ne sommes qu’en 2025. Ma volonté est donc avant tout de renforcer et de consolider ce qu’Antoine a apporté. Je vais également poursuivre l’ouverture de l’association au maximum d’acteurs. Tout opérateur qui a une licence de tourisme peut postuler chez ATR. Nous n’avons pas vocation à rester dans notre territoire initial constitué principalement de TO d’aventure et de trek.

Au contraire, nous souhaitons continuer à nous ouvrir mais en demandant à nos membres d’être proactifs et d’avoir une stratégie RSE engagée afin que l’on puisse pointer les progrès de chacun. Aujourd’hui, nous comptons des distributeurs, des groupistes, des réceptifs, des agences jeunes publics, etc. ; nous sommes beaucoup plus diversifiés qu’avant. C’est très positif même si cela comprend aussi des  contraintes. Ainsi, afin d’aller plus finement dans les sujets, nous avons ainsi mis en place des commissions de réflexion, un parcours d’adhérent. Chaque membre qui nous rejoint est sur une ligne de départ et ensuite, il bénéficie d’un gros travail d’accompagnement. Il en va de notre crédibilité.

VA/ Cette ouverture plus large, c’est un affaiblissement ou un raffermissement quant aux engagements de départ ?

C’est clairement une prise de risque, mais l’association a 20 ans. À l’époque, ATR se devait d’être une référence du tourisme responsable. À présent il nous semble plus intéressant de regarder la profession dans toute sa diversité, de ne pas uniquement rester entre TO d’aventure, ce qui reste un tourisme de niche. Alors, forcément, tout élargissement comporte un risque, une part de dilution, mais c’est aussi pour cela que l’on a travaillé sur un parcours adhérent extrêmement clair, afin que chaque structure sache exactement ce qu’elle doit faire.

En outre, il y a souvent une confusion sur les voyages et produits en cohérence avec le tourisme responsable. Pour beaucoup, un voyage à pied ou à vélo équivaut forcément à du tourisme responsable. En fait, pas forcément, des écosystèmes fragiles sont aussi menacés par des randonneurs. Certains sites ont des capacités de charge limitées. Les randonnées ou treks ne sont pas par essence des voyages responsables. Aller marcher 15 jours en Nouvelle-Zélande n’est pas responsable sur la problématique carbone. Faire passer les groupes dans des villages du Nord Vietnam, les uns après les autres, sous couvert d’un tourisme slow tourism, revient à créer des boulevards touristiques. Qu’en est-il de l’authenticité des rencontres ? Des bénéfices partagés ? On peut autant questionner ces pratiques que celles des croisiéristes. C’est aussi pour ces raisons qu’ATR se doit d’entrainer l’ensemble de la profession.

Eductour ATR sur la Loire à vélo avec Cheverny Voyages©Julien Buot

VA/ En 20 ans, le mode de certification des critères intrinsèques à ATR a évolué. L’association est passée d’AFNOR, à Ecocert puis à Travelife, pourquoi ces choix ?

Il y a plusieurs sujets derrière cela mais en ce qui concerne Travelife, l’idée était de rejoindre une plateforme internationale et reconnue avec laquelle notre association travaille depuis dix ans, notamment quant aux concordances entre nos différents critères. En outre, Travelife comprend trois niveaux d’engagement et s’adapte mieux à la diversité de nos membres. Pour nous, c’est devenu la norme. Il est évident que Travelife est beaucoup plus parlant dans la communauté du tourisme à l’international.

VA/ Qu’en est-il des voyageurs, ne sont-ils pas un peu perdus au vu de toutes ces évolutions du label ?

Pour répondre à cette question, si je prends ma casquette d’entrepreneur certifié ATR Ecocert, je pense sincèrement que la visibilité du label reste très faible pour les clients. Je ne pense pas qu’un client achète un voyage parce qu’on est labellisé. Les clients nous comparent d’abord sur le contenu voyage, sa qualité. Le sujet du tourisme responsable peut être un facteur d’aide à la décision mais à la  condition que l’on soit au juste prix. Aujourd’hui encore, le label ATR n’est pas déterminant dans l’achat des voyages par nos clients. Il s’agit bien plus d’un label d’entreprise que d’un label de produit. Et finalement, qu’est-ce qu’on va certifier ? Des produits ? Non, on va certifier un parcours au sein des entreprises, qui permettent d’avoir des process contrôlables et vérifiables. Je suis d’ailleurs souvent surpris des sondages qui disent que 76 % des gens souhaitent faire du tourisme responsable.  Au sein de mes entreprises, aucun client ne l’évoque quand il appelle. A mon sens, une question plus juste serait : « C’est quoi pour vous le tourisme responsable ? ». Je pense que les réponses seraient beaucoup plus intéressantes à analyser…

VA/ Comment rester toutefois visible et lisible pour les voyageurs qui souhaitent suivre vos engagements ?

D’après moi, le plus intéressant pour garder une visibilité vis-à-vis de nos clients serait de mettre en avant les voyages les mieux-disants de nos membres, ceux sur lesquels ils ont excellé en matière de tourisme responsable. C’est très concret et cela permet de faire de la pédagogie,  de mettre en évidence les produits les plus responsables. À noter qu’une des évolutions importantes d’ATR c’est qu’avant, les nouveaux membres s’engageaient à être certifiés sous 24 mois. Aujourd’hui, la certification n’est qu’un élément au sein d’un panel d’outils à disposition pour les nouveaux membres. Leur parcours adhérent comprend un plan de formation obligatoire, l’évaluation carbone de leur structure, la mise en place d’une stratégie de réduction et la participation obligatoire à des commissions de réflexion (Préservation, Destination, Carbone, Inclusivité, Communication, Évaluation). La  certification n’est donc qu’une des briques de la participation à l’association car si on s’ouvre à d’autres métiers, on doit aussi s’adapter.

VA/ Quelques actions et engagements concrets à nous lister ?

C’est un questionnement permanent année après année sur une multitude de sujets : « Nos guides ont-ils une couverture sociale ? Qu’en est-il de la répartition homme-femme ?  Pour le moindre sujet, nous menons toute une pléiade d’actions qui s’adaptent à des problématiques très concrètes. En 2025 par exemple, on travaille sur la sensibilisation des équipes en interne, en externe. Nos équipes sont formées à la fresque du climat. Nous faisons de la sensibilisation auprès des clients, ce qui est une autre façon de communiquer au-delà du label.

En outre, faire partie d’ATR, d’ Agir pour un Tourisme Responsable ne veut pas dire que l’on soit parfait, mais plutôt que l’on souhaite travailler ensemble sur des sujets sérieux : la pollution plastique liée au passage régulier des clients dans certains villages, la surfréquentation de certains sites naturels, l’impact de nos voyages à destination. De vrais sujets avec une petite notion de sur-mesure pour que les membres s’engagent concrètement sur les problématiques qu’ils rencontrent. Personnellement, je n’oppose pas les différents types de pratiques touristiques. Le challenge n’est pas le même quand on est distributeur avec des budgets serrés ou TO d’aventure, par exemple.

VA/ Comme on l’a déjà précisé, le tourisme durable embrasse des sujets très vastes – inclusivité, impact carbone du voyage, protection de la biodiversité, valorisation de l’économie locale, etc. Parmi les sujets peu évoqués, on compte celui du tourisme animalier, pensez-vous initier de nouveaux chantiers sur cette thématique ?

Cette thématique a été abordée dans notre commission « Préservation » et chez Vie Sauvage, nous avons travaillé il y a trois-quatre ans, avec des avis d’experts, à un guide du voyage nature, un outil de sensibilisation à l’attention de nos clients. Il s’agit d’un petit document qui sensibilise aux bonnes pratiques (et celles à proscrire !) aujourd’hui diffusé à l’ensemble de nos clients et pour lequel on forme nos guides. J’aurais plaisir à ce que cet outil soit utilisé par ATR. Il est donc probable qu’on le soumette prochainement à diffusion puisqu’on l’a expérimenté chez nous, ce qui montre qu’ATR fonctionne souvent de façon collective, en se basant sur l’expérience d’un membre sur un sujet, avec l’envie de partager les bonnes pratiques et de les diffuser.

VA/ A ce sujet, vous avez avec Dolphinesse une membre experte puisque Valérie Valton, qui est à sa tête, est éthologue et très engagée sur la préservation des cétacées.

Tout à fait, et d’ailleurs, Valérie a participé au guide du voyage nature que l’on a réalisé avec Vie Sauvage. Elle est très pédagogique sur les impacts de l’observation de la faune marine et a un discours très constructif. Je n’aime pas les discours manichéens qui imposent le « Il ne faut plus du tout faire ça ». Parfois, la notion de protection des animaux peut tomber dans les extrêmes alors qu’elle nécessite une réflexion plus aboutie avec des spécialistes qui connaissent la réalité du terrain. Il faut toujours réfléchir au-delà, aux impacts sociaux, aux bénéfices cachés. Si je prends l’exemple de l’éléphant, où les pratiques sont souvent catastrophiques, on oublie trop souvent de se demander que deviennent les éléphants qui travaillent dans le tourisme. De même, si on prend le cas des chevaux, certains servent pour le portage, d’autres pour l’équitation, il faut bien connaître le contexte et rester dans la nuance.

VA/ Évidemment, le gros sujet pour une association de professionnels du tourisme, cela reste le transport et la question du carbone. Comment se positionne ATR à ce sujet ?

Si je suis plutôt dans le consensus sur de nombreux sujets tant les réponses dogmatiques sont souvent inapplicables !) ; sur la question du carbone, il faut que l’on arrête de se voiler la face. Le collectif ATR se doit de servir de lieu de réflexion sans tabou pour s’adapter. Et sur ce sujet, nous avons une position ultra clarifiée. Concrètement, nos membres bénéficient d’un parcours carbone balisé avec un webinaire de formation. Ensuite, chaque adhérent doit faire son bilan et s’engager dans une réflexion sur la réduction. Par ailleurs, et sans lien direct, il doit faire une contribution à hauteur de ses émissions. Je précise qu’il ne s’agit pas de compensation mais de participation car la problématique carbone ne se résout pas ainsi, elle se résout par un plan de réduction. Pour l’heure, nous essayons d’engager nos membres et si notre stratégie est ambitieuse, nous sommes encore loin du compte et en ce sens, Vie Sauvage a été très mal noté par l’Ademe (note de 10/20).

VA/ Chez Fika Voyages vous aviez donné une première réponse qui consistait à ne commercialiser que des voyages de plus de trois semaines pour encourager les voyages moins fréquents et plus longs sur les territoires lointains visités. Ou en êtes vous quant à vos marques ?

Chez Fika, nous avons lancé ce projet de « voyager moins souvent – plus longtemps » en plein covid. Depuis, c’est un terrain d’expérimentation pour trouver notre place dans un tourisme de proximité ou à tout le moins en Europe et en long courrier longue durée. Nous ne sommes pas encore à l’équilibre mais j’y crois et on ne manque pas d’énergie pour faire avancer ce projet ! Chez Vie Sauvage, la marque historique, si l’avion reste indispensable pour une bonne part de notre activité sur le continent africain, nous travaillons beaucoup sur notre impact à destination. Autrement dit : comment rendre le voyage Lointain plus exclusif et plus bénéfique localement. C’est d’ailleurs dans ce cadre que nous avons créé un partenariat avec nos équipes locales et notre réceptif tanzanien afin qu’ils profitent de tout ce que l’on a mis en place soit une plus juste rémunération des équipes, un travail de fond sur la place des femmes, des hébergements tanzaniens assurés chez des locaux, des activités en immersion, le soutien à des ONG locale, etc. Quant à « Aventure et Volcan », il s’agit d’une marque lyonnaise de passionnés de volcans où certains préfèreront se passer de voitures pour se payer de temps à autre un voyage exceptionnel.

VA/ Comment encourager l’ensemble des membres à être également plus performants sur cette question du carbone ?

Dans le parcours carbone qui oblige l’ensemble de nos membres, la question de la réduction arrive juste après l’évaluation. Aujourd’hui, en 2025, nous les sensibilisons à entamer cette démarche sans encore y apposer d’obligations chiffrées. C’est un sujet complexe de remplacer Des modèles économiques basés sur une mobilité carbonée, par une offre touristique plus frugale sur ce critère et qui permette néanmoins de maintenir ou de développer de nouveaux emplois…

VA/ Allez-vous sinon imposer une durée minimum de jours pour un vol long-courrier, une piste que certains ont pris par le passé en supprimant les escapades de moins de huit pour les vols lointains ?

Le chemin est long et compliqué. Je préfère avoir ces discussions à l’intérieur d’ATR, que l’on travaille ensemble plutôt que d’imposer. Personnellement, j’adorerais que les gens partent en safari un mois entier avec Vie Sauvage, mais à ce jour impensable économiquement. Malheureusement, la tendance est plutôt à la réduction en temps des voyages sans parler de l’ineptie de l’ultra-fast. Les voyages de 4 semaines qui n’étaient pas rares il y a 25 ans sont passés à 15 voire 13 jours du fait de l’inflation. Toutefois, avec l’augmentation du coût de l’avion, on va devoir faire moins et mieux, donc je reste confiant et convaincu que les voyages seront plus long, probablement plus rares mais du coup plus précieux !

VA / Enfin, en cette rentrée, quelles sont les actualités du réseau ATR et les nouveaux projets que vous souhaitez valoriser ? 1% pour la Planète ? Les premiers résultats de votre enquête visant à dresser un baromètre des initiatives mises en place par les acteurs du voyage de groupe ?

C’est une rentrée très riche pour l’association car au-delà de ces missions qu’elle va consolider et du nombre croissant d’adhérents qui nous rejoignent, nous sommes très impliqués sur le Village des initiatives durables à l’IFTM, avec de nombreuses conférences et tables rondes.  Nous avons également lancé un projet ambitieux en partenariat avec 1% For The Planet pour créer notre fond de mécénat environnemental, outil à disposition de nos membres pour orienter leurs contributions vers des ONG qui agissent pour la préservation ou la restauration de la biodiversité. Sur le « baromètre des initiatives », en fait c’est un sondage de la commission ATR qui travaille sur les voyages en groupes, CSE, COS, et qui réalise une enquête avec un sondage auprès des CSE pour mieux connaître leurs engagements et leurs attentes en matière de tourisme responsable. Enfin, nous avons notre incontournable séminaire annuel qui est l’occasion de travailler collectivement sur des thèmes clés et cette année nous allons renforcer nos actions et nos engagements pour un impact positif à destination.


Entretien avec Jean-Christophe Guérin, nouveau président d’ATR. | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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